Mongo Beti : en octobre 2012, cela fera 12 ans !
Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Accents aigus, poésie, paris, publibook, 2011
Né en 1932, décédé en 2001, Mongo Beti a vécu 69 ans d’une vie intense et à plus d’un point de vue exemplaire. Pourfendeur du colonialisme et du néocolonialisme à travers une écriture multiforme, il s’est particulièrement illustré dans sa critique sans concession de la françafrique, et dans ce sens, son ouvrage La France contre l’Afrique (1993) apparaît de par son simple titre comme tout un programme. Lorsque l’on scrute l’œuvre gigantesque de Mongo Beti de son vrai nom Alexandre Biyidi Awala, l’on ne peut ne pas être surpris par la diversité des formes d’écriture et d’engagement, la constance des prises de position sur une durée remarquable, la fidélité à des thématiques qui n’ouvrent que très rarement les portes capitonnées de la gloire et de la richesse dans un monde dominé par l’ordre marchand.
Avec le talent qu’il avait et la colère qui l’habitait en moins, Mongo Beti aurait pu se mettre au service de l’ordre mondial établi ou de sa succursale locale et, nul doute que les trompettes de la renommée et de la richesse auraient longuement retenti pour lui. Heureusement, il avait trop de génie pour copiner avec l’ignorance et la bêtise, et ne pouvait ignorer la fragilité des splendeurs qui passent. Il n’a cependant pas construit son œuvre dans une hantise de la postérité : ce qui a semblé importer le plus pour lui tout au long de sa vie, et dont il a parlé avec une insistance obsessionnelle, c’est la misère de ses contemporains. Viscéralement, Mongo Beti a été un écrivain de son temps, dans le sens que Jean-Marie Gustave Le Clézio donnait à ce mot lorsqu’il disait de Sartre qu’il était contemporain parce que : « Il a incarné ce siècle, souffert ce siècle, agi ce siècle ; et aussi parce qu’il l’a exprimé ». He bien, Mongo Béti ne s’est pas épargné les misères et les frustrations de son époque et a bu la coupe jusqu’à la lie.
Ecrivain non bourgeois par excellence, il comprend très vite que derrière l’agitation politique des impérialismes du XIXè siècle, le véritable monstre à l’œuvre, c’est le capital et ses alliés. La peinture qu’il en fait dans ses premières œuvres – Ville cruelle (1954), paru sous le pseudonyme d’Eza Boto, le Pauvre Christ de Bomba (1956), Mission terminée (1957), ou le Roi miraculé (1958) – lui assure son élection à l’Académie des écrivains maudits de la francophonie en particulier et du monde capitaliste en général. Malgré une plume exceptionnelle et une production prolifique (l’on compte difficilement ses articles), il n’obtiendra pas le moindre prix. Désabusé, il dira quelque part [1] que « Le Nègre ne passionne pas le snob », le Nègre authentique et non son image diluée qu’affectionnent les salons métropolitains et leurs médias, pensait-il sûrement, le Nègre fondamental. De lui, comme l’a très bien démontré le professeur Robert Fotsing dans une conférence donnée à l’occasion du souvenir, l’on a surtout montré le militant inflexible, impénitent, aux prises de parole incendiaires comme un feu de brousse tropical. Il a milité au premier rang de toutes les causes nobles, et même dans le Social Democratic Front. Et puis quoi ? Sartre n’était-il pas membre du Parti Communiste ? Mongo Beti était tout d’une pièce et c’est cela qui en fait un repère pour la jeunesse africaine d’aujourd’hui et de demain. En feuilletant l’Encyclopédie en ligne Encarta, j’ai eu la surprise de constater qu’on y avait ouvert une page pour lui. Comme quoi même la malédiction arrive à s’épuiser. Cela m’a fait penser à un autre grand africaniste, Cheikh Anta Diop qui, lui, n’a pas toujours mérité d’y entrer autrement que par deux lignes négligemment insérées dans la biographie de Djibril Tamsir Niane : « Chercheur rigoureux aventuré dans les méandres de la mémoire collective, il se situe à mi-chemin des historiens classiques s’appuyant sur les textes et les vestiges matériels, et les thèses du chercheur sénégalais Cheikh Anta Diop, pour qui la réhabilitation de l’Afrique passe par la mise en évidence de l’origine noire de l’Égypte ancienne ». Ne dit-on pas que l’on reconnaît les grands hommes à la qualité de leurs adversaires ?
Bibliographie de Mongo Beti limitée aux ouvrages
• Sans haine et sans amour, 1953.
• Ville cruelle, 1954
• Le Pauvre Christ de Bomba, 1956.
• Mission terminée, 1957.
• Le Roi miraculé : chronique des Essazam, 1958.
• Main basse sur le Cameroun : autopsie d’une décolonisation, 1972.
• Les Procès du Cameroun : autopsie d’une décolonisation, 1972.
• Perpétue et l’habitude du malheur, 1974.
• Remember Ruben, 1974.
• Peuples noirs, peuples africains, 1978.
• La Ruine presque cocasse d’un polichinelle : Remember Ruben 2, 1979.
• Les Langues africaines et le Néocolonialisme en Afrique francophone, 1982.
• Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur, 1983.
• La Revanche de Guillaume Ismael Dzewatama, 1984.
• Lettre ouverte aux Camerounais, ou, La deuxième mort de Ruben Um Nyobé, 1986.
• Dictionnaire de la négritude avec Odile Tobner et la participation de collab. de la revue Peuples noirs - Peuples africains, 1989
• La France contre l’Afrique : retour au Cameroun, 1993
• L’Histoire du fou, 1994.
• Trop de soleil tue l’amour, 1999.
• Branle-bas en noir et blanc, 2000.
• Africains si vous parliez, 2005
[1] Cf. Main basse sur le Cameroun : autopsie d’une décolonisation, 1972.
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