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LOI DE FINANCES 2022: ces innovations qui rackettent le citoyen au sens propre du terme

Le principe du consentement à l’impôt, que l’on peut faire remonter au fondement du système démocratique et plus spécifiquement du parlementarisme consiste à poser que l’impôt ne peut être valablement prélevé en droit que si son redevable y a manifesté son accord. Ainsi l’impôt peut-il se différencier du tribut et du simple racket.

A l’origine du consentement à l’impôt, il y a le parlementarisme britannique avec la signature de la Magna carta de 1215 qui est l’expression de la résistance victorieuse des seigneurs féodaux à la volonté monarchique du roi de lever de force des impôts pour financer ses guerres et ses dépenses somptuaires. La révolution française de 1789 va s’aligner sur cette position de principe et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en son article 14 consacrera ce choix dans des termes clairs et sans ambiguïté : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Encore faut-il que le parlement soit légitime, en d’autres termes qu’il soit véritablement issu du peuple et soit conscient que le non respect de la volonté de ce peuple équivaudrait pour ses membres à un suicide de carrière. On a pu voir au parlement ghanéen récemment la levée de bouclier qu’a suscité la volonté de l’exécutif de ce pays de taxer les transactions financières numériques. La fronde des parlementaires a été telle que l’adoption de la loi a dû être reportée.

Au Cameroun, une loi similaire est passée comme une lettre à la poste. En fait, au cours de la session des finances récente, le parlement camerounais, solidaire et complice du gouvernement, a passé au moins deux lois qui constituent ni plus ni moins des actes non pas seulement d’imposition sans consentement de l’impôt, mais de passage en force que l’on pourrait assimiler à des actes de vol ou de racket. Dans le cas de levées de tributs, le souverain est un suzerain qui impose ses conditions de protection à des vassaux, ces derniers n’ayant pas d’autre choix que de se plier au diktat suzerain. L’Etat camerounais serait-il aujourd’hui en guerre contre le peuple et considère-t-il avoir gagné cette guerre, en tout cas que le peuple l’a perdue, et que par voie de conséquence il n’a pas d’autre choix que de lui payer tribut ? On pourrait le penser. A moins qu’il ne s’agisse d’une plus banale histoire de racket digne d’un simple gang qui s’est approprié l’appareil de l’Etat et en use pour ses propres intérêts ? Regardons d’un peu plus près ces innovations fiscales.

D’abord l’impôt sur les tontines. Au pays des « tontinards », on devrait mieux savoir ce qu’est une tontine que quiconque ailleurs où cette pratique n’est pas assez controversée pour permettre des stigmatisations de masse. Et peut-être bien que cet impôt n’est au fond qu’une manière détournée de poursuivre l’affrontement entre « tontinards » et « sardinards » sur le plan fiscal ? Pourquoi ceux qui consomment des sardines paieraient-ils des impôts (la TVA à 19,25%) alors que les « bouffeurs » de tontines seraient à l’abri ? Mais la TVA taxe la valeur ajoutée. La tontine produit-elle une quelconque « valeur ajoutée » ? J’ai entendu des économistes chevronnés répondre à cette question par une affirmation péremptoire. Voyons ce qu’il en est dans les faits.

La tontine, il faut le dire, gère l’épargne de ceux qui y participent. Cette épargne a généralement déjà payé l’impôt, que ce soit sur le revenu ou autre. C’est la quotité du revenu dont la consommation est décalée et qui tombe dans la tontine. Celui qui affecte son épargne à la tontine s’oblige simplement à épargner. Il pourrait choisir de la mettre dans un compte d’épargne et cet argent lui rapporterait même des intérêts, mais il n’aurait plus la même contrainte d’épargner. Dans la tontine, elle ne lui rapporte rien. Ce qu’il tontine en douze mois est rigoureusement égal au montant mensuel multiplié par douze, sans intérêt, sans rien. Pas un franc de plus. Mais il peut obtenir ce gain au bout d’un mois ou de douze, dépendamment du tirage. On suppose alors qu’il a obtenu un crédit sans intérêt de 11 mois s’il l’obtient à la fin du premier mois. Qui perd ? Le banquier et les autres membres de la tontine. Mais ces derniers ont consenti à la possibilité de cette perte dès le départ. Qui y gagne ? Le bénéficiaire, l’économie c’est-à-dire l’Etat, et ultimement le banquier. Voyons en quoi. Pour le bénéficiaire, c’est évident. Pour l’Etat, cela devrait l’être, tout au moins pour des économistes dignes de ce nom. L’argent bénéficié est investi le lendemain dans l’économie et paie automatiquement toutes sortes d’impôts : TVA pour l’achat de biens, impôts sur le chiffre d’affaires d’entreprises créées, cotisations sociales et salaires de personnels recrutés et employés, etc. Et les gains des uns et des autres aboutissent immanquablement dans des comptes bancaires, ce qui fait l’affaire du banquier qui, quel que soit le cas de figure, ne perd jamais. Les autres membres de la tontine ont pensé judicieux de réduire leurs pertes en vendant chaque mois le produit de la tontine. Comment cela se passe-t-il en fait ?

