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Mon plaidoyer pour un forum national de l’éducation

J’entends dire par certains que le Forum national de l’éducation ne servira à rien et que ses décisions ne seront pas appliquées. Avant de dire en quoi il va contribuer à résoudre plus efficacement et plus durablement les problèmes structurels (pas ponctuels et conjoncturels) des enseignants, je vais d’abord réaffirmer quelques principes chers au SNAES.

Le Syndicat National autonome de l’enseignement secondaire aurait pu être baptisé « Syndicat National Autonome des Enseignants du Secondaire ». Ses pères fondateurs ont préféré « de l’enseignement » à « des enseignants ». Ils tenaient à marquer la place centrale qu’ils entendaient donner à l’éducation dans l’action du SNAES. Le slogan était alors « L’école nouvelle », pas « l’enseignant nouveau », parce les deux sont liés dans l’ordre « enseignement-enseignant ». Voilà l’ADN du SNAES que le « syndicalisme de développement » est juste venu amplifier et exemplifier. Le SNAES ne sépare donc jamais la lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants de la lutte pour une éducation de qualité accessible à tous.

Au plus fort des événements qui trouvent leur second épisode cette rentrée scolaire, la montagne de créances que les enseignants détiennent sur l’Etat a pu justifier que les questions financières, dans notre lutte, circonstanciellement, prennent le pas sur les questions de fond, celles qui donnent de la substance à ce métier, qui font que, lorsque des années plus tard, nous rencontrons un de nos anciens disciples, nous nous sentons fiers d’avoir un peu contribué à la belle personne, au professionnel admiré qu’il est devenu ; celles qui font qu’année après année, l’exercice du métier ne soit pas une simple et éternelle pénitence pour nous mais un cadre où nous nous épanouissons. Les hommes en tenue dont certains de nous admirent tant la situation salariale sont-ils aussi épanouis que cela ? Ceux qui en ont dans leurs familles, autour d’eux, peuvent le savoir. Ceux qui sont dans le métier pour durer et faire carrière, pour peu qu’ils y réfléchissent, verront que certes l’argent est une excellente chose, mais qu’il ne règle pas tout. Sinon nos proviseurs seraient tous aux anges, n’est-ce pas ? Il me semble que c’est loin d’être le cas. J’ai vu les enseignants d’un lycée sortir sur le préau et poser pour une chaîne télé de grande écoute en clamant à maintes reprises ce déplorable slogan : « On veut quoi ? on veut l’argent ! ». En mondovision ! En tant qu’enseignant, je me suis senti tout petit et honteux devant ce spectacle qui m’a paru peu décent. Nous pouvons et nous devons donner de nous une image autre que celle-là. Revenons au Forum de l’éducation et examinons froidement les arguments contre son organisation.

D’abord, celui qui allègue que ceux qui le défendent espèrent s’y voir attribuer des postes juteux : on parle, sur je ne sais quelle base, de 5 millions de francs. Cette somme apparaît comme une montagne, vue du campus scolaire. Les membres de la délégation de la Fecafoot à la CAN angolaise en étaient revenus et on les avait contraints à reverser des « trop perçus ». Le plus petit reversement était au-dessus de 30 millions de francs CFA. Combien avaient-ils perçu chacun initialement pour une campagne de quelques semaines ? Un avocat a presté dans un dossier mettant face à face l’Etat du Cameroun et une de nos banques commerciales ; émolument : plus de 850 millions de francs. L’enseignant pense que si son collègue participe à une instance qui réorganise l’avenir de la jeunesse du pays et en tire une modique somme de 5 millions de francs, c’est soit extraordinaire, soit à blâmer. C’est pour cela que notre participation aux examens est payée au franc symbolique depuis des lustres, parce que chaque enseignant s’évertue à empêcher son collègue de gagner un peu d’argent. C’est égoïste et c’est contreproductif pour l’ensemble du corps. Vous pouvez tout faire pour les enseignants et ils en seront heureux, pas reconnaissants, surtout si cela ne vous rapporte pas un clou ! Ce logiciel est mauvais. Les députés que nous élisons pour nous représenter à l’Assemblée Nationale ont-ils tort d’exiger d’être bien rémunérés pour ce qu’ils y font pour nous ? Les enseignants devraient revoir le regard qu’ils portent sur les syndicats, parce que cela impacte le regard que l’on a sur eux tous.  Ils devraient exiger que chaque fois qu’un enseignant donne une prestation quelque part, que celle-ci soit payée au niveau de l’expertise contribuée, qui s’acquiert chèrement ils le savent bien.

