Maurice Kamto : ce champion d’échecs qui met la galaxie du pouvoir dans tous ses états
Le jeu d’échecs est par nature un jeu de pouvoir dont la stratégie ultime consiste à préserver de toute capture son roi, tout en manœuvrant pour capturer celui de l’adversaire et ainsi le mettre « échec et mat ». Le bon joueur d’échecs, pour parvenir à ses fins, masque ses coups pour…à chaque coup surprendre son adversaire et le prendre au dépourvu. Le grand joueur d’échecs a toujours, en plus, plusieurs coups d’avance, ce qui rend son jeu illisible, incompréhensible pour l’adversaire, encore plus si ce dernier est un néophyte. Et pour le coup, le jeu de l’expert peut être considéré comme brouillon, incohérent, tant que l’adversaire ne s’est pas encore retrouvé échec et mat. Depuis 2018, dans l’affrontement tantôt violent, tantôt feutré qui oppose Maurice Kamto et le MRC au pouvoir en place au Cameroun, le leader du MRC s’est constamment comporté comme un joueur d’échecs expérimenté. Sa stratégie, qui ne semblait initialement n’en être pas une, n’a cessé de dérouter son adversaire, faisant perdre progressivement à ce dernier l’initiative de l’action qu’il croyait détenir, et le contraignant à des réactions improvisées de plus en plus violentes. Ces temps derniers, la montée de l’hystérie a atteint un climax et fait sérieusement craindre, d’ici octobre, une forme d’apoplexie, ou alors une parade désespérée. Deux exemples illustrent bien cette maîtrise de la stratégie de la part du leader du MRC : la gestion de la disposition constitutionnelle sur la nullité du mandat impératif, et le contournement de l’interdiction de manifestation dont son parti, comme les autres partis d’opposition camerounais, est frappé.
Sur la question de la candidature de Maurice Kamto en rapport avec la nullité du mandat impératif
En 1996, Maurice Kamto se penche sur le texte constitutionnel et y voit une faille importante, liée à la consécration par ce texte du mandat impératif. Et il alerte. Son analyse s’appuie alors sur la pratique politique récente, qui a vu autour des années 1993 des élus de l’UPC déchus de leurs mandats suite à leur exclusion de leur parti. En janvier 1996, fait-il observer, « …la question a resurgi à l’occasion de l’exclusion, prononcée par le Social Democratic Front (SDF), de quatre conseillers municipaux qui ont désobéi et incité d’autres conseillers à désobéir aux directives de vote de ce parti… ». Maurice Kamto fait remarquer également que les lois électorales de cette période sont extrêmement claires en la matière : « En réalité, les différentes lois électorales camerounaises sont sans ambiguïté sur cette question. Excepté le cas de l’élection à la présidence de la République, tout détenteur d’un mandat électif perd sa fonction en cas d’exclusion ou de démission de son parti politique. C’est ce qui ressort de l’article 22 alinéa 3 de la loi du 16 décembre 1991 fixant les conditions d’élection des députés à l’Assemblée nationale qui dispose : "Est également déchu de plein droit de la qualité de député ou de suppléant, celui qui, en cours de mandat, est exclu ou démissionne de son parti". La loi du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux reprend mutatis mutandis la même disposition dans l’alinéa 2 de son article 9. » On peut voir que le code électoral de 2012 ne reprend nullement les dispositions ci-dessus soulignées (Si cela était le cas, on aurait alors une situation d’inconstitutionnalité de cette loi au regard de l’article 15 de la Constitution, comme veut le faire croire le Pr Magloire Ondoua bien que ce ne soit plus le cas, cf. en infra) ni pour les élections législatives, ni pour les municipales. Une vanne s’est donc ouverte entre temps. Et la valse des élus d’un parti à un autre est devenue une banalité, bénéficiant sans grande polémique à divers partis en commençant par celui au pouvoir, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, dans les parages de l’élection présidentielle de 2025, que le MRC pourrait en tirer parti. Que n’avait-on repris les dispositions des lois électorales de 1991 et 1992 dans le code de 2012 ? A cette date-là, le cas Maurice Kamto ne se posait pas encore. Mais lui, savait-il déjà en 1996 qu’il allait se lancer des années plus tard en politique ? Lui seul peut le dire. Toujours est-il que, en spécialiste du droit constitutionnel, lorsqu’il s’est vu contraint de boycotter les élections législatives et municipales de 2020 (nous verrons pourquoi plus loin), il a tout de suite vu le parti qu’il pourrait tirer, à condition de garder secret cet atout, d’une éventuelle circulation des élus dans le champ politique. Deux précautions valant mieux qu’une, il a fait dans le raffinement en annonçant solennellement qu’il avait conscience que son parti ne serait pas en mesure de présenter un candidat à la prochaine présidentielle. La solennité de cette déclaration aurait dû éveiller la suspicion du pouvoir en place pour au moins deux raisons importantes.
