L’exposition quotidienne aux écrans, même courte, nuit aux résultats scolaires
Recueilli par Paula Pinto Gomes, le 06/11/2014
ENTRETIEN. Une nouvelle étude démontre qu’une utilisation des écrans inférieure à deux heures par jour a des effets sur les résultats scolaires.
Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm, auteur de « TV lobotomie, La vérité scientifique sur les effets de la Télévision » fait le point sur l’état des connaissances actuelles en matière d’écrans.
Une récente étude américaine a mis en évidence une baisse des résultats scolaires chez les enfants exposés aux écrans et, ce, dès 30 minutes d’utilisation quotidienne. Qu’en pensez-vous ?
Michel Desmurget : J’ai vu cette étude et les résultats ne me surprennent pas. Cela fait trente ans que des travaux vont dans le même sens. Les premiers portaient sur la télévision, un média sur lequel nous avons aujourd’hui beaucoup de recul, mais depuis les années 1995-2000, les chercheurs se penchent également sur les effets des jeux vidéo, des ordinateurs, des tablettes et autres smartphones et les travaux aboutissent aux mêmes conclusions : les écrans récréatifs ont des effets délétères sur les résultats scolaires.
En Nouvelle-Zélande, une étude menée pendant 25 ans auprès de plusieurs milliers d’enfants a démontré que ceux qui regardaient la télévision deux heures par jour à l’école primaire avaient quasiment deux fois plus de risques de sortir du système scolaire sans diplôme. Les chercheurs ont évidemment tenu compte du statut socio-économique des familles, mais la télévision s’est avérée le facteur déterminant.
Les auteurs d’une autre étude américaine ont également observé une baisse des notes en mathématiques (26 %) et en français (21 %) chez les enfants qui avaient un écran dans leur chambre. Ils ont démontré un lien de causalité puisqu’en retirant l’écran, les notes augmentaient. Certains considèrent encore aujourd’hui qu’une exposition aux écrans inférieure à deux heures par jour n’a pas de conséquences significatives. Pourtant, de plus en plus de littérature scientifique prouve que les effets sur les résultats scolaires commencent plus tôt.
En France, l’Académie des sciences a rendu un avis moins alarmant sur l’utilisation des écrans, y compris par les jeunes enfants. Comment s’y retrouver ?
M. D. L’avis de l’Académie des sciences a scandalisé une grande partie de la communauté scientifique. Quelques jours après la publication du rapport, 60 chercheurs signaient une tribune dans le journal Le Monde pour en contester la méthodologie et les recommandations. La plupart des auteurs du rapport ne sont pas des spécialistes des effets des écrans sur la santé des enfants. Et ceux qui écrivent des livres sur le sujet n’ont jamais publié de littérature scientifique. Cela pose donc un vrai problème, d’autant que ce travail véhicule de graves ambiguïtés notamment sur les effets des jeux vidéo. À en croire l’Académie, ceux-ci « améliorent les capacités d’attention visuelle et de concentration ». Or, non seulement c’est faux, mais c’est même le contraire qui se produit. Au mieux, ces jeux développent une attention de « distractibilité », pour réagir aux bruits et à tout ce qui bouge dans l’environnement, mais des dizaines d’études montrent qu’ils ont une influence très négative sur l’attention soutenue, celle qui est sollicitée dans les apprentissages scolaires.
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Les jeux vidéo jouent donc sur l’attention. Quels sont les autres effets des écrans sur les enfants ?
M. D. : Les jeux vidéo et les films violents peuvent aussi favoriser les conduites agressives. D’une manière générale, tous les écrans entraînent un déficit de l’attention chez les enfants. On sait également, de manière très documentée, qu’ils ont un impact sur le langage. Ainsi, lorsque la télévision est allumée plusieurs heures par jour dans un foyer (en France, c’est 6 heures en moyenne, selon Médiamétrie), un enfant à moitié moins d’interactions verbales et cognitives avec ses parents ou ses frères et sœurs. Les recherches ont démontré qu’on n’apprend pas à parler devant la télévision, même avec des programmes prétendument éducatifs.
L’exposition aux écrans a en outre des conséquences sur le sommeil. La lumière d’un grand format perturbe la sécrétion de mélatonine, l’hormone des rythmes biologiques. Quant aux smartphones, avec lesquels beaucoup d’adolescents s’envoient des SMS la nuit, des travaux ont récemment démontré qu’ils entrecoupent le sommeil et en détériorent la qualité.
Enfin, une étude australienne a permis d’établir un lien direct entre exposition aux écrans et développement du système cardiovasculaire chez des enfants de 6 ans. Ces résultats pourraient expliquer, en partie, l’effet d’une consommation massive d’écrans sur la mortalité cardiovasculaire chez l’adulte.
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Pour améliorer les résultats scolaires, l’étude américaine sur les effets des écrans recommande aux parents de faire participer les enfants aux tâches ménagères. Cela vous surprend ?
M. D. : Non, car plusieurs études ont démontré que la capacité d’effort (faire ce qui doit l’être même si c'est rébarbatif) est sérieusement mise à mal par l'usage des écrans et la culture du divertissement. De récents travaux ont montré que l'effort est le déterminant majeur de la réussite scolaire, avant le QI de l’enfant, le statut socio-économique des parents, ou le niveau d’études de la mère. Il semble donc pertinent d’habituer les petits à faire des choses qui ne sont pas forcément amusantes, comme les tâches ménagères ou les devoirs, pour les aider acquérir cet indispensable sens de l’effort.
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Si l’utilisation des écrans, même modérée, peut entraîner une baisse des résultats scolaires, est-ce bien raisonnable de développer le numérique à l’école ?
M. D. : Il faut distinguer les écrans récréatifs et les écrans de travail. Mais les outils numériques actuels n’apportent rien aux apprentissages cruciaux : langage, lecture, écriture, calcul, créativité, capacité de mémorisation et de synthèse, goût de l’effort. Le département américain de l’éducation a déjà testé une dizaine de logiciels de mathématiques et d’anglais parmi les plus utilisés dans les écoles et les résultats ne relèvent aucun effet positif. Idem pour une enquête PISA, qui s’est aussi penchée sur la question. Lorsqu’on voit des établissements new-yorkais se déconnecter ou des écoles primaires selects de la Silicon Valley bannir les écrans, il y a de quoi s’interroger.
Quels conseils donneriez-vous aux parents ?
M. D. : L’Académie américaine de pédiatrie recommande aux parents de ne pas exposer les enfants aux écrans avant l’âge de deux ans (l’Académie française des sciences, elle, fixe la limite à 6 mois). Étendre ce conseil à toute la durée de la maternelle me paraîtrait sage. Pour les plus grands, l’institution conseille de limiter l’utilisation à une ou deux heures par jour (la moyenne aux États-Unis est à 7 h 40) et de retirer les écrans des chambres à coucher. Elle encourage en outre les parents à accompagner les enfants et à contrôler strictement les contenus. Pour ma part, j’ajouterais quelques règles de bon sens : pas d’écran le matin avant l’école, pendant les repas, les devoirs ni avant d’aller au lit.
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