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MEDIASCOPIE : quand Vision 4 met en examen, publiquement mais non contradictoirement, ses concurrents Equinoxe Tv, Le jour et Le Messager quotidien. (lecture libre)

En suivant le plateau du débat de Vision 4 ce dimanche, j’ai eu le privilège de tomber sur un curieux procès organisé par un média contre des concurrents, au nom d’une supposée défense de l’orthodoxie et de la déontologie du métier. Le casting du panel semble dans ce cas avoir été fait avec une minutie évidente : un juge partisan honnêtement avoué et affiché, des procureurs non déguisés non plus, un défenseur pour respecter le principe du droit à la défense, un observateur indécis pour faire bonne mesure sans doute, et aussi peser sur les circonstances aggravantes ou atténuantes selon son humeur du jour, souvent notoirement versatile.

 

Sur le principe même du débat d’un tel sujet, il y aurait beaucoup à dire ou à redire. En situation de concurrence médiatique, il me semble que le moins que l’on puisse dire est que, dans le cas d’espèce, la ligne rouge de la déloyauté a été largement franchie par Vision 4. Les Ministres de l’Administration Territoriale ou de la communication peuvent à bon droit s’en prendre à un organe d’information, les raisons d’une telle prise en grippe ne manquant pas dans un pays sous multiples tensions même si celles-ci ne seront pas toujours forcément fondées. Un autre média peut et doit même – le devoir et le droit d’informer - relayer lesdites accusations, dans le cadre de l’information du public. S’arroger la position de ces responsables de l’Etat et prendre sur soi de constituer son propre tribunal pour mettre en examen un média concurrent, c’est manquer au devoir de solidarité de corps, et d’un, c’est aussi se livrer à de la concurrence déloyale, de deux. En outre c’est, au regard de la qualification formulée sur le plateau en question et de l’argumentaire qui l’a soutenue, un appel clair au lynchage peu digne de personnes qui se servent d’un outil qui ne peut être efficace qu’en contexte de liberté. On peut se demander, à bon droit je crois, en vertu de quelle habilitation Vision 4 s’est prévalu pour se substituer aux autorités judiciaires et ainsi instruire en mondovision le procès de quelques-uns de ses concurrents sur le marché de l’information. S’agit-il des conséquences de la mise en œuvre de la formule de journalisme patriotique tant vantée sur ce plateau-là par un professionnel attitré de cette digne profession ? Il y aurait là au moins un délit de perversion.

 

Sur l’argumentaire du professionnel ci-dessus mentionné, le Pr Boyomo Assala pour ne pas le citer, un enseignant particulièrement intelligent quand on l’écoute, on ne peut avoir que des surprises. Comment prêter de l’ignorance à un monsieur qui est visiblement aussi intelligent ? Non : on ne peut le soupçonner que de mauvaise foi. Dans les cours de journalisme que j’ai pris autrefois – je confesse, puisqu’il l’a mentionné, que je n’ai pas pris la peine de les mettre à jour depuis longtemps – on disait bel et bien que lorsque le train arrive à l’heure, il n’y a pas information. Je pense que cette conception dérive de la traduction anglo-saxonne du mot « information » qui est « news », « nouvelles » au sens de ce qui brise le train-train normal. Imaginez que je me lève un matin et que je mette à la « Une » de mon journal : « Ça y est, nous sommes mercredi ! » comme si la veille n’avait pas été mardi et que le lendemain ne serait pas jeudi. Non, plus sérieusement, je veux dire qu’interpréter comme l’a fait le professeur Boyomo le principe du train qui arrive en retard ou plus précisément qui n'arrive pas à l'heure, c’est volontairement organiser ou renforcer la confusion, et manquer au devoir qu’a le spécialiste d’éclairer son public. Ce qu’il faut, à mon avis que je ne veux taxer d’humble en me rappelant les mots pertinents de La Rochefoucauld qui disait que « Quiconque refuse les honneurs en demande deux fois », ce qu’il faut entendre par ce fameux train qui « n’arrive pas à l’heure », ce n’est pas forcément des événements négatifs puisqu'en effet s'il n'arrive pas à l'heure, cela peut signifier indifféremment qu'il est arrivé avant l'heure ou après l'heure. Les évènements ainsi indiqués ne sont que des événements nouveaux en ce sens qu’ils ne relèvent pas de l’habituel, du train-train quotidien, de ce qu’on sait déjà, de l'attendu. Et dans ce sens, il peut aussi s’agir d’évènements positifs, en rupture avec une chaîne de malheurs, de contreperformances, et j’en passe. Vu sous cet angle, le choix du média ne peut plus être qu’un choix de ligne éditoriale, et la notion même de ligne éditoriale suffit ici à invalider tout débat. Cette notion en effet porte en elle-même le principe de la liberté de presse, mais on peut supprimer celle-ci dans un pays ou un contexte particulier, en imposant par voie de texte légal ou réglementaire une ligne éditoriale unique à tous les organes des médias. Dans ce cas, on fait en même temps une croix sur la liberté de presse et on ne prétend plus qu’on l’autorise. La constitution américaine dit qu’on ne peut prendre aucune loi qui restreint la liberté de la presse (Premier amendement), et le Patriot act ne s’en prenait certainement pas à la liberté de la presse. Ceci laisse une autre question non moins sensible, un chef d’accusation qui a surtout été instruit par le Pr Owona Nguini : celui de la complicité/collusion/coaction de subversion.