Premièrement, avait-il vraiment besoin de faire cette annonce fracassante ? Je veux dire : y avait-il quelque chose qui l’y obligeait ? Rien. Secondement, dans le strict respect du calendrier électoral, les mandats des parlementaires et des conseillers municipaux, de deux années plus courts que celui du président de la République, se renouvelaient en février 2025, quelques mois avant l’élection présidentielle, prévue pour octobre de la même année. Il était donc factuellement faux, en tout cas au moment du boycott de 2020, que le MRC perdait par ledit boycott la possibilité de présenter un candidat à la présidentielle d’octobre 2025. L’acte qui pouvait en décider n’était pas alors pris, et préjuger que, comme d’habitude, il serait pris le moment venu par qui de droit revenait à faire de la politique fiction, du « femla’ politique » pour utiliser une expression à la mode. Ce n’était pas si subtil que cela, puisque le Pr Maurice Kamto avait auparavant attiré l’attention du pouvoir en place sur cette brèche identifiée, prenant toutefois la précaution d’affirmer clairement que le « despotisme des assemblées populaires » n’était pas plus indiqué que celui des partis politiques soumis au règne des oligarchies. Ça l’était tout de même assez pour mystifier le pouvoir, et celui-ci est tombé lourdement dans le panneau, se gaussant bruyamment sur les plateaux de télévision pendant au moins 3 années sur les turpitudes du président du MRC. Comme dit le principe, « Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes », entendait-on partout à longueur de journée. Découvrant sur le tard le pot-aux-roses, le pouvoir s’est donc mis à improviser et a engagé sur la question ses meilleurs juristes, non pour éclairer, il n’y a rien à éclairer en l’occurrence, mais pour semer ce qu’on appelle le doute raisonnable.
Il y a eu d’abord l’inévitable Mathias Owona Nguini, un temps pourfendeur attitré et inimitable du régime, depuis reconverti et maniant le pour avec autant de dextérité qu’il avait naguère manié le contre. En ce temps-là, il disait la science et cela lui était facile ; ce qu’il lui était demandé désormais, c’était de la contredire et cela ne lui laissait qu’une marge étroite : arriver à faire prendre l’idéologie pour de la science. Tâche ardue donc, mais pour laquelle il est plutôt bien payé, il faut l’avouer. Comment rendre crédible aujourd’hui la parole d’un professeur d’université qui soutient désormais sans nuance un pouvoir qu’il ne trouvait pas les mots assez durs pour condamner hier ? Quand M. Owona Nguini parle des incohérences de M. Maurice Kamto, ses auditeurs non captifs ne voient dans ses propos que le miroir de ses propres incohérences, l’exact reflet de ses propres turpitudes. En devenant un transfuge de sa position de naguère, il a ruiné le crédit que l’on pouvait avoir dans son verbe, qui continue à sonner haut et fort mais creux. Le pouvoir a bien fini par se rendre à l’évidence, surtout après que des constitutionnalistes pur jus (non moins professeurs des universités eux-mêmes) ont corrigé avec sévérité la copie de M. Guini sur la question de la nullité du mandat impératif : le talisman Nguini n’opérait plus auprès du public. Un autre joker, le Pr Magloire Ondoua, est donc sorti du chapeau.
