NGOKETUNJIA: le préfet Quetong Anderson Kongeh veut fermer écoles, collèges et lycées !
Le Ngoketunjia est ce département de la région du Nord-ouest dont le chef-lieu est Ndop. Trois arrondissements : Babessi, Ndop et Balikumbat. Dans le chaudron de la crise du NOSO, le Ngoketunjia est dans une situation extrêmement difficile. Il est traversé par la route nationale n°11 qui va jusqu’à Kumbo en passant par Jakiri. Le relief extrêmement accidenté de cette région y rend la maîtrise du terrain particulièrement difficile pour des troupes faisant face à une guérilla, notamment quand ladite guérilla opère en terrain connu par rapport à son adversaire. Il est donc extrêmement risqué pour quiconque n’est pas lourdement armé de se risquer sur ce parcours pourtant carrossable, parce que ce serait un pari largement intenable, et tous ceux qui ont voyagé dans cette région le savent parfaitement. A partir de Jakiri, vous pouvez joindre Foumban dans la région voisine de l’Ouest en empruntant une route régionale largement impraticable en saison pluvieuse y compris pour les véhicules militaires tous terrains. Nonobstant ces handicaps, cette route a d’ailleurs été largement utilisée ces deux dernières années pour éviter l’extrême risque de la nationale n°11 par tous ceux, civils fonctionnaires ou marchands, indigènes des lieux, qui ont usé de tous les moyens pour continuer à exercer un minimum d’activité et en vivre. Mais ce trajet multiplie souvent les coûts de transport par dix, sans le moindre surcroît d’assurance !
Dans le Ngoketunjia, l’arrondissement de Balikumbat a une histoire particulière en matière d’insécurité. C’est un pays encaissé dans des gorges profondes noyées dans plusieurs mètres d’eau en saisons pluvieuses, comme le sont les fjords norvégiens. Pas de routes nationales ni régionales, rien que des départementales. Dans ce paysage primaire, tourmenté, largement abandonné depuis toujours, la rébellion anglophone se sent aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau et ce ne sont pas les quelques incursions fortement médiatisées des forces armées nationales qui peuvent changer substantiellement la donne qui y prévaut. On sait que ces dernières années, les groupes armés y ont sévi sans répit et sans rencontrer de résistance sérieuse, incendiant, tuant, kidnappant, torturant, rançonnant tout ce qui portait ostensiblement ou non les couleurs de la République. Au point que les sous-préfets et préfets des lieux, contrairement à ce qu’ils exigent habituellement des autres fonctionnaires, ont dû délocaliser leurs centres de commandement à Bamenda, seul point sur la carte du Nord-ouest où l’on peut être aujourd’hui assuré d’une relative sécurité. Récemment, un groupe d’enseignants, obéissant imprudemment aux injonctions de l’autorité administrative, s’est risqué sur la route de Bafut, dans le département voisin et chef-lieu régional de la Mezam, à tout juste 23 km de Bamenda. Ils ont été arraisonnés en cours de route, trainés en brousse où ils ont passé deux jours, bastonnés, torturés, rançonnés et finalement abandonnés nus sur le bord de la route.
Dans ce contexte quasi apocalyptique et sans la moindre protection, de très nombreux enseignants ont cependant continué à assurer leurs tâches d’éducateurs, contribuant de façon inestimable à faire flotter le drapeau de la République sur un champ de guerre particulièrement meurtrier. A Ndop, chef-lieu du Ngoketunjia, on a dû à un moment donné mettre en camps les enseignants, et faire vivre ces derniers en baraquements, dormant sur des matelas jetés à même le sol comme des soldats, parce que leur sécurité dans la ville n’était nullement garantie. Aujourd’hui encore, lorsque vous entrez dans une salle de classe dans le NOSO, un mot prononcé de travers inconsciemment, sans en mesurer l’onde de choc, la portée, peut être considéré comme favorable au gouvernement de la République, et vous désigner comme un propagandiste mou ou zélé de ce dernier, donc vous condamner à votre insu aux pires représailles. Vous y êtes épiés par les renseignements de l’armée, par ceux des « forces ambazoniennes », sans oublier les agents dissimulés des groupes armés divers ; et les yeux et oreilles de ces acteurs en belligérance radicalisée peuvent appartenir à n’importe qui : votre chef d’établissement, votre collègue, votre élève, le voisin du quartier qui a l’air si gentil avec vous et si soucieux de votre bien-être… Ces enseignants qui prennent plus que largement leur part du sacrifice pour la République, l’idée n’est pas encore venue à aucun préfet ni sous-préfet de les féliciter, même verbalement, pour les encourager à continuer à le faire. Au contraire, quand il s’agit de brandir le glaive de la répression, l’administration ferme préalablement les yeux pour n’épargner personne, pas même ceux dont il est certain qu’ils font leur travail dans d’effroyables et souvent inhumaines conditions.