Ensuite, ceux qui disent que les résolutions des états généraux de l’éducation (EGE) de 1995 n’ont jamais été appliquées, et en tirent la conclusion que celles du FNE ne le seront pas non plus. Premièrement, cette affirmation est fausse. Certains aspects n’ont pas été appliqués. L’introduction des langues nationales à l’école, la correction du déséquilibre entre l’enseignement technique et l’enseignement général, l’accélération de la création des établissements bilingues, pour ne citer que ces quelques exemples, sont les résultats nets des états généraux de l’éducation. La plupart des réformes issues des EGE ont été mal mises en œuvre pour une raison simple : ce forum n’avait pas planché véritablement sur la question centrale du financement de l’éducation. L’argent, c’est le nerf de la guerre. Passer d’une structure 4+3 à une structure 5+2 nécessite une reconfiguration quasi-totale de la carte scolaire ; passer du bilinguisme sélectif au bilinguisme intégral nécessite un recalibrage total du corps enseignant. Tout cela a un coût qu’il faut anticiper en même temps qu’on pense la réforme. Cela n’avait pas été fait. On le fera cette fois-ci, puisqu’un cahier entier du forum porte sur le financement de l’éducation.

On en vient là au statut spécial de l’enseignant dont on parle tant. D’abord, les enseignants ont déjà un statut particulier. Faut-il ajouter à ce statut particulier un statut spécial ? Cela fera deux statuts pour un seul corps. Je ne crois pas que ce soit faisable. Nous sommes des enseignants, essayons d’être simplement rationnels, c’est ce que nous demandons à nos élèves. Il faut donc plutôt revoir le statut particulier et l’enrichir de nouveaux avantages, contenues sans doute dans la proposition de statut spécial, sans doute aussi améliorer les avantages qui y sont déjà, je pense notamment aux montants des primes. Certains enseignants ne semblent intéressés que par les avantages pécuniaires que pourraient leur procurer ces textes. Le cahier 3 du FNE porte exclusivement sur les conditions de vie et de travail des enseignants : recrutement et formation initiale et continue des enseignants, la rémunération et les compléments de rémunération, les conditions ordinaires et exceptionnelles de travail (zones enclavées et trop éloignées…), gestion de carrière (insertion professionnelle, profil et conditions de promotion, règles de mutations…), questions d’ordre social avec incidences financières (maladies, risques, transport, relève, décès…).

Ces réformes, il faudra les financer : comment ? Les idées foisonnent sur la toile et dans les médias sur les modus operandi possibles. Je ne les rejette pas. La plupart demandent de prendre ici pour donner là, déshabiller pierre pour habiller Paul. Quand Pierre étouffe sous le poids de ses habits, cela peut même avoir un sens. Mais il y aura toujours des réticences : les avantages acquis, même indûment, sont difficiles à arracher. Mais le FNE pourrait adopter des mécanismes nouveaux de financement réservés à l’éducation : la taxe éducative (il existe bien une taxe audiovisuelle et une taxe foncière n’est-ce pas ?) supportée par tous ; la redevance éducative supportée par les industries extractives (le pétrole, le gaz, les minerais précieux…), une redevance éducative financée par les opérateurs de téléphonie mobile, les organisateurs de jeux de hasard, les prestataires de services financiers… On pourrait alors dire à l’Etat : voilà les moyens, finance maintenant convenablement les réformes de l’éducation.

Comme on peut le voir, il suffit de bien penser à l’éducation pour automatiquement, mécaniquement penser à l’enseignant. Parce qu’il n’y a pas d’éducation de qualité sans enseignant de qualité. L’inverse n’est pas par contre automatique : penser seulement aux enseignants peut augmenter le nombre de francs-tireurs qui ne viendraient dans ce métier que pour le matricule et le pactole auquel il donnerait droit. Pour moi, cela n’est pas souhaitable.

Roger Kaffo Fokou

 



10/10/2023
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