On met aux enchères la cagnotte mensuelle. Le plus grand enchérisseur l’emporte. Le montant de l’enchère est déduit de ce qu’il reçoit et au lieu de x fois n (mois), il ne reçoit plus que x fois n (mois) moins le montant de l’enchère, et ce montant mis en caisse, est repartagé en fin de cycle à tous. Le bilan cyclique de la tontine affiche donc un équilibre parfait. Pas de valeur interne ajoutée, donc rien à taxer. Vouloir taxer les tontines, c’est vouloir s’attaquer aux économies de ceux qui ont choisi ce mode d’épargne. C’est l’équivalent d’un racket légalisé. Il va soit aboutir à la dissimulation des tontines et rendre plus difficile la pratique de l’épargne, soit tuer progressivement la volonté d’épargner. Mais c’est peut-être le but inavoué de cette manœuvre qui a tout l’air d’une stratégie punitive. Qu’en est-il de la taxe sur les transactions numériques ?

Vous avez une somme d’argent dans votre poche. Vous voulez en prélever une partie pour la donner à un tiers, donation, paiement d’un service rendu ou paiement d’une dette. Si vous êtes en face de votre créancier, vous ne payez rien de plus que ce que vous lui devez. Si la personne est loin de vous, vous avez besoin de passer par un intermédiaire et le service de cet intermédiaire, vous devez le payer, c’est normal. Avant, c’était la poste. Maintenant, ce sont les opérateurs avec des capacités numériques. Ils vous font payer le service qu’ils vous rendent en facilitant vos transactions. L’Etat peut taxer les frais que vous payez à ces opérateurs, en estimant qu’ils se font beaucoup d’argent sur votre dos. Que vient faire l’Etat dans ce processus ?

En principe, l’Etat doit s’assurer que l’on ne vous fait pas surpayer. C’est le principe du juste prix. Et comme celui qui vous fait payer exerce une activité commerciale, c’est à lui de contribuer à l’impôt. L’Etat ne peut pas vous faire payer dans ses caisses un service qu’il ne vous a pas rendu, ce serait l’équivalent d’un vol pur et simple. Pourquoi ne décrète-t-il pas que chaque fois que vous donnez en espèces un franc à un tiers vous devez lui payer une taxe sur cette transaction en espèces ? Ce serait établir l’égalité devant l’impôt, un autre principe bien connu de la légalité de l’impôt.

Imaginez que vous prenez le taxi à deux cent cinquante francs, et au lieu de se payer dans la poche du taximan qui est le seul en la circonstance à exercer une activité lucrative, l’Etat décide que vous allez aussi le payer, simplement pour avoir demandé un service que vous avez payé. Que cherche-t-il au fond ? A vous rendre la vie difficile parce qu’il vous sera de plus en plus difficile de demander des services en sachant que vous allez être obligé à payer deux fois, une première fois à celui qui vous a rendu service, une deuxième fois à quelqu’un qui ne vous a rendu aucun service. En fait, cela revient à vous sanctionner pour avoir demandé un service payant, pour avoir aidé l’économie à tourner.

Ces innovations ne se justifient donc ni moralement (ce sont des vols, des rackets), ni économiquement (ce sont des non sens économiques qui vont à terme asphyxier l’économie). Elles montrent que l’Etat camerounais est entré en guerre contre ses propres citoyens, en partie et en totalité, et qu’il considère cette guerre soit comme déjà gagnée, soit comme imperdable. La légalité dont il se sert comme arme s’est tellement éloignée de la morale sociale et économique qu’elle ne peut plus être que le symptôme d’un basculement dans un univers irrationnel où le rêve se confond avec le cauchemar.  

Roger Kaffo Fokou

 



05/01/2022
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