Dans deux arrêtés signés le 24 février et 7 juillet 2021, Quetong Anderson Kongeh, préfet du département du Ngoketunjia, a ainsi fait suspendre les salaires de deux cents enseignants. Selon des informations de terrain, il aurait établi une liste de près de 1500 enseignants du primaire et du secondaire, autant dire toute la population enseignante de son territoire de commandement, en vue de les faire suspendre de salaires. Cela fera certainement du bien aux finances de la République, et permettra d’allouer un peu plus d’argent à la poursuite de la guerre. Les deux cents enseignants actuellement suspendus ne seraient donc que la première vague d’une série en cours. Un feuilleton qui promet d’être macabre. A l’examen, il apparaît que parmi les suspendus figurent, sans surprise, ceux qui enseignent plus ou moins régulièrement (mais le préfet n’a guère jugé utile de s’embarrasser de considérations aussi dérisoires) , ainsi que ceux qui ont été mutés hors du Ngoketunjia récemment (Ils n’avaient qu’à désobéir à l’administration qui a osé les muter sans l’avis du préfet !).
M. le préfet veut sans doute donner des gages à son patron de l’administration territoriale qui se veut, c’est connu, un dur à cuire. Ce dernier peut ainsi voir que lui, le sieur Quetong Anderson Kongeh, est comme lui un homme à poigne, un homme dont la main ne tremble point quand il faut poignarder l’école républicaine, attenter à l’avenir de la jeunesse du Ngoketunjia à lui imprudemment confiée. Parce qu’il est difficile, si l’on veut faire vivre l’école dans ces zones de guerre où simplement manger, boire et dormir est déjà une gageure, de réussir son pari en privant massivement les enseignants de salaire, c’est-à-dire du manger, du boire et du dormir. Peut-être bien Monsieur le préfet roule-t-il secrètement pour l’Ambazonie ? Il faudrait creuser la question. Plus largement, cette guerre que le Gouvernement de la République a voulue, et qu’il n’arrive pas à gagner avec des soldats formés à le faire, a-t-on donc décidé que ce sont les enseignants, formés à faire la paix et non la guerre, qui vont désormais se charger de la gagner pour la République ? Quand la main armée du soldat n’arrive pas à maintenir flottant le drapeau tricolore étoilé de la République quelque part, parce que le risque y est devenu trop important, pense-t-on que c’est celle non armée, nue, de l’enseignant qui y parviendra ? L’éducation doit être mise à l’abri du cynisme des politiciens pour qui tous les moyens sont bons, y compris ceux qui ne sont même pas efficaces.
Ces suspensions à l’aveugle du préfet Quetong Anderson Kongeh sont une immixtion inappropriée, déraisonnable, contreproductive de l’administration territoriale dans les enseignements secondaires, d’autant qu’en juillet prochain, ce n’est pas M. Atanga Nji qui aura la charge d’expliquer les performances scolaires du Ngoketunjia aux parents d’élèves et à l’opinion. Si les préfets et sous-préfets sont désormais des chiens aux trousses des enseignants, qu’au moins ce soit pour les regrouper et les encadrer et non les disperser aux quatre vents. En se désolidarisant des agissements de cette préfectorale-là, le Ministre des Enseignements Secondaires (communiqué du 26 janvier 2022) a voulu faire mesurer la gravité de l’acte posé, et accessoirement mettre le Chef du Gouvernement face à ses responsabilités de coordonnateur de l’action gouvernementale. C’est en même temps un acte de solidarité avec ses enseignants qui pèsera certainement dans la balance plus que toutes les agressions des préfets et sous-préfets (notamment cette injonction absurde concernant la fête de la jeunesse qui trahit cette culture qui s’obstine à privilégier l’accessoire au détriment du nécessaire) en faveur du maintien d’un minimum d’école dans le NOSO, à condition que très rapidement les enseignants suspendus injustement (et ils sont très nombreux dans ce cas) retrouvent leurs salaires sans la moindre tracasserie.
Roger Kaffo Fokou
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