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LES SILENCES ASSOURDISSANTS DE LA COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE: un danger pour la sécurité des Camerounais et des institutions du pays?

Par Roger KAFFO FOKOU

 

Le Cameroun est entré dans le cycle du Covid-19 depuis le 6 mars 2020, cela fait déjà plus d’un mois. En un mois, le pays est passé progressivement de la phase 1 de cette pandémie, celle de l’importation du virus, à la phase 2, celle de la propagation communautaire. On frôlera bientôt la barre des 1000 testés positifs, un record en Afrique subsaharienne si l’on exclut l’Afrique du Sud.

Tant bien que mal, la riposte gouvernementale camerounaise s’est organisée : les 13 mesures depuis reconduites du Premier Ministre chef du Gouvernement, les points de presse quotidiens du ministre de la santé, les interventions sporadiques du ministre de l’administration territoriale ou de celui de la communication, les initiatives louables mais timides encore des autorités locales. Ce maillage n’est pas toujours très cohérent, et manque visiblement de puissance face à l’épidémie qui, elle, monte en puissance et s’étend sur le pays. L’inquiétude, d’abord intellectuelle, importée, passe elle aussi en phase 2. Des masques apparaissent de plus en plus dans les rues. Il est cependant une chose qui préoccupe à défaut d’inquiéter les Camerounais : ils sont en guerre contre le Covid-19 et n’ont pas, depuis un mois, des nouvelles de leur commandant en chef, le Président de la République.

On les assure, en creux, que cela n’est pas un problème. L’équipe gouvernementale assure, affirme-t-on, et il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Sur l’ensemble des chaînes d’information qui inondent les écrans, les Camerounais peuvent pourtant voir au front tous les autres chefs d’Etat prendre eux-mêmes en main la lutte dans leurs pays respectifs, communiquer régulièrement, descendre sur le terrain, présider des réunions de crise, assumer directement des mesures populaires mais souvent impopulaires, bousculer eux-mêmes au besoin des populations qui ont quelquefois des réticences à suivre le train de restrictions inédites et difficiles.

C’est devenu un tabou au Cameroun de parler du Président de la République. Son grand âge n’est pourtant pas en soi une maladie. En Afrique, on dit que « la sagesse est du côté de la barbe blanche ». Son état de santé est tout autant un tabou. Les Camerounais l’ont pourtant élu pour qu’il les gouverne. Ils n’ont par contre pas élu M. le Premier Ministre, si compétent soit-il, ni a fortiori ses ministres. Ce n’est donc ni à M. Ngute, ni à M. Manaouda ou quelque autre ministre que les Camerounais ont le droit de demander des comptes, c’est à leur Président de la République. Et ce dernier a l’obligation de leur répondre, que ceux-ci soient de son bord politique ou de l’autre, qu’ils aient voté pour lui ou contre lui, qu’il se réjouissent de son élection ou la contestent. Il est donc temps de lever ce tabou et de rassurer les Camerounais qu’ils ont toujours leurs droits constitutionnels, que la République officielle n’a pas encore décidé de les en priver.

Comment pourrait-on convaincre les Camerounais que les mesures gouvernementales actuelles de riposte contre le Covid-19, si visiblement insuffisantes pour tout le monde – inutile d’entrer dans le détail d’une insuffisance qui crève les yeux – ne seraient pas différentes si le Président de la république lui-même montait au front ? Dans les années 90, n’a-t-il pas fallu qu’il monte au front pour que la tripartite ait lieu ? Au lendemain de l’élection présidentielle de 2018, n’a-t-il pas également fallu qu’il monte au front pour que se tienne le Grand dialogue national ? il est clair qu’au Cameroun, chaque fois que s’est passé quelque chose de significatif, le Président de la République s’est personnellement et physiquement mis à contribution. Son absence et son silence actuels, à l’heure où le Covid-19 amplifie son emprise sur le pays, met en danger la vie des Camerounais et fragilise les institutions de la République.

Cette absence et ce silence sont en effet une diversion inopportune à un moment qui nécessite une concentration maximale de la part de tous. A l’incertitude due au Covid-19, ils ajoutent une incertitude politique qu’alimentent abondamment les réseaux sociaux. Ils ont un impact sur l’action du Gouvernement quoi qu’on en dise, et on peut voir que celle-ci manque de force, de profondeur, de cohérence. Le gouvernement camerounais n’a jamais réellement su communiquer même sur des sujets inoffensifs. Et il pense souvent pouvoir pallier cette faiblesse par une volonté de censure pas toujours productive. Face à une possible désinformation préméditée ou mécanique telle que les réseaux sociaux prédisposent naturellement à en produire, le remède efficace, ce n’est pas la censure mais la transparence. Evidemment la transparence ne consiste pas à tout dire, mais à ne pas cacher ce que la raison d’Etat ne l’exige pas. Le monde entier a appris la maladie de Boris Johnson en même temps que les Anglais. On n’a sûrement pas diffusé exactement, au détail près, le bulletin de santé de ce dernier. Mais les Anglais sont plus rassurés du simple fait qu’ils ont ainsi la preuve que si quelque chose de grave arrivait à leur Premier Ministre, ils en seraient informés. Ce n’est pas la transparence absolue, mais qui peut exiger d’un Etat la transparence absolue s’il ne cherche pas à en saper les institutions et mettre en danger les vies individuelles et collectives ? A contrario, qui peut se satisfaire d’un état d’opacité où le droit à l’information du citoyen, surtout lorsqu’il touche l’institution la plus sacrée du pays, est paralysé, mis entre parenthèses, remplacé par l’injonction de se taire et de circuler ?

 



09/04/2020
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