Nos campus scolaires aujourd’hui : éducation Violente ou éducation à la violence ?
Par Roger KAFFO FOKOU, Enseignant -écrivain
La violence semble de plus en plus coller à notre époque. Quand on ne l’exerce pas soi-même, il est rare qu’on ne la subisse pas. Elle n’a pas seulement investi notre quotidien, elle s’est installée dans notre imaginaire et colonise sans état d’âme l’espace médiatique qui façonne jusqu’à nos pensées. Comment non seulement échapper à la violence mais surtout la contrer, lutter contre sa banalisation dès lors qu’elle s’est aussi invitée dans l’espace scolaire et menace d’y devenir incontrôlable ? Comment faire pour que l’éducation des tout-petits ne devienne pas une éducation violente ou à la violence ? Un travail de sensibilisation soigneusement planifié, qui donne au maximum des acteurs de l’espace scolaire la compétence d’identification de ce phénomène y compris dans ses manifestations les plus subtiles, leur permet de mieux en connaitre les conséquences éventuelles, pourrait aider à une meilleure gestion de la violence en milieu scolaire.
Au fait qu’est-ce que c’est que la violence et comment se manifeste-t-elle ? La violence est le résultat d’une action qui « viole », c’est-à-dire agit contre, porte atteinte à, manque de respect à… La violence est donc clairement le résultat d’une infraction ou d’une effraction, d’une transgression ou d’une agression. Dans son sens profond, la violence consiste déjà simplement à fouler aux pieds les lois et règlements, et donc par conséquent les droits reconnus ou naturels. Et lorsque l’exercice de la violence rencontre une volonté opposée (une personne qui connaît ses droits et est préparée à les défendre), un système de défense organisée (une serrure de sûreté à la porte, des forces de maintien de l’ordre veillant au respect de la loi), il n’a plus d’autre choix que de recourir à la force, à la brutalité. Aussi confond-on souvent violence et usage de la force ou de la brutalité physique ou matérielle, et ce faisant, on laisse glisser inaperçues de nombreuses formes de violence plus subtiles qui s’appuient sur d’autres formes de puissance. Ce sont prioritairement celles-là qu’il importe avant tout d’identifier dans l’espace scolaire, parce qu’elles préparent le terrain à des violences de types plus classiques et que l’on voit surgir et faire des ravages mais trop tard, comme si l’on avait affaire à des générations spontanées.
Commençons par le champ très riche des violences verbales dont les enseignants sont fort coutumiers aux dépens de leurs élèves. Naturellement, dans ce détestable exercice, ils bénéficient et abusent du contrat institutionnel qui met la force de leur côté, théoriquement, et la faiblesse en face d’eux. Imaginons toute la gamme des appréciations subjectives dont les enseignants usent au quotidien comme autant de balles réelles : élève nul, qui n’aboutira jamais à rien, espèce d’avorton, moins que rien, microbe… Ce n’est plus le travail de l’élève qui est apprécié mais l’élève lui-même, son physique (regarde-moi sa grosse tête, avec tes yeux de fumeur de chanvre…), ses parents, son ethnie, sa race, rien ne lui est épargné dès lors que l’enseignant se met en colère. N’oublions pas de mentionner dans cette rubrique les notes injustes, non méritées, attribuées intentionnellement, quelquefois pour des faits survenus hors du campus scolaire.
Nous ne disons pas qu’il faut supprimer la punition, cette forme codifiée de violence qu’on peut ranger dans la panoplie de la violence légale ou légalisée. Sans elle, il n’y aurait même plus d’éducation du tout. Mais la sanction ne peut éduquer que dans la mesure où elle est proportionnée ou tout au moins perçue comme telle. Lorsque l’on demande à un élève de recopier tout un livre, il faut un sacré charisme pour l’amener à percevoir une telle sanction comme étant proportionnelle. Ainsi, la bonne punition évite tous les excès et veut que l’on soit sévère avec modération.
La punition la plus proportionnelle ou perçue comme telle peut cependant choquer, violenter, de par sa nature. Elle peut présenter un caractère humiliant, dégradant évident. Demander à un élève de s’asseoir à même la poussière, de se rouler au sol, d’enlever une tenue non conforme et de rentrer torse nu à domicile… c’est pratiquement l’inciter, le pousser à la rébellion, et en porter directement la responsabilité.
Ne parlons même pas de la violence physique : gifles, pincements d’oreilles, coups divers, bastonnades… Celles-là sont expressément interdites par la législation scolaire. Et cette interdiction ne repose pas sur une notion quelconque de seuil de supportabilité ni de degré d’intensité. On ne peut se justifier en arguant qu’il ne s’agissait que de « quelques malheureux petits coups de bâtons », ou d’une « petite gifle de rien du tout ». Cela peut paraître surréaliste et peu susceptible d’efficacité pour des éducateurs à poigne mais c’est la loi, et dura lex, sed lex. Encore que très souvent, sur le terrain des conséquences, c’est l’exercice de ce type de violence qui allume la mèche et fait parler la poudre en milieu scolaire.
Les conséquences de la violence sont de ce fait aussi diverses que les formes de violence mais généralement, la violence appelle la violence, comme le sang appelle le sang. Les effets les moins visibles, spectaculaires de la violence ne sont pas les moins dévastatrices.