Sur la chaîne privée de la présidence de la République, le Pr Magloire Ondoua épaulé par son éminent collègue le Pr Njoya se sont confrontés à la question de la recevabilité de la candidature de Maurice Kamto, sans jamais le nommer. On retiendra de leurs interventions qu’elles se sont surtout faites remarquer par une multitude de procès d’intention. Quelques déclarations fortes et surprenantes ont cependant émergé de ce mélange d’insinuations, d’accusations et d’attaques ad hominem. Premièrement, pour le Pr Magloire Ondoua, il n’y a aucun lien entre l’article 15 de la Constitution et l’article 121 du code électoral : l’un parlerait des conditions d’éligibilité et l’autre de la liberté de l’élu de disposer de son mandat. Et d’ailleurs renchérit-il plus loin, le Constituant a entièrement délégué la loi électorale entre les mains du législateur. Le Pr Ondoua pourrait remarquer au minimum que les deux articles des deux textes parlent d’un même processus, l’un de son déroulement, l’autre de son résultat : l’élection est gérée par le code électoral, le mandat de l’élu par la Constitution. Premier mensonge donc. La question de la représentation, soulevée par le code électoral, ne peut être traitée que par référence au statut de l’élu, question gérée par la Constitution. Deuxième mensonge donc. Deux hypothèses : Si un parti n’a qu’un seul élu et que celui-ci démissionne, ce parti est-il toujours représenté ? Si des députés d’un parti démissionnent en nombre suffisant pour former un groupe parlementaire et créent un nouveau parti en cours de mandat, ce groupe parlementaire sera-t-il recevable à l’Assemblée nationale ? On le devine bien, ces questions ne s’adressent pas au Pr Ondoua qui bien sûr sait les réponses. Secondement, le Pr Ondoua soulève un problème d’inconstitutionnalité (nous l’avons mentionné en supra) qu’il attribue à des gens (qu’il ne nomme jamais). On remarque que « ces gens », eux, ne parlent que de conformation de la loi au cadrage constitutionnel. Troisième mensonge donc. L’article 121 du code électoral ne peut s’appliquer que dans le respect de l’article 15 de la Constitution qui définit les limites de la gestion du mandat par l'élu. Comme on le voit, l’interview de ces dignes professeurs a mêlé contre-vérités, désinformations, procès d’intention, le tout dans une mauvaise foi soigneusement déguisée en vertueuse indignation. Beaucoup ont cru trouver l’explication mais non la justification de cet exercice de plus en plus banal sous nos cieux dans le bruit assourdissant des casseroles derrière nombre d’invités de cet aréopage hétéroclite.
On peut d’ailleurs se demander quel besoin le pouvoir a de vouloir convaincre à tout prix de l’impossibilité du MRC à porter la candidature de Maurice Kamto. C’est une curieuse obstination, si l’on y pense bien. Qui veut-il réellement convaincre ? Le Conseil Constitutionnel pourrait-il être tenté, à l’occasion, par un autre son de cloche que celui du pouvoir qui l’a créé ? Il y aurait peut-être un doute à ce propos. Est-ce l’opinion qu’il s’agit de charmer ? Celle-ci n’est décisive qu’en démocratie. Alors, pourquoi ce besoin de convaincre est-il si important? Il n’y a qu’une réponse logique : le pouvoir n’est pas serein face à cette élection et redoute tout, y compris ses propres créatures.
Sur les enjeux de l’interdiction systématique des meetings de l’opposition : le meeting de Paris
Pourquoi le pouvoir interdit-il systématiquement les meetings des partis d’opposition ? Tant qu’on n’a pas répondu de façon satisfaisante à cette question, on ne peut pas comprendre et l’acharnement du pouvoir, et la nécessité (on dit que nécessité fait loi) pour le MRC de contourner ce « containment » antirépublicain.
Dans une première approche, on peut dire avec toutes les probabilités de son côté que le pouvoir veut conserver le monopole du terrain pour des raisons d’image. Grâce à ce monopole imposé de force, le parti au pouvoir réussit une opération magique : il devient le parti véritablement non pas « présent » mais « visible » sur le terrain ; les autres, bien que présents, ne sont pas à proprement parler invisibles mais « invisibilisés ». Ils ne sont plus dès lors que des partis de plateaux de télévisions et de radios. L’opération de « naturalisation » de cet artifice, au sens que donnait Roland Barthes à ce mot dans Mythologies, est alors en marche. Sur la base de cette image mille fois projetée et mille fois commentée, le citoyen est préparé à voir sortir vainqueur des urnes le parti qui a été visible, et donc qu’il a vu sur le terrain. On peut ainsi truquer à moindre risque des élections et en justifier de façon plausible les résultats, à défaut de convaincre. Il restera certainement un doute dans la tête de l’opinion mais, comme l’on sait, le doute profite toujours à l’accusé. Nous sommes là dans la mise en œuvre de la stratégie de l’illusion : ce qui est montré et donc vu, contre ce qui est affirmé mais non vu. L’opposition pourra toujours dire que si ses meetings avaient été autorisés, on aurait vu à quel point… Mais on n’a rien vu et l’adversaire peut toujours soutenir que certains bâtissent des châteaux en Espagne. C’est d’ailleurs, je crois, l’impératif de désamorcer ce piège de l’image qui a poussé Maurice Kamto à organiser le boycott des législatives et municipales de 2020.
