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Madagascar : le hold-up se légalise et peu à peu se légitime

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Demain sera à l’Afrique, l’Harmattan, 2008

 

A Madagascar, le fait accompli se consolide ; le hold-up se légalise et peu à peu se légitime. Malgré une fraction indiscutablement importante du peuple malgache ; malgré la SADEC et l’UA. Le fait du prince est toujours prééminent et les compromis à l'échelle mondiale se négocient à un niveau auquel n’accède pas l’Afrique. La « commission trilatérale » à laquelle n'appartient pas l'Afrique traduit bien cette situation d’un continent inexistant à la table de la stratégie mondiale. Un peu naïvement, nous écrivions dans le feu de l’action lorsque l’on imposait l’actuel pouvoir malgache : « quand la rivière sera à sec, on verra ce qui y mangeait les poissons ». En voyant le Sieur Rajoelina reçu il y a quelques jours sur le plateau de France 24 comme n’importe quel vulgaire invité, lui qui porte toute la dignité Malgache, des plaies se sont rouvertes. Oui, quand la rivière sera à sec… Mais justement, il est « probable ? » « possible ? » qu’à ce moment-là il n’y aura plus de poissons à protéger ! Décidément, je n’aime pas cette Afrique-là.

 

Je n’aime pas cette Afrique-là, disait déjà en son temps Paul Niger, le poète guadeloupéen comme son nom ne l’indique pas. Eh bien, décidément, il n’a jamais cessé d’avoir raison et aujourd’hui plus qu’hier, comme lui, je n’aime pas du tout cette Afrique-là : l’Afrique des foules que l’on manipule éhontément depuis des capitales outre-africaines, sous les soleils homicides comme à Madagascar pour installer au pouvoir des ménestrels ou plutôt des ménétriers, des bardes qui se trompent d’histoire qui se trompent de géographie qui se trompent de héros ; l’Afrique des coloniaux et des néo-coloniaux vêtus des couleurs discrètes de la coopération et qui vous promettent le ciel quand la terre se dérobe sous leurs propres pieds.


Car en quoi cette catastrophe qu’est devenu Madagascar ressemble-t-elle à Madagascar la rebelle, la convoitée, cette « île aux syllabes de flamme » que chante Rabemananjara ? Bien sûr elle est restée une île flamboyante où la colère du peuple flambe vite les rues comme un incendie de saison de famine, une île où les renards à la verve facile chassent du poussin, du flamant-rose pour protéger les trésors spoliés au profit de commanditaires encagoulés. Elle est restée plus que jamais cette île des hallucinés de l’azur où la démagogie allume au quart de tour la révolte dans les ventres que l’on tient affamés pour le cas où une marionnette s’aviserait de vouloir échapper à ses ficelles. 

  

Madagascar est pourtant opportunément placée sur la route des Indes orientales quand bateaux de tous les tonnages, évitant les forces arabo-musulmanes, charriaient par tonnes d’immenses richesses d’un bout du monde à l’autre par le cap de bonne espérance. Cette position stratégique déjà au XVIè siècle fit de l’île un morceau de choix âprement disputée jusqu’à la conférence de Berlin où elle sera gagnée par la France avant de se voir octroyée une « indépendance » qu’elle ne va pas cesser de payer de si tôt. Sinon, comment comprendre les derniers événements politiques survenus sur la grande île ?


Voilà un président élu difficilement  mais à qui un ambitieux programme de réformes largement approuvé permet par la suite d’être bien réélu, Ravalomanana ; quels puissants  intérêts a-t-il mis en danger ? Il a remplacé le franc par l’ariary (monnaie traditionnelle malgache), supprimé une flopée de taxes d’importations et de droits fiscaux, ouvert l’accès à la propriété foncière aux étrangers et les Coréens n’ont pas raté l’occasion… Cela n’a, semble-t-il, pas plu à un jeune maire anciennement disc jockey. Et l’on s’est souvenu de quelques promesses non tenus de Ravalomanana. Naturellement l’appel a été lancé à la rue et celle-ci a répondu. Ceci justifiant cela, l’on a demandé à Ravalomanana ce qu’il faisait encore au pouvoir. Pourquoi diable n’a-t-on pas jusqu’ici posé la même question à Nicolas Sarkozy ? Il me semble que Ravalomanana n’a jamais été aussi impopulaire que l’actuelle locataire de l’Elysée dont personne ne songe pourtant à revoir le contrat de bail. Et quand les masses favorables à Ravalo ont envahi les rues de Tana, pourquoi n’a-t-on demandé à l’impopulaire maire de cette brave cité d’aller se faire voir ailleurs ? Au contraire, l’on a mutiné l’armée au forceps, caserne par caserne, dans une sorte de négociation pied à pied, et même quand Ravalomana, qui est loin d’être un idiot, a donné les pleins pouvoirs à cette armée dite malgache, qui montrait des dents ou faisait semblant, celle-ci n’a pas tenu deux heures d’horloge. Menacée d’une force invisible, elle a plié la queue et repassé le pouvoir au jeune Rajoelina, en dehors de et contre toute procédure constitutionnelle, dûment approuvé par l’illustre conseil du même nom. Après tout, quand l’armée elle-même se révèle incapable de tenir tête, vous n’allez tout de même pas demander au conseil constitutionnel de faire les braves, n’est-ce pas ? Mais de qui tous ces braves gens ont-ils eu si peur ? D’Andry Rajoelina ? Allons donc ! Quand la rivière sera à sec, l’on verra bien ce qui y mangeait les poissons.



13/12/2011
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