M. Bernard-Henri Lévy : philosophie théâtrale et théâtre de la philosophie
« L’art de la philosophie ne vaut que s'il est un art de la guerre. », lit-on sur le bandeau d’un blog appartenant ou consacré à Bernard-Henri Lévy. Une association entre philosophie et guerre autour M. BHL qui colle véritablement à l’actualité par ces temps où de nombreux va-t-en-guerre ne quittent plus le pourtour de la Méditerranée sud où, comme depuis toujours, semble se rejouer une carte maîtresse de l’avenir de l’Europe. M. BHL est certainement un philosophe, un vrai. S’il y avait le moindre doute sur le sujet, tant de gens, qui ne sont visiblement pas des idiots, ne s’entendraient pas pour lui accoler cet attribut, lequel est presque toujours ronflant dans le contexte occidental. Mais quel type de philosophe est-il ou plutôt quel type de philosophie fait-il ? Toujours sur le blog cité plus haut, il semble que quelqu’un, peut-être M. BHL lui-même, ait pris un malin plaisir à anticiper cette question : « Philosopher pour nuire à ceux qui m'empêchent d'écrire et de philosopher. Philosopher pour empêcher, un peu, les imbéciles et les salauds de pavoiser ». Très beau programme, il faut bien l’avouer. Il n’a pas l’air très positif comme programme mais n’empêche. Il ne semble pas non plus charrier à première vue de la sagesse, comme tout programme philosophique qui respecterait l’étymologie du vocable philosophie. Il n’y a qu’à voir la délicatesse du lexique qui y sert à désigner les contemporains de M. BHL. Ce dernier dira qu’il n’y a aucune efficacité à user de sagesse envers les C… et les tyrans, à moins de faire partie de ce qu’il appelle les « tétanisés par le Pouvoir, les envoûtés de la Tyrannie ». Peu importe si cette catégorie vilipendée par M. BHL se trouve, au final, tellement large qu’elle pourrait englober le monde entier, en commençant par M. BHL lui-même. Car au fond, tous ces pouvoirs qui s’auto-décernent le label de démocraties en sont-ils réellement ?
Etienne de la Boétie, qui ne devait pas être un philosophe, ou alors pas un bon, et se méfiait, peut-être sans raison, de toutes les formes de légitimité, distingue dans son célèbre Discours sur la servitude volontaire trois formes de légitimités qu’il assimile à autant de formes d’oppression : « Il y a trois sortes de tyrans. Les uns ont le royaume par élection du peuple, les autres par la force des armes, les autres par succession de leur lignage ». Je déteste les tyrans autant que M. BHL, à commencer par le colonel Khadafi, qui heureusement n’est plus au pouvoir, un peu grâce à M. BHL, bravo ! Je déteste les tyrans comme M. Cameron qui n’a pas supporté il y a quelques jours une manifestation de jeunes dans Londres et quelques villes anglaises, des jeunes qui entendaient manifester justement leur liberté de manifester… J’exagère mais à peine. Est-ce que M. Sarkozy, en bon démocrate, a consulté le vaillant peuple français avant d’engager son armée en Lybie, en Afghanistan ou ailleurs ? Est-ce qu’avant de ruiner le bon peuple français pour sauver les milliards de ses amis que la crise bancaire menaçait de dissoudre, est-ce qu’avant cela il a consulté, démocratiquement, le peuple français ? Est-ce qu’il a demandé aux Français s’ils voulaient qu’il se serve de leurs impôts pour éponger les dettes des Grecs qui, eux, détestent payer les impôts ? Vous avez là un drôle de démocrate ! C’est vrai en effet, comme le dit M. BHL, que « les dictatures ne tiennent que par le crédit qui leur est fait ».
Je déteste les dictateurs, en commençant par M. Khadafi, mais je déteste tout autaant que, sachant que j’ai cette faiblesse-là, l’on me maquille des tyrans en démocrates pour me pousser à les aimer. Parce que, pour le coup, ces tyrans-là, qui ne paraissent pas en être, deviennent plus dangereux que ceux qui s’affichent comme ce qu’ils sont vraiment. A quelle espèce de jeu M. BHL joue-t-il ? Les peuples finissent toujours par en avoir marre des tyrannies qui jouent aux démocraties, et comme dans la Grèce antique, remplacent un jour ou l’autre ces « démocrates de théâtre » par de vrais tyrans qui eux refusent de jouer et font véritablement ce à quoi les prédispose ouvertement leur statut. N’est-ce pas là ce qui était arrivé à la « république théâtrale » de Weimar en 1933 ? A quelle espèce de jeu M. BHL joue-t-il ? nous demandions-nous. Peut-être tout bêtement à la philosophie de théâtre : sa façon de s’opposer, comme il l’affirme, au reste de la politique de Sarkozy n’a-t-elle pas quelque chose de théâtral au vu de la proximité habituelle qu’il adopte envers le pouvoir sarkozy ? Et ce carnaval organisé en Libye, autour de rebelles, tantôt populations civiles en danger, tantôt combattants de la liberté, prenant sans coup férir des villes que l’aviation de l’OTAN avait pris soin de vider à l’avance, et vidant hystériquement leurs chargeurs sur des décors éventrés et désertés pour le bonheur de cameramen encadrés pour la circonstance ?
Je suis moi-même un fervent défenseur de la liberté et je fais réellement un grand effort pour comprendre M. BHL dans son enthousiasme lyrique lorsqu’il affirme : « Je veux saluer ces aviateurs européens et, en particulier, français qui livraient une guerre qui n'était pas tout à fait –admirez ce tout à fait ! - la leur, mais dont la mission fut de prendre le temps nécessaire à ce secours aux populations civiles dont les Nations unies leur avaient donné le mandat ». J’aurais certainement partagé, et sans réserve, ce lyrisme patriotard si ces braves mousquetaires européens, français, avaient ainsi volé au secours du peuple somalien dont personne ne doute qu’il soit véritablement en danger depuis un temps qui, je crois, est long même de l’avis de M. BHL. Là-bas, en Somalie, la ténacité de ces aviateurs aurait servi une cause indiscutablement humanitaire et M. BHL n’aurait pas eu besoin de sortir sa plus belle rhétorique pour qu’ils méritent nos éloges.
Terminons par une petite remarque en passant. Sur le blog de M. BHL, nous lisons qu’il fait de la philosophie pour en finir avec Hegel entre autres, tous ces vieux démons de la pensée occidentale que l’on n’en finit plus d’exorciser. Lorsque M. BHL s’essaie à un rudiment de philosophie historique, se démarque-t-il vraiment de Hegel ? C’est à voir. En paraphrasant le titre du livre autrefois célèbre de John Reed (Dix jours qui ont changé le monde, sauf que l’illusion est depuis passée et que le monde semble être resté égal à lui-même !), - il parle de « ces six mois qui ont peut-être changé le visage de ce début de siècle » - M. BHL trahit une filiation qu’il déteste certainement mais qui se révèle par là tenace. Ce qui meurt, affirme-t-il, c’est « une conception ancienne de la souveraineté où tous les crimes sont permis pourvu qu'ils se déroulent à l'intérieur des frontières d'un Etat ». Ce n’est malheureusement pas une « conception de la souveraineté » qui meurt, ce n’est qu’un cas d’espèce qui s’effondre, et ce n’est déjà pas peu, il faut le reconnaître. Par contre, et cela M.BHL ne le remarque pas, une conception déjà fort ancienne de la souveraineté se renforce : celle où tous les crimes sont permis pourvus qu’ils se déroulent à l’extérieur des frontières d’un Etat puissant.
Roger KAFFO FOKOU, Ecrivain.
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