Dans le climat de tension qui a suivi l’élection présidentielle contestée de 2018, avec l’embastillement de plus de 350 membres du MRC en 2019, le parti largement décapité était en effet dans une situation difficile sur le terrain et risquait, en se présentant à des élections, de produire des résultats susceptibles de corroborer la thèse de M. Biya qui, mauvais joueur comme de coutume, en avait parlé avec sarcasmes comme d’un « petit parti », aux micros des journalistes alors qu’il exerçait son devoir de citoyen dans un bureau de vote du quartier Bastos à Yaoundé. Deux années après la présidentielle de 2018, Maurice Kamto et le MRC continuaient malgré les affres de la persécution à revendiquer la victoire à cet exercice électoral, ce qui avait le don d’horripiler les cadres du RDPC. Le hold-up électoral, une pratique qui colle à la peau de ce parti depuis l’élection présidentielle de 1992 remportée par M. Fru Ndi et confisquée par le pouvoir (on ne le reconnut que bien plus tard) ne plaidait guère en faveur du régime, lequel avait un réel besoin de prouver sa supériorité incontestable sur le MRC et l’occasion était idoine. Maurice Kamto, toujours bon joueur d’échecs, sut soustraire cette carte du jeu du régime, de façon radicale, ce que ne lui ont jamais pardonné des personnalités comme Njamen aujourd’hui clairement inscrits dans l’axe du pouvoir en place. Encore une fois, ni le pouvoir, ni les Njamen n’avaient vu le coup qu’en dernière minute, quand il n’était plus possible de le parer. Pourquoi croit-on que le boycott du MRC avait à ce point enragé le régime ? Tenait-il tant que cela à ce que le MRC ait des élus et vienne lui compliquer la tâche dans les institutions ? Loin de là. Il avait envisagé un coup, mais Maurice Kamto avait anticipé et paré celui-ci, comme à son habitude. On voit que cette question d’image n’a rien de secondaire. Mais elle n’est pas la seule ni la plus importante à s’être alors posée.
A côté de celle-ci en effet, il y a la question cruciale du réveil du "peuple du changement", ce géant endormi ; celui qui ronge son frein depuis des années, qui brûle intérieurement d’en découdre mais souffre d’un complexe d’impuissance ; celui qu’on terrorise en permanence et menace du Moulinex, à qui l’on a méthodiquement enlevé le courage de descendre dans la rue pour exprimer sa liberté, surtout depuis les embastillements collectifs de 2019 ; celui à qui on n’a de cesse de dire et répéter que descendre dans la rue, c’est se mettre en danger, risquer la prison ou pire, la mort ; à qui l’on a affirmé que les partis qui veulent les y envoyer sont dirigés par des irresponsables, des criminels ; que descendre dans la rue est un acte terroriste, une entreprise de subversion, un attentat contre les institutions républicaines, que seuls peuvent penser et organiser les ennemis de la patrie, des personnes mues par un intérêt sinon personnel du moins tribal. Un indescriptible fatras de balivernes sans le moindre souci de cohérence ni de vraisemblance. Et petit à petit, ce discours a semblé fonctionner. Masqué soigneusement par ce discours, la vérité se trouvait ailleurs, et il était surtout question de n’y point toucher.
