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« Mondialisation solidaire » de Moscovici : la nouvelle intox avec laquelle il va falloir prendre de la distance

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, Paris, l’Harmattan, 2011

 

 

Dans Le Monde.fr de ce 28 août 2012, Pierre Moscovici le ministre français de l’économie et des finances et Nicole Bricq, le ministre du commerce extérieur du même pays se sont mis ensemble pour sortir un texte à caractère programmatique sur la nouvelle offensive que la France hollandienne entend mettre en œuvre pour se tirer d’une récession jusqu’ici niée, et à terme mettre un peu de couleur sur le portrait d’un pays que l’âge, la jouissance et une forme de laisser-aller sont en train de décrépir et de pousser vers la décadence. Comme recette miracle, ils n’ont rien trouvé de mieux, contre les affres de la « mondialisation », qu’une sorte de vaccin : la « mondialisation solidaire ». A dire vrai, le texte qu’ils offrent à l’opinion est loin d’être clair, il serait plutôt clair-obscur, ce qui tire d’un de leurs compatriotes ce commentaire éloquent : « En clair et concrètement, il a voulu dire quoi notre ministre? Y a-t-il un traducteur parmi les lecteurs? ». Sans avoir la prétention de pouvoir traduire ce petit morceau de rhétorique à destinateurs multiples, essayons à titre préventif d’en extraire quelques éléments à notre usage. S’agit-il de la prochaine grande farce dont nous serons comme d’habitude les dindons ?

 

 

Le constat qui se dégage de ce texte est qu’il donne une lecture critique de la mondialisation, et en propose une version corrigée, la « mondialisation solidaire ». D’emblée, au plan des concepts, cette critique peut être mise en parallèle avec celle que la social-démocratie a faite du capitalisme au XXè siècle : une simple édulcoration. La France veut donc rester un acteur central de la mondialisation : « La bataille pour la croissance ne se gagnera pas dans les limites de nos frontières. » Et les auteurs d’ajouter, pour ôter toute ambiguïté au propos précédent « Il faut pousser plus loin l'avantage de la France dans la mondialisation, sans crainte ni naïveté. » Tant pis donc pour ceux qui seront naïfs, et qui prendront à la lettre le discours lénifiant (qui est la marque habituelle de la gauche et même des gauches du XXè siècle) sur une mondialisation supposée solidaire, la réalité est celle d’un processus guerrier, et le vocabulaire dont se servent les deux mousquetaires est plutôt précis là-dessus : « notre pays peut compter sur ses champions nationaux ». « Champion » comme l’on sait fait partie du lexique médiéval de la chevalerie et y désignait celui qui prenait les armes dans un champ clos pour défendre une cause dans un duel. Il y avait là une véritable apologie de la violence qui faisait de la raison du plus fort la raison du plus juste. La France, qui a bâti sa fortune sur la mondialisation – après la Grande-Bretagne (près de 33 millions de km2), la France avait le plus étendu domaine colonial (12 millions de km2) – a vu progressivement celle-ci se retourner contre ses intérêts ces dernières décennies. De bourreau, elle est ainsi en passe de devenir une victime de la mondialisation. Quelle décadence ! Il est donc grand temps que cela change, et peu importe si cela doit se faire avec un gouvernement de gauche.

 

 

N’est-il pas remarquable que ce texte ait des accents « julesferryen » aussi prononcés ? A une époque où les dirigeants français n’arrêtent pas de se plaindre de la « désindustrialisation » de la France, le nouveau pouvoir hexagonal s’est fixé pour ambition de « réindustrialiser » ce pays. Comment ? Les vieilles recettes sans doute : « la politique coloniale est fille de la politique industrielle », déclarait Jules Ferry devant le Parlement français au XIXè siècle. L’ère des colonies a vécu, officiellement. Depuis la deuxième moitié du XXè siècle, on lui a substitué la « coopération », un concept plus digest que "néocolonisation". Dans cette nouvelle mondialisation qui se veut solidaire et plus juste mais également tout aussi agressive que l’ancienne, quel va âtre le duel gagnable pour la France, une France en déclin qui n’ose plus affronter l’Asie et dont l’Amérique latine n’a jamais été le fief ?

 

Il suffit de lire la troisième phrase du programme Moscovici-Bricq : « L’Afrique a trouvé la voie d'une croissance forte». Ce continent ne serait-il pas la cible désignée ? On peut utilement se poser la question de savoir pourquoi dans un texte qui projette la politique extérieure de la France pour les années à venir, le focus ait négligé les autres continents pour se fixer sur l’Afrique, comme s’il s’était agi du discours d’un sommet France-Afrique ou Afrique-France, allez donc me dire quelle différence cela fait. Cette interrogation se renforce lorsque plus bas, parlant des pays en développement, les auteurs encore une fois limitent leur projet à l’Afrique : « Cette solidarité concerne les pays en développement, bien sûr. Il ne s'agit pas ici de commisération mais de développement durable, mutuellement profitable. Nous devons jeter les bases d'un développement commun avec nos voisins du Sud – et d'abord avec le Maghreb et l'Afrique subsaharienne ». Le « mutuellement profitable » est le pendant actuel de la « mission civilisatrice » du XIXè siècle. L’on sait comment celle-ci, théoriquement si généreuse, fut concrètement mise en œuvre sur le terrain. Est-ce un hasard si l’accent est ici mis sur la zone franc qui est l’outil par excellence du néocolonialisme français dans cette région du monde depuis les années 60 ? On peut toujours rappeler pour mémoire que l’une raisons fondamentales des malheurs du Malgache Ravalomanana fut de substituer au franc malgache une ancienne monnaie locale. Nous parlions de Jules Ferry ? Celui-ci disait le 28 juillet 1885 que « Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux ». Pierre Moscovici et Nicole Bricq le reprennent en langage socialiste : « Nos partenaires du Sud exigent de préserver leurs ressources naturelles et culturelles ; ils attendent nos investissements. Nos entreprises, attachées à la responsabilité sociale, peuvent porter un partenariat renforcé, dépassant l'horizon du libre-échange, et trouver ici de nouveaux marchés ou des compléments de compétitivité. » A bon entendeur, salut ! 

 

 Lire sur Le Monde.fr le texte intégral de Moscovici et Bricq La mondialisation solidaire au service de la croissance



28/08/2012
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