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Le religieux et le politique : les confréries religieuses dans le jeu électoral au Sénégal

Dans un certain nombre d’articles de ce blog, nous avons attiré l’attention sur la collusion entre le pouvoir religieux et l’Etat, même dans un contexte où la laïcité est inscrite dans les normes y compris la norme constitutionnelle. Nous avons défendu la thèse selon laquelle le choix des églises dominantes est souvent décisif dans l’issue des luttes sociales et politiques, dans l’évolution des systèmes mis en place ; leur abstention aussi. Des quatre grands ordres qui existent – le rituel, l’impérial, le marchand et le populaire – seul le dernier fonctionne avec ses mains nues et c’est ce qui, malgré son nombre, fait sa fragilité. Les trois autres disposent de puissants moyens matériels de toutes natures doublés pour certains de puissants moyens symboliques, et tant que ces trois-là coalisent, le statu quo est garanti. Il suffit que l’un d’eux rejoigne le peuple pour faire basculer l’équilibre et provoquer une évolution sociale, à défaut d’une révolution. Les religieux qui aiment à prêcher pour les pauvres et à s’allier aux riches occupent une position idéologique délicate et ambiguë sur l’échiquier sociopolitique. Cette ambiguïté confine parfois à la pure mystification lorsque les églises prétendent en plus à une position de neutralité politique. Au Sénégal du moins, les confréries, auxquelles appartient la grande majorité des Sénégalais, ont choisi d’assumer leur implication dans le jeu politique, et contribuent par là à une politisation salutaire du peuple sénégalais. L’interview ci-dessous, reprise du site d’information Rue89 nous en donne une bonne illustration. Bonne lecture.


Par Julie Gonnet, Journaliste ; paru sur le site Rue89


Les puissants marabouts sénégalais mourides et tijaanes peuvent-ils influencer le vote au second tour de la présidentielle au Sénégal qui se déroule ce dimanche ?
Alors qu'Abdoulaye Wade, le président sortant, surnommé le talibé (disciple), courtise les confréries religieuses, son adversaire Macky Sall a choisi de prendre publiquement ses distances en affirmant qu'« il n'y aura pas de statut particulier pour les marabouts ».
Marie Brossier, chercheuse sur le Sénégal, nous explique quel rôle les confréries tiennent dans le jeu électoral.


Rue89 : Quelle est la part des Sénégalais qui sont affiliés à une confrérie ?
Marie Brossier : 95% des Sénégalais sont musulmans et une très grande majorité d'entre eux appartiennent à une confrérie. La plupart ont prêté allégeance à l'une des deux confréries majeures, la Mouridiyya ou la Tijaaniyaa.
Les Tijaanes sont arrivés par la voie du Sahel, par l'Afrique du Nord. La confrérie des Mourides a elle été fondée au Sénégal par Cheikh Ahmadou Bamba, une figure de proue de la mobilisation contre la colonisation française.


Quelle attitude les confréries adoptent-elles dans la campagne présidentielle de 2012 ?
Avant le premier tour, les Khalifes généraux, à la tête des confréries, sont restés à l'écart. Ils ont vu l'aspiration des citoyens au changement et ils ne se sont pas prononcés pour un candidat. Ils attendent de voir comment la population évolue. Seuls les seconds couteaux, les marabouts qui leur sont affiliés, ont pris la parole.
Les grands chefs religieux ont surtout été pragmatiques. Ils essayent d'abord de voir qui va leur permettre de négocier et de conserver leurs positions de pouvoir. Ils cherchent à se repositionner par rapport à celui qu'ils pensent être le futur vainqueur. Cela fait partie des tractations en cours entre les deux tours.


Quelle relation les confréries entretiennent avec le monde politique ?
Il y a toujours eu une collusion d'intérêt entre les autorités religieuses, les autorités politiques et les disciples. C'est ce qu'on appelle le contrat social sénégalais. Les hommes politiques financent les autorités religieuses en échange du vote de leurs disciples.
Le marabout peut en effet demander à son disciple de voter pour tel ou tel homme politique. C'est le « nidggël », la recommandation, un des devoirs du disciple qui a prêté allégeance à un marabout.


Les disciples votent-ils systématiquement pour le candidat choisi par leur marabout ?
Depuis l'indépendance jusqu'aux présidences d'Abdou Diouf, c'était le cas. Les disciples respectaient le nidggël (la recommandation) du marabout. Mais en 2000, on a observé que l'achat de conscience ne fonctionne plus.
A l'époque, les leaders des confréries ne s'étaient pas prononcés clairement mais les seconds couteaux avaient appelé à voter Abdou Diouf. Pourtant, Abdoulaye Wade a gagné.


Comment expliquer cette évolution ?
La relation entre les disciples, les autorités religieuses et les autorités politiques est en train de changer, notamment parce qu'il y a eu une transformation du leadership dans les confréries.
En 2007, il y a eu des conflits au moment de décider qui reprendrait le pouvoir après la mort de Serin Saliou Mbacké, le dernier fils direct de Cheikh Ahmadou Bamba.
On est alors entré dans l'ère des petits-fils. Ces successeurs sont moins légitimes religieusement et donc politiquement.


Est-ce que le résultat des élections peut faire évoluer les liens entre monde religieux et monde politique ?
Quoi qu'il arrive, le religieux et le politique resteront imbriqués. Les deux fonctionnent main dans la main. C'est un système bien établi. Les confréries auront toujours un rôle économique et un rôle social, via un fort réseau d'entraide. Il n'est pas envisageable qu'il y ait une rupture.
Si Macky Sall dit qu'il veut prendre ses distances avec les confréries, cela ne veut pas dire qu'il appelle à une nouvelle forme de gouvernance. C'est surtout pour montrer marquer la rupture avec Abdoulaye Wade, qui a été le premier président à mettre en scène son obédience à la confrérie mouride.



25/03/2012
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