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Mandela : plus vivant que jamais !

Par Roger Kaffo Fokou, Essayiste et poète

 

Ni un saint ni un prophète, tel est le portrait que Nelson Mandela donne de lui-même en 1990, à sa sortie de prison. Un mythe alors ? Il en était devenu un depuis longtemps, du temps même de Robben Island. Un mythe qu’il refuse jusqu’au bout d’assumer, et s’acharne dès sa libération à déconstruire à longueur d’interviews, bâtissant par le même fait et à coup sûr involontairement la grandeur qui l’a hissé progressivement sur un des plus hauts sommets de l’idéal humain, et en a fait un mythe malgré lui, un mythe bien plus concret que le diamant rêvé qui fascinait derrière les portes blindées de Robben Island ou de Pollsmoor.  Le parcours de Mandela apparaît ainsi, de manière fondamentale  et sans pour autant manquer de cohérence, comme un paradoxe. Un vrai faux ou un faux vrai paradoxe.

En 1963, alors qu’il défie le pouvoir sud-africain dans un prétoire de Blancs férocement racistes, il a déjà dit adieu à la vie et ne semble plus soucieux que de se construire un mythe seul susceptible de lui survivre. A l’heure de livrer son corps, il a probablement songé qu’il est encore en son pouvoir de sauver cette part de lui-même qui peut échapper à ses bourreaux, afin de continuer la lutte par-delà la mort physique. « Je veux que tous ici sachent que je vais à la rencontre de mon destin comme un homme. », écrit-il alors, plus à la postérité qu’à lui-même. En ces années-là, Mandela est avant tout le combattant, le stratège froidement passionné, soucieux surtout d’efficacité.

En 1990, le septuagénaire qui émerge d’un long, rude et presqu’inhumain emprisonnement a survécu à la mort tant de fois, que la vie est redevenue, inexplicablement, son destin. Il bâtissait son mythe en vue de sa mort, sur les ruines imminentes de sa vie ; mais sa vie a survécu, de plus en plus atrophiée, à l’ombre gigantesque de son mythe. En prison, cela ne le gênait pas : c’était une vie presque pour rien. Hors de prison, il en allait forcément autrement. Homme passionné, qui aimait les enfants, les belles femmes, les costumes bien coupés, il a, une fois le combat derrière lui, voulu se déshabiller du mythe pour embrasser à pleine bouche la vie, de tous ses bras, de tous ses sens. On comprend qu’il ne se soit pas attardé sur les hautes cimes de la présidence et se soit hâté de retrouver les joies simples, terre è terre de la vie domestique, de la vie vraie.  Et plus il s’est acharné à vouloir déconstruire son propre mythe, plus il l’a consolidé.

C’était, à sa sortie de prison, un mythe figé, taillé exprès pour un homme mort ou certain de vite le devenir ; ayant échappé à la mort et faisant sans ambiguïté le choix de la vie, Mandela a tout juste pu contaminer de vie son mythe, pour en faire un mythe désormais vivant. En 1963, aspirant à se bâtir un mythe sur le sacrifice consenti de sa vie, il y avait réussi au-delà des espoirs les plus insensés. Dès 1990, pour tenter d’échapper au mythe par choix de la vie, il a voulu se faire le bourreau de son propre mythe. Suprême paradoxe, cette tentative a fait de lui un mythe vivant.

On dit qu’on ne vit qu’une fois, mais cela est faux. En fait, il est plus vrai qu’on ne meurt qu’une fois. Et si l’on a la chance ou la grâce de survivre à sa mort, alors on entre dans la vraie vie, celle qui est faite pour durer envers et contre tout. En choisissant de montrer, sans honte et sans orgueil, ses plaies, ses faiblesses, son côté humain ordinaire,de les assumer plutôt que de chercher à les faire excuser, Mandela a, 27 ans après son premier grand procès, choisi de comparaître à nouveau mais cette fois-ci devant le tribunal de l’humanité. En 1963, il avait accepté la mort physique et recherchait la vie symbolique : il avait alors obtenu la vie symbolique d’abord, et la vie physique par-dessus le marché. Après 1990, il a accepté sa mort symbolique pour vivre le temps qu’il restait, avec intensité et passion : cette fois, il a obtenu la vie symbolique par-dessus le marché. Il se concrétise là une des leçons les plus difficiles et profondes de l’existence : seuls ceux qui ont radicalement consenti à perdre leur vie ont la possibilité de la gagner véritablement. Pour devenir des dieux... ou des démons ! Pour ceux que cela tente d’ouvrir le procès de Mandela, qu’ils sachent qu’ils ont désormais l’éternité devant eux pour l’instruire, à condition qu’ils y aient eux-mêmes droit.

 



10/12/2013
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