Prenons la violence verbale et ses effets psychologiques. Elle génère des frustrations d’une profondeur souvent insoupçonnée. Et la frustration, quand elle ne peut être défoulée en raison du déséquilibre défavorable à la victime du champ de force, développe découragement, apathie, repli sur soi, introversion. Voilà un élève qui voit ses chances de réussite brusquement tomber drastiquement. Et la colère qui bouillonne sourdement au fond de lui comme un mauvais magma débouchera peut-être un jour sur une explosion dévastatrice. Mais si l’élève se sent un peu plus sûr de lui, de sa propre force, il va tout doucement basculer dans la délinquance : refus d’obtempérer, absences aux cours de son bourreau présumé, et puis, un jour, il va basculer en rupture de ban et répliquer à la violence par la violence. Mais la violence peut aussi produire des effets immédiats, hic et nunc.
Un malheureux acte non maîtrisé peut déboucher sur un accident : un enseignant d’EPS qui force un élève à exécuter un exercice physique et ce dernier en meure, un coup de bâton mal placé et l’élève s’effondre… Bien sûr le résultat n’est pas celui que l’on anticipait mais il est déjà là et il est difficile à gérer. De plus en plus aujourd’hui, ce type de situation allume des émeutes et incendie des établissements scolaires. Et ensuite, les dégâts, il faut bien que quelqu’un les paie.
De nombreux enseignants se sont déjà retrouvés face aux conséquences des actes qu’ils n’avaient pas suffisamment maîtrisés et dont ils n’avaient pas anticipé les conséquences. Un surveillant général, dans le département du Noun, a vu son crâne presque fendu en deux, d’un violent coup de machette ; un autre, dans la région du Nord-ouest, s’est vu lardé de coups de couteau et n’y a survécu que par miracle. Parce que la violence appelle la violence. De nombreux enseignants ont eu à s’expliquer devant la barre, et y ont eu le plus grand mal à se faire comprendre. Les montants des dommages auxquels ils sont la plupart du temps condamnés n’ont pas grand-chose à voir avec leur niveau réel de revenus : la loi est dure, mais c’est la loi ! On peut pourtant éviter d’en arriver à de telles extrémités.
La plupart des enseignants ne sont pas loin de penser qu’une fois privés de l’arsenal de violence dont ils peuvent user pour réprimer l’indiscipline de leurs élèves, il ne leur reste plus rien, et c’est comme si on les avait complètement dénudés. C’est que la violence est un raccourci bien commode, qui évite l’effort de pensée et d’imagination. Beaucoup d’enseignants ne se considèrent d’ailleurs pas responsables de la discipline et donc de l’indiscipline de leurs élèves. C’est d’autant paradoxal que ce qu’ils enseignent, de manière fondamentale, n’est rien d’autre qu’une discipline. Si leur enseignement n’aboutit pas à discipliner leurs élèves, à en faire des disciples, c’est qu’il est passé à côté de son objectif. Les surveillants généraux dans ce cas ont avant tout pour rôle d’enregistrer fidèlement le degré de réussite ou d’échec dans l’accomplissement de cette mission. Ils ne sont que les thermomètres de la discipline en milieu scolaire. Mais comment l’enseignant peut-il gérer la violence à laquelle il est inévitablement confronté au quotidien dans une société devenue de plus en plus violente ?
Premièrement, en évitant de la déclencher lui-même. De nombreuses formes de violence dépendent de lui, de sa capacité, en tant que maître, à maîtriser sa colère, son dépit, devant les maladresses et les fautes de ses élèves. Si les élèves étaient déjà sages et disciplinés au départ, ils n’auraient probablement pas besoin d’un enseignant. Certains sont même mal intentionnés, et ils vont tout faire pour provoquer l’enseignant. Si ce dernier est un maître, et donc sait se maîtriser, ces provocations feront long feu, et à la longue, il n’en restera rien. Mais si l’enseignant se laisse déborder, cède à la violence, alors il devient le vecteur de la violence, le modèle de l’absence de maîtrise de soi. On sait que l’enseignant n’enseigne avant tout que ce qu’il est.
Deuxièmement, il reste toujours une gamme d’outils de répression autorisés : ils font le contenu du règlement intérieur de chaque établissement. Il faut cependant veiller à les conformer à la loi. Un règlement intérieur ne sera jamais au-dessus de la loi et il devrait être pris la précaution de faire expertiser ces textes par des spécialistes du droit afin de s’assurer de cette conformité. En cas de nécessité, il faut donc appliquer le règlement intérieur, rien que le règlement intérieur, mais avec discernement et humanité, en bon père de famille comme dit la formule classique. Parce que appliquer le règlement intérieur c’est user aussi de la violence, même s’il s’agit d’une violence convenue, légale, il faut se rappeler que son application répétée indique l’ampleur de l’échec de la mission d’éducation.
En somme, pour manager efficacement la violence en milieu scolaire, il faut bien la connaître jusque dans ses formes les plus effacées, pouvoir bien en mesurer les conséquences éventuelles, et choisir avec soin les armes pour la contrer. La peur du gendarme, dit-on, est le début de la sagesse. On peut donc choisir de s’appuyer sur l’arsenal de la violence légale que nous offre le règlement intérieur pour commander la discipline par la peur de la sanction. Cela, n’importe qui peut y arriver et il n’est pas besoin d’un enseignant pour une telle tâche. On peut aussi choisir de prêcher pas l’exemple, et de se servir de la maîtrise de soi pour enseigner à son élève à se maîtriser lui-même face à la tentation de la violence. Et là, l’on gagne un disciple et son respect par-dessus le marché.
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