Au Cameroun, la longévité du régime en place est inséparable, depuis les difficultés des villes mortes de 1990, au strict contrôle de la rue par la puissance publique. En effet, laisser les partis d’opposition organiser des meetings, c’est surtout les laisser exercer les masses hostiles au pouvoir à l’occupation de la rue, espace insurrectionnel par excellence. C’est un exercice qui suscite des idées et construit les courages, élargit les possibilités de soulèvement populaire. Les années 1990 ont laissé une profonde cicatrice dans la mémoire de ceux qui tiennent aujourd’hui captif le peuple. 2008 a rafraîchi douloureusement ces traumatismes, rappelant les difficultés qu’il avait fallu surmonter pour rendormir ces masses ordinairement indolentes mais rétives à la manœuvre une fois réveillées. Le pouvoir s’était juré que « plus jamais ça ». Voilà pourquoi l’un des plus sacro-saints principes de gouvernance a consisté depuis lors à maintenir les Camerounais dans le sentiment entretenu de leur impuissance individuelle et collective. Tant qu’ils ne descendent dans la rue que sur autorisation, strictement étiquetés et sous encadrement étroit, ils ne croiront pas en eux, et les menaces contre eux proférées continueront de porter l’effet escompté. On le voit, l’interdiction de manifestations publiques des oppositions comme d’ailleurs de la société civile relève ici d’une véritable stratégie de survie du régime. C’est pour cela qu’elle est systématique et insensible au ridicule. Elle est en même temps mortifère pour l’opposition et celle-ci s’en est accommodée étonnamment bien. Aussi était-il nécessaire pour le MRC de faire tomber ce corset de fer. Mais comment? Braver les interdictions multiples au risque de se faire accuser de vouloir organiser l’insurrection ? Certainement pas. Plutôt user de subtilités, en bon joueur d'échecs. Il est tout à fait possible de voir dans le meeting de Paris un de ces déplacements de pion sur l’échiquier soigneusement préparé et exécuté par le MRC et ses alliés avec une maîtrise qui n’apparaît comme telle qu’a posteriori. Et une fois de plus, s’en apercevant avec retard, le pouvoir de Yaoundé s’est trouvé contraint à l’improvisation, au ridicule puis au quasi tragique.
Commençons par le ridicule, favorisée par l’improvisation. Cette improvisation a commencé par la tentative finalement ridicule de ridiculiser en amont ce meeting de la place de la République à Paris par une campagne peu efficace, dont certaines sources disent qu’elle n’a pas coûté que des bricoles. Il a été prédit qu’il serait interdit (un ancien président français encore très écouté par l’Elysée aurait dit son opposition véhémente à la tenue de celui-ci) par les autorités françaises ; il n’en a rien été. Il a été prophétisé qu’il ne réunirait pas grand-monde, la majorité de la diaspora camerounaise étant constituée, loin d’une poignée d’agitateurs bien connus, de gens sérieux, responsables, « matures », occupés, et n’ayant point du temps à perdre pour un événement sans lendemain ; la place de la République s’est retrouvée prise d’assaut et remplie, mais pas de casseurs. Ces gens responsables qu’on espérait voir se tenir à bonne distance, ce sont eux qui ont finalement fait le meeting. Alors, on a dit que toute la diaspora camerounaise réunie ne pesait pas grand-chose dans le corps électoral ; que c’est au Cameroun qu’il fallait mobiliser et non à l’étranger. Le sous-texte était clair : le MRC a réussi à Paris ? Soit ! Nous verrons comment il le rééditera au Cameroun. Dans cette même veine du ridicule, un certain conseiller à la présidence de la République, M. Luc Sindjoun pour ne pas le nommer, a cru devoir, à l’occasion, faire parler de lui-même, comme ardent défenseur de l’honneur outragé du Président de la République. La longue tirade qu’il a développée sur les mérites du grand âge, sans la moindre crainte du ridicule, ne saurait susciter que le sourire bienveillant ou le pathétique compatissant. Mais il a cru devoir y mêler des éléments de droit : « Il convient, dit-il, de souligner que, dans le cas d’espèce, la discrimination fondée sur l’âge relève de l’âgisme et constitue un délit et non une pensée. » M. Luc Sindjoun n’a certainement pas bien lu le texte de la Constitution. Je voudrais lui en citer un extrait, pour sa méditation, cette fois sur le "jeunisme" : « Les candidats aux fonctions de Président de la République doivent être des citoyens camerounais d’origine, jouir de leurs droits civiques et politiques et avoir trente-cinq (35) ans révolus à la date de l’élection. » (article 6, alinéa 5). Je crois qu’il est inutile ici de commenter cet extrait, il le fera lui-même. Le reste du texte est du même acabit. M. Luc Sindjoun a sans doute cru et je le comprends sans l’approuver, qu’il avait besoin de se dénuder publiquement pour attester de sa fidélité au prince. Il est probable que, même nu, il sera encore considéré comme trop habillé de sa simple peau pour mériter le degré de confiance qu’il quémande.
