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Lions indomptables : « Ce n’est pas de la faute du miroir … »

Par Roger KAFFO FOKOU, poète et essayiste

«Ce n'est pas de la faute du miroir si tu as la gueule de travers »,  a dit Nikolaï Gogol. Il est cependant naturel que l’on ne reconnaisse pas l’image de soi que renvoie le miroir, surtout si celle-ci n’est pas valorisante. C’est sans doute là le mystère de toute l’histoire actuelle des Lions indomptables.  

Quand en effet les Lions indomptables brillaient sur tous les stades et ramenaient des trophées, chaque Camerounais se reconnaissait en eux et bombait le torse à la moindre occasion. Le premier Camerounais, comme l’on dit, n’arrêtait pas de les citer dans ses discours, urbi et orbi passez-moi l’expression. Mon Dieu ! comme ils étaient grands, forts et beaux, ces lions ! Véritablement irrésistibles. Ils étaient des géants et, indiscutablement, c’était notre sang qui coulait dans leurs veines. Mais ça, c’était le passé, l’époque de Roger Milla, Thomas Nkono, Théophile Abéga, Antoine Bell, Louis Paul Mfédé… dont beaucoup sont aujourd’hui de regrettée mémoire, paix à leurs âmes, et aussi, gloire à leur mémoire. Ah ! si seulement l’on pouvait remonter le temps, et nous rendre notre fierté passée, nos honneurs perdues ! Car ces lions-là, c’étaient véritablement nous, n’est-ce pas ?

Ceux d’aujourd’hui, la génération des Samuel Eto’o fils, Alexandre Song, Stéphane Mbia, Landry Nguemo et autres, de qui tiennent-ils vraiment ? Ne dirait-on pas des enfants bâtards ? Des fils adoptifs ? Des mercenaires recrutés hors de nos frontières ? Le beau et glorieux nom de « Lions indomptables », ils l’ont traîné dans la boue sur les stades de tous les continents. Le mondial brésilien ne représente-t-il pas le sommet de cette spirale de l’humiliation ? Aussi certains n’hésitent-ils plus devant les adjectifs forts : intolérable, inadmissible… ! D’ailleurs on s’active déjà à dresser le pilori… Mais au fond, pour peu qu’on ait conservé, dans tout ce chahut, ce charivari, un peu de lucidité, l’on ne peut s’empêcher de se poser quelques questions : pourquoi seulement maintenant et pourquoi seulement les lions du football ?

Quand nous avons brigué et remporté plusieurs années de suite le trophée du pays le plus corrompu au monde, cela nous a choqués juste un tout petit peu. Personne n’a eu l’air scandalisé de ce que la fierté de notre drapeau – « Comme un soleil ton drapeau fier doit être » - venait là de prendre une sacrée éclaboussure. Nous avons consciencieusement reconduit cette autre équipe des Lions indomptables – ceux de la politique – d’élection en élection, sans lésiner sur les scores, et fêté bruyamment leur maintien aux affaires, à tous les coups. Nous l’avons fait d’autant volontiers que chacun de nous est, au quotidien et à de rares exceptions près, un petit ou un grand corrompu ou corrupteur. Nous nous sommes reconnus dans ces Lions indomptables de la corruption et, en les reconduisant aux affaires, c’était un peu nous-mêmes que nous reconduisions.

Les Lions d’aujourd’hui aiment trop l’argent ? N’ont-ils pas de qui tenir ? Nos prisons ne sont-elles pas aujourd’hui remplies de prévaricateurs ? De gens qui ne se donnent pas la peine de détourner de l’argent à moins qu’il ne s’agisse de monceaux de milliards ? Nos rues et bureaux ne grouillent-ils pas de criminels économiques dont la liberté ne repose finalement que sur le laxisme d’un épervier dont on se demande de plus en plus si lui-même n’est pas corrompu ? Cette foire d’empoigne qu’est devenue la Fécafoot depuis des lustres, où l’on se dispute les milliards du football à couteaux tirés, pourquoi nous émeut-elle si peu ? Ces officiels qui de retour de compétitions internationales se voient contraints de reverser des trop perçus de plus 40 millions de francs chacun, qu’y sont-ils allés faire qui leur donnait le droit d’empocher autant d’argent ? Ces châteaux mirifiques dont les fonctionnaires dressent les collines de nos villes et campagnes, les ont-ils construits avec leurs salaires ou le fruit de la déprédation des deniers publics ? Autrefois, on eût dit : « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre ! », et l’affaire eût été conclue. Aujourd’hui, c’est le bandit qui forme le bandit, et traque ensuite ce dernier, sans pitié…

Les Lions d’aujourd’hui sont devenus des barbares ? Même quand on ferme les yeux, on ne peut s’empêcher d’être hanté par le cauchemar du geste assassin d’Alexandre Song, sans oublier cette autre éruption de violence entre les lions eux-mêmes. Et l’on se prend à imaginer l’ambiance des vestiaires, des entraînements… Les disparus de Bépanda, l’enfant de Vanessa, les violences de février 2008, de Deido, les victimes des sacrifices rituels de Mimboman, les incendies quotidiens des marchés et les violences devenues banales les salles de classes au Cameroun… Ce pays de mécontents et de frustrés qui se contiennent chacun comme il peut, et qui rient d’un jaune foncé d’impuissance ; ce sourd magma de colère et de rage qui bouillonne dans les entrailles individuelles et collectives et profite de la moindre fissure pour se lâcher un peu ou beaucoup, peu importe l’heure ou le lieu. Pourquoi personne ne semble-t-il se rendre compte de ce que notre pays tout entier et tous pans confondus se barbarise chaque jour un peu plus ? « Autrefois tu vécus dans la barbarie », chantions-nous naguère : « autrefois », ce sera peut-être demain si ce n’est déjà aujourd’hui !

Les lions indomptables des années 80 et 90 étaient les produits d’une autre école, d’une autre société. D’une école fondée sur le sérieux, la discipline, le sens de l’effort et de la juste récompense de l’effort, d’une société où la tricherie et la corruption, sans être absentes, étaient marginales. A l’époque, comme aurait dit saint Matthieu, « un oui était un oui et un non était un non ». Il y avait des repères et ceux-ci ne nomadisaient pas au gré des intérêts des potentats de l’instant. Nous avons détruit cette école-là, par calcul ou par lâcheté, et avec celle-ci la société qu’elle nourrissait. Sur les ruines de cette école-là, toute une société en friche est en train de s’imposer. Elle est faite de paresse, de tricherie, de corruption, de tribalisme, de sectarisme, de violence, de gangstérisme, de barbarie... Cette société-là, elle aussi, est à notre image. Elle est à l’image de nos oublis, de nos démissions, de nos mensonges, de nos lâchetés, de nos incuries, de nos trahisons. Cette image que nous renvoient les Lions indomptables actuels, et qui nous incommode, nous indispose, nous choque, nous insupporte, nous révolte, ouvrons bien les yeux et regardons-la. Elle est l’image de ce que nous sommes devenus, petit à petit. Elle est grimaçante, hideuse, repoussante, nauséabonde, inadmissible, intolérable,  sans doute parce que  nous n’y avons plus la gueule à sa place. Mais est-ce vraiment la faute du miroir si nous avons désormais la gueule de travers ?



23/06/2014
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