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L’édito à ne pas manquer : quand Laurent Joffrin analyse les révoltes arabes à la lumière de la chute de Khadafi

Une chose est récurrente : l’Occident est presque toujours uni en matière de politique étrangère lorsque son destin se joue sur un théâtre d’opération n’importe où dans le monde. Dans ces moments-là, les clivages gauche-droite – ce que Laurent Joffrin appelle avec un doux euphémisme « point de vue » - n’ont plus la moindre signification. M. Joffrin le dit d’ailleurs dans son édito sur la Libye : « De quelque point de vue qu'on se place, de celui de la morale ou de celui de la stratégie, les démocraties européennes ont intérêt à voir naître sur leur flanc sud des régimes amis, qui leur ressemblent et qui chercheront à construire un avenir commun ». Celui qui devrait trouver le petit morceau de rhétorique que constitue cet éditorial succulent, c’est assurément M. Sarkozy qui doit une bonne part de son actuelle impopularité à la plume acérée et vitriolée de M. Joffrin. « Les démocraties européennes ont intérêt… » : De quel type d’intérêt s’agit-il au fait ? N’importe quel type d’intérêt ferait-il aussi bien l’affaire ? Pour M. Joffrin, il semble qu’il n’y ait aucun doute là-dessus. Il n’y a qu’à voir avec quel art l’éditorialiste du Nouvel Obs se livre à un traitement des mots qu’il convoque à l’entreprise de blanchiment de l’opération libyenne.

Ainsi, sous sa plume, les actes les plus contestables se parent des atours de la noblesse, toutes les liaisons dangereuses reçoivent pour ainsi dire un label de sainteté. Que penser de cette bizarre alliance qu’il nous donne comme naturelle : « la légitimité de l'aide des démocraties aux rebelles du Maghreb » ? En outre, peut-on en même temps faire l’éloge de « la force universelle du droit et des libertés publiques » et affirmer que « il fallait, comme on l'a fait, conspirer au grand jour, y compris par la force » ? Autant dire que, à l’occasion, M. Joffrin cultive génialement le paradoxe et l’hétérodoxie. Une accumulation qui finit par faire passer, presque comme une lettre à la poste, cette phrase, impensable dans tout autre contexte : «Nicolas Sarkozy, dont la politique est par ailleurs si contestable, a senti la logique de la situation mieux que beaucoup de diplomates professionnels et fait preuve d'un réflexe salutaire ». Cocorico ! Et pour le coup, il décide de décerner à ce « par ailleurs » si détestable Nicolas Sarkozy et à ceux de son espèce (David Cameron, Obama, Berlusconi…), probablement uniquement pour ce coup, un double certificat de démocratie et de sagesse.

En 1936, face à Franco (1936-1975, soit 39 ans), un autre « tyran grotesque et sanguinaire », ces mêmes démocraties occidentales, si habituellement sages et déterminées à défendre la liberté, ont laissé les non moins courageux républicains espagnols, rebelles soutenus par des brigades internationales, se faire écraser par l’armée de Franco équipée et appuyée par les forces de Mussolini et d’Hitler : 600.000 morts en 3 petites années ! Il n’est pas sûr que si demain M. Joffrin prenait dans son pays, lequel pourrait bien un jour en avoir besoin, la tête d’une révolution de gauche, il aurait le soutien de ces si sages et déterminés démocrates  européens. Il est vrai que pour l’instant, pendant que la crise du surcrédit menace de rompre les digues en Europe, M. Joffrin retourne dans sa tête un tout autre programme : « Une fois Khadafi rejeté dans les poubelles d'une histoire grimaçante, il faut encore arrêter le bras criminel de Bachar el Assad, priorité absolue, stabiliser la démocratie tunisienne, établir l'état de droit en Egypte. Sans oublier la réforme urgente du régime marocain et l'évolution inéluctable de la nation algérienne. On citera encore, pour mémoire, le processus yéménite et la révolte iranienne ». S’agit-il là d’un programme de droite ou de gauche ? Le dénominateur commun en politique extérieure de ce qu’on qualifie de droite et de gauche en politique interne ne serait-il pas « le nationalisme » ? Nationalisme européen ! Ou occidental ? Le concept n’aurait rien de ridicule. Il expliquerait bien l’ordre de priorité que se fixe M. Joffrin lorsqu’il aligne les adversaires à détruire : « un nationalisme arabe tyrannique et inefficace » et « en même temps l'utopie cruelle de l'islamisme ». On sait qu’au XIXè siècle, la systématisation de l’impérialisme occidental (cf. la conférence de Berlin) coïncida avec l’émergence et l’exacerbation des nationalismes en Europe. Et bien souvent, nationalisme rime avec extrémisme, parce que le nationalisme, au fond est une sorte de religion sans ciel. Relisez plutôt l’éditorial de M. Joffrin : « un soutien international, d'une solidarité politique et d'un appui économique sans mélange », ou « ils méritent une sollicitude sans faille »… Et surtout cette magnifique péroraison si puissamment surchargée de passion : « Qu'on aide les premiers et qu'on combatte les autres ! ». Quand on sait que théoriquement la gauche est traditionnellement pacifiste ! Et d’ailleurs, les ennemis que M. Joffrin désigne à la vindicte démocratique ne sont pas véritablement ceux de la gauche. Quand ils ne sont pas ceux du capitalisme libéral (nationalisme tyrannique et fondamentalisme religieux), ils sont ceux du monde occidental chrétien et libéral (le flanc sud de l’Europe, la Chine ou l’Iran). C’est à croire que dans le reste du monde tout n’est que démocratie et sagesse.

Sa conclusion cependant est en partie remarquable de pertinence et permet de mieux comprendre ses propres errements : « Ce ne sont pas les civilisations qui s'affrontent ». Ce ne sont pas non plus, comme il veut le faire croire, « les partisans de la liberté et les complices de la tyrannie » qui s’affrontent. A l’intérieur des civilisations, ce sont des forces organisées, n’hésitant pas à faire feu de tout bois, qui gèrent la paix ou la guerre en fonction de leurs intérêts. Et pour arriver à leurs fins, ils se servent tantôt des outils et des hommes dits de gauche, tantôt des outils et des hommes de droite, ou simultanément, le résultat seul comptant pour eux. C’est pourquoi nous affirmions dans l’avant-propos d’un livre que « les idéologies ne sont que des outils de domination entre les mains des groupes organisés ».

Roger KAFFO FOKOU



24/08/2011
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