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Médias sociaux (du peuple) : une puissance qui menace le monopole de l’aristocratie médiatique établie

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Médias et civilisations, inédit


Il y a de cela quelques années déjà, nous étions alors dans la décennie 80, radio Moscou international avait organisé toute une émission sur les romans de Gérard de Villiers, les fameux SAS. On y démontrait que De Villiers était payé et informé par la CIA pour désinformer l’opinion sur l’Union soviétique, et donc que les SAS n’étaient que de redoutables médias, des armes de la guerre froide. Ce que cette émission réussissait en fait à démontrer, c’était l’efficacité des SAS comme armes anti-communistes, armes plus dangereuses que la machine CIA avec son budget pharaonique et ses milliers d’agents surentraînés ; elle démontrait aussi et concomitamment l’inefficacité relative du système soviétique. Avant la fin de ladite décennie, le soviétisme s’effondrait. L’histoire pourrait-elle se répéter ? L’article publié ce 24 février sur Le Monde.fr blog et intitulé « Sur la Syrie, la propagande à longueur de commentaires », semble le résultat du même type d’inspiration : après avoir régné sans partage pendant des lustres sur l’opinion, l’aristocratie médiatique, conjoncturellement et malheureusement occidentale, serait en train de perdre pied devant la concurrence d’un nouveau venu, les réseaux sociaux, un nouveau venu qui ne menace désormais plus seulement le scalp des dictateurs. Dans un article intitulé « Médias : quel mode d’emploi ? »(1)  publié sur icicemac en octobre 2009, nous attirions déjà l’attention sur la volonté hégémonique des médias des grands pays du nord et sur la qualité approximativement objective et fortement orientée des informations que ceux-ci diffusent en continu sur la planète : très peu d’information et beaucoup de déchets toxiques. Il existe un principe selon lequel tout phénomène poussé à son point d’expression maximal serait essentiellement réversible. Les médias du peuple ou médias sociaux ou du pauvre – au choix - semblent avoir le vent en poupe en ce début du XXIè siècle. Parce que sans doute l’aristocratie médiatique n’aurait pas su s’imposer des limites strictes et conformes à la prudence et la bienséance. Ces nouveaux médias ne vont certainement pas tuer les médias aristocratiques du marché dans une espèce de dictature impossible du prolétariat mais un nouvel équilibre des forces se dessine pour une nouvelle gouvernance médiatique du monde.


Les signes annonciateurs de cette nouvelle ère, on peut les relever dans la panique et la maladresse qui imprègnent l’article ci-dessus cité du journal Le Monde. Le sous-titre donné à cet article est révélateur d’un état d’inquiétude profonde. Le vocabulaire y est clinique : il s’agirait d’un « cas » ; la qualification est brutale : le « cas » est diagnostiqué comme « difficile » ; la numérotation, « saison 3 », montre le caractère presque déjà obsédant du problème à résoudre. La démarche de l’article ne manque pas d’intérêt non plus : l’auteur effectue un tri de commentaires jugés dérangeants – presque une dizaine – et leur oppose deux commentaires considérés positifs (qui ne démentent malheureusement que le dernier de la première série, ce qui apparaît au final défavorablement déséquilibré pour l’objectif escompté). Cette magnanimité certainement voulue de l’auteur ne semble finalement pas être payée de retour et cela peut se comprendre. Il mélange les commentaires, qui relèvent d’une perception subjective de l’information reçue, avec les informations erronées diffusées sur les réseaux sociaux, et qu’il semble attribuer aux mêmes commentateurs de l’information sans la moindre preuve : « De nombreuses informations invérifiables se retrouvent ainsi propulsées en commentaires », écrit-il. Un curieux mélange pour le moins. Il faut pourtant dire que ceux qui se plaignent de la qualité de l’information diffusée par les médias occidentaux sur la Syrie où à propos des autres théâtres d’opération où l’Occident se met en scène sans la moindre retenue ne sont pas forcément ceux qui fabriqueraient et diffuseraient une contre-information. En versant dans ce type d’amalgame, l’auteur de l’article se positionne comme un extrémiste pour qui tous ceux qui ne sont pas pour l’occident sont forcément pour ses adversaires. Il y a là une logique pour le moins totalitaire, à des années-lumière de l’esprit démocratique.


Sur la même page, maladresse ou suprême adresse, l’on cite, à côté de Thierry Messan le patron du blog Voltaire, « connu pour ses remises en cause systématiques de l'impérialisme occidental et participant notoire aux fables des théories du complot » - nous avons vu dans un article passé que même le Vatican avait aussi été contaminé par ces « fables du complot », ce qui ne manque pas de sidérer (2) -  rien moins qu’un « patron du renseignement américain », James Clapper, que l’on classe comme « autre adepte de la théorie du complot », et que l’on accuse de reprendre « la propagande syrienne ». Si le but était d’apporter de la clarté, il faut avouer que la lessive n’a pas été très efficace ! Alors, qui dit vrai et qui fait de la propagande pour ou contre la Syrie ? Est-ce la même chose, comme semble le suggérer l’emploi de « reprend la propagande syrienne », que d’être pro ou anti-Bachar-el-Assad ?


Cette mise au point apparaît décidément pleine de confusion. Comment pourrait-elle contribuer à dédouaner des médias pour qui dans une zone où s’affrontent deux groupes armés les morts civils ne sont le fait que d’un seul camp ? Comment comprendre que le seul civil tué par l’armée syrienne libre ne soit pour l’instant qu’un malheureux journaliste français ? Un phénomène d’effritement du crédit naguère accordé aux médias dominants est en cours, poussé par la puissance toute nouvelle des réseaux sociaux. Une riposte est-elle possible de la part de l’aristocratie vieillissante ? La question n’a pas manqué de traverser l’esprit de la rédaction du vénérable Le Monde : « Quelle réaction peut avoir notre rédaction ? », s’interroge pathétiquement l’auteur de l’article. « L'idée, dit-il, n'est pas de censurer à tout va ce que nous estimons être faux : après tout, la critique des médias est salutaire lorsqu'elle se fonde sur des questions et un dialogue argumenté, permis notamment par le nouvel outil que sont les réseaux sociaux ». « que nous estimons » ? Le registre est ici celui du subjectif : comment pourrait-on lutter contre la subjectivité par la subjectivité ? Il faudrait autre chose. On peut mettre à l’actif de la rédaction du Monde d’avoir su résister à la tentation de la censure mais même celle-ci aurait-elle pu être efficace en la circonstance ? On peut en douter. Il faut donc minimiser l’exploit. Une dernière observation toutefois : Le Monde a beau reconnaître que « la critique des médias est salutaire », il n’est pas près de faire son autocritique et n’hésite pas à trouver, péremptoire, que la faute est de l’autre côté. Et puisque nous sommes dans le champ des médias, revenons à une vérité première : les médias ne sont que des prolongements de nous-mêmes, des images que nous projetons dans l’espace pour l’investir et le transformer selon nos désirs. Très souvent, lorsque ces images de nous nous reviennent, nous ne les reconnaissons pas toujours comme nôtres. Pourquoi Le Monde et ses pairs ne comprennent-ils pas que les commentaires qu’ils incriminent ne sont que l’image déformée qu’ils envoient d’eux-mêmes à une certaine opinion et que celle-ci lui retourne par les voies qui se présentent à elle ?

 

  (1) Cf. La Voix de l’Enseignant n°012, octobre 2009

  (2) Cf. « Manipulation de la crise mondiale : le Vatican aussi exprime ses doutes »





28/02/2012
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