Le tragique, cela a été cet inqualifiable weekend du 7 au 8 juin à Douala. Il est vrai tout a commencé sur le mode comique, par une inflation de communiqués émanant de diverses autorités de maintien de l’ordre, se superposant au mépris du principe banal de subsidiarité. Le comique ici a également été visible dans cette indiscrète instruction d’infiltrer les milieux du MRC : une drôle de manière de faire le renseignement aujourd’hui. Comment oublier ces moto-taximen la veille encore acquis à la candidature du candidat en poste devenu subitement d’indésirables soutiens du président du MRC ? Oui, tout est allé de travers dans l’improvisation en vue de circonscrire un éventuel accueil populaire et triomphal de Maurice Kamto de retour au Cameroun. Derechef, l’événement a laissé le pouvoir désemparé, acculé à accumuler les fautes. Le président du MRC n’a jamais appelé à venir l’accueillir à l’aéroport, mais il n’avait aucune raison d’y atterrir en catimini, comme un voleur. Il avait prévu de tenir une séance de travail au siège régional de son parti, avec les cadres du parti, pas avec le tout venant. Ce n’était donc pas une réunion publique et il n’avait pas à la déclarer. A l’affût des informations et à l’ère des réseaux sociaux, ses militants et sympathisants, heureux de la réussite du grand meeting de Paris, pouvaient venir roder devant le siège du parti, et il aurait été malpoli de sa part de ne pas sortir leur dire un mot, courtoisement. Mais il ne les avait pas invités et n’avait donc pas à déclarer quoi que ce soit. Au bon vieux temps de la popularité de John Fru Ndi, des foules bloquaient la route sur son itinéraire pour l’obliger à mettre pied à terre et leur parler. On le voit, dans le cas de Douala, le pouvoir pris au dépourvu n’avait qu’une seule carte en main : celle de la répression. Les forces anti-émeutes positionnées en masse dans certains secteurs de la ville de Douala, d’abord pour la dissuasion qui finalement a échoué lamentablement, éventuellement pour la répression, ont marqué l’irruption du tragique dans l’événement. La séquestration de Maurice Kamto, en toute illégalité par un pouvoir qui n’a à la bouche que le mot « loi » (puisqu’aucun mandat n’a jamais été produit à cet effet) et la tentative de l’exfiltrer de force pour Yaoundé (Il se dit des choses horribles et à peine croyables sur les dessous de cette opération qu’il vaut mieux laisser sur le compte de la rumeur) a dangereusement rapproché ces moments tendus de la tragédie. Qui s’en est le mieux tiré, de ce bras de fer disputé en mondovision ? Le pouvoir ou le MRC ?
Le pouvoir peut se frotter les mains d’avoir réussi à empêcher un meeting de Maurice Kamto à Douala, sauf qu’il n’avait jamais été prévu de meeting, formellement parlant. Après avoir insisté à tenir la réunion avec ses cadres régionaux, Maurice Kamto a finalement cédé et est reparti pour Yaoundé, bredouille, diraient certains. Mais ne s’agit-il pas là pour le pouvoir d’une véritable victoire à la Pyrrhus ? Sans dépenser un rond, ni pour communiquer, ni pour organiser les foules, en d’autres termes aux frais de la princesse, le MRC et son président ont réédité la mobilisation de Paris à Douala, sur le sol camerounais. Malgré les intimidations de toutes sortes, les masses endormies se sont ébrouées, ont bougé et se sont montrées, le temps d’une journée, disposées à faire face, les mains nues, aux troupes mobilisées. Quelque chose d’impossible jusque-là s’est ainsi produit, comme une sorte d’effet de miroir de la place de la République en France. La contagion a fonctionné. Désormais, nous savons que ce qui se passe ailleurs peut aussi se passer au Cameroun. Qu’est-ce que cela augure pour les temps à venir ? Il faut attendre d’autres signes, mais d’ores et déjà, personne ne peut plus dire avec certitude que, quel que soit le cas de figure, il ne se passera rien.
Roger KAFFO FOKOU, écrivain.
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