Mondialisation et éducation : 2. Quelle école aujourd’hui pour la société de demain : une école des valeurs ou une école de la solidarité nationale ?
La mondialisation est peut-être une fatalité, mais sa forme ne l’est pas, ne l’a jamais été. C’est en cela que, plus qu’un contenu, la mondialisation est une forme, un mode d’organisation et de gestion des contenus. La seule façon de choisir le monde dans lequel nous vivrons demain, c’est de choisir l’école à laquelle nous et nos enfants voulons aller aujourd’hui. Devra-t-elle être une école des valeurs, des savoirs, des savoir-faire ?
Commençons par le concept le plus ambigu : la valeur. Les valeurs sont-elles d’abord matérielles (le prix) avant d’être morales, spirituelles (mérite, distinction), ou vice versa ? Apparentée à la notion économique de prix, la valeur comme concept a animé un débat sur le thème du « juste prix » qui remonte à l’antiquité, notamment à Aristote. Prix fait penser à appréciation, estimation, sur la base de l’utilité, du travail incorporé, ou simplement de la rareté. La valorisation est-elle une affaire individuelle ou collective ? Pour Louis Lavelle, « La valeur est toujours une préférence objectivée et rectifiée. Cependant la préférence ne se change en valeur qu'à la condition de fonder le préféré sur le préférable. » Gabriel de Tarde pense que la valeur est l’accord d’un jugement subjectif avec d’autres jugements subjectifs, donc un consensus subjectif : « Elle (la valeur) est une qualité que nous attribuons aux choses, comme la couleur, mais qui, en réalité, comme la couleur n'existe qu'en nous, d'une vie toute subjective. Elle consiste dans l'accord des jugements collectifs que nous portons sur l'aptitude des objets à être plus ou moins, et par un plus ou moins grand nombre de personnes, crus, désirés ou goûtés. »[1]
On comprend pourquoi la question du juste prix a été un casse-tête de l’antiquité jusqu’à l’âge classique. Pour le coup, les économistes classiques ont opté pour la valeur du marché, c’est-à-dire quelque chose de fondamentalement instable et extrinsèque, dépendant des circonstances, notamment du rapport de l’offre à la demande. La valeur comme concept marchand est donc essentiellement relative et insaisissable. Le propos de Turgot nous éclaire bien sur cette perspective : « La valeur n'a d'autre mesure que la valeur : il n'y a point d'unité fondamentale donnée par la nature, il n'y a qu'une unité arbitraire et de convention.»[2]
Du point de vue philosophique et moral, la valeur est un jugement, une subjectivité mais qui veut se poser comme objective. Cette objectivation repose sur le principe selon lequel la valeur est reconnaissable comme telle par l’intelligence. D’un point de vue économique, la valeur échappe à l’individu et, au contraire, s’impose à lui depuis la place du marché. Philosophiquement et moralement, la valeur, même si elle peut exister objectivement, a besoin d’être reconnue subjectivement et pour cela sollicite l’intelligence de l’individu, c’est-à-dire sa liberté, son esprit critique. La valeur marchande contraint et abrutit donc, alors que la valeur morale libère et humanise. Est-ce pour autant qu’il faut rejeter l’une et ne retenir que l’autre ? On se retrouverait en face de la loi des équilibres rompus, avec le risque de voir le chaos déferler sur la société.
Eduquer pour une mondialisation humaniste, L’Harmattan, 2015, pp.46-47
[1] Louis Lavelle, Traité des valeurs, I, 523, in Foulquié. Louis Lavelle est philosophe français (1883-1951), métaphysicien, représentant de la philosophie de l’esprit.
[2] Gabriel de Tarde, Psychologie économique, t. I, p. 63.
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