 

En effet, selon ce digne professeur, en accordant une interview à Sisiku Ayuk Tabe leader affirmé de la rébellion dite « ambazonienne », certains médias ont commis effectivement ce crime grave contre leur pays. En interviewant à une heure de grande écoute un activiste anti-Biya comme Calibri Calibro qui s’en prend ouvertement au chef de l’Etat, d’autres médias se placent en situation similaire. Monsieur Ayuk Sisuku Tabe dont je déteste les ambitions bénéficie lui aussi du droit à un procès impartial et équitable, il me semble. Il me semble qu’il n’est pas jugé ici au Cameroun comme un étranger mais comme un citoyen camerounais en rébellion contre son pays. Si l’on autorise qu’il se dise le plus grand mal possible de lui sur toutes sortes de supports, et je ne me suis pas privé de le faire depuis trois ans, la moindre des choses, il me semble, c’est de lui permettre de se défendre quand il en a envie. Il me semble que depuis ladite interview, sa cause n’est pas devenue plus crédible aux yeux des Camerounais. Cette volonté (ou penchant ?) de l’outrance qui semble marquer la parole du Pr Owona Nguini n’est pas seulement lassante à la fin, même si elle stimule le débat démocratique contre lequel il se positionne en permanence, il se trouve qu’elle est susceptible de discréditer l’intelligence aux yeux de la jeunesse et en faire un objet de suspicion aux yeux du grand public. On peut finir par faire croire qu’à force d’être intelligent, on peut devenir malhonnête. Quant à passer la parole à Calibri Calibro, activiste anti-Biya aux heures de grande écoute ou pas, en quoi cela est-il différent de passer la parole à un thuriféraire de M. Biya dans les mêmes tranches d’écoute ? Ce n’est strictement qu’un problème de ligne éditoriale, donc de liberté d’expression. Faut-il faire le procès à la CRTV pour ne citer qu’elle, pour sa ligne éditoriale résolument optimiste, débonnaire à l’endroit de ceux qui nous gouvernent ? Comme disent les Anglais, «It depends where you sit » Faut-il vouer aux gémonies tous ceux qui n’aiment pas M. Biya et le disent, et ne garder que ceux qui l’encensent même au prix du plus grand aveuglement ? Le Pr Boyomo s’est livré à un exercice de statistiques fort périlleux sur les pourcentages des titres des journaux d’Equinoxe TV. Ce serait très instructif de se livrer à ce type de statistiques sur les autres médias. La notion de ligne éditoriale apparaitrait alors plus clairement aux yeux des profanes et sans doute un éventuel débat sur la question serait vite tranché. Chacun vit le Cameroun du côté où le système gouvernant l’a positionné et le Dr Essomba a bien fait de pointer du doigt les diverses fractures qui traversent le pays aujourd’hui. Ce qu’il disait de façon sous-jacente, c’était que pour réussir le miracle de l’unité de ligne éditoriale, au cas improbable où une telle chose serait souhaitable en démocratie même aux pires heures de crise, il faut résorber ces fractures.

 

Quant aux autres participants à cet aréopage sélectionné, ils n’avaient qu’un rôle de contrepoint – qu’ils n’aient pas le sentiment que je sous-entends qu’ils le méritaient - et s’en sont acquitté de leur mieux, dans les marges étroites à eux concédées, et en cela, ils ont certainement contribué jusqu’à un certain point à sauver ce tribunal médiatique de l’infamie.

Roger Kaffo Fokou

 



29/03/2020
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