OTS, syndicats, gouvernement et autres face aux revendications des enseignants : sortir du bal masqué pour jouer franc jeu
Une « fatwa » a été lancée contre moi ces derniers jours. Elle se préparait depuis un certain temps. Et tous les « fous utiles » se sont déchaînés, convaincus de bonne foi pour beaucoup d’entre eux de défendre la bonne cause. Et c’est à qui va cracher le plus fort et le plus juste. La « justice populaire », quand on lui désigne un coupable qui peut être lynché sans risque, se comporte toujours ainsi, lâchement et impitoyablement. Rien de nouveau sous le soleil. Les véritables responsables, ce ne sont pas ceux qui crachent et lancent des pierres. Ils ne sont généralement que des illuminés. Il ne sert pas de regarder dans leur direction. Ce ne sont que de pauvres gens amputées de leur cervelle, de toute lucidité, de toute capacité d’analyse. Derrière eux, il y a des intelligences ou des bêtises plus intéressantes et souvent monstrueuses. Qui sont-elles dans ce cas ?
Il y a d’abord le Gouvernement. Le premier créateur de OTS, c’est bien sûr le Gouvernement. Dans cette étrange entreprise, il s’est au départ comporté comme le Docteur Frankenstein. Le monstre qu’il créait allait s’en prendre uniquement aux autres, le débarrasser de ses pires ennemis, les syndicats. Car qui est OTS ? La réponse est simple et banale : c’est l’incarnation du mécontentement exacerbé des enseignants, de la frustration organisée et entretenue avec un rare aveuglement par un gouvernement qui se croit, s’est toujours cru plus intelligent que tout le monde. Harcelé sans répit par les syndicats d’enseignants surtout à partir de 2012, mis dos au mur en décembre 2016 par ces mêmes syndicats alors qu’il bataillait déjà sur le front anglophone, le Gouvernement pour s’acheter du répit avait cédé devant les syndicats sur deux dossiers à propos desquels il avait déjà juré de ne pas bouger : l’intégration des instituteurs contractuels et l’organisation d’un forum national de l’éducation. L’accalmie si chèrement obtenue du côté francophone lui avait permis de se concentrer sur le front anglophone. Mais les syndicats lui avait fait perdre la face : céder sous la pression, une chose qu’il s’est toujours juré de ne jamais faire. Et il a plié le doigt de rancune. A l’occasion, il allait falloir régler leur compte à ces syndicats.
On était alors en 2016. Deux ans plus tard, l’occasion s’était présentée : l’irruption sur la scène de revendication du collectif des enseignants indignés (CEIC). C’était une occasion trop belle pour ne pas s’en saisir. Un haut responsable de la Primature et pas n’importe lequel avait alors confié : « Je préfère ceux qui me posent des problèmes que je peux régler et tourner la page une fois pour toute ». Son choix était donc fait et, écartant les syndicats, il avait décidé de régler les griefs des enseignants directement avec le CEIC à partir du Premier Ministère, court-circuitant les ministères de l’éducation, le ministère du travail et de la sécurité sociale, et le MINFI : une task-force, installée dans les services du Premier Ministre, s’était alors penchée sur le dossier du contentieux de la dette des enseignants. Un signal venait d’être lancé aux enseignants : « Ne vous occupez plus des syndicats, ils sont inefficaces ; les collectifs font mieux et plus vite. » Et ce message était passé. Une multitude de collectifs avait commencé à fleurir sur toutes sortes de revendications. Le CEIC avait si bien réussi que sa direction commença à susciter de la convoitise : une scission s’y était alors produite, donnant naissance au NCEIC, le nouveau collectif des enseignants indignés du Cameroun. L’entrée en scène de ce dernier fut le premier signal d’alerte : la machine menaçait d’échapper au contrôle de ses créateurs. On décida de frapper fort, très fort : les responsables du collectif furent arrêtés, embastillés. On ne les libéra qu’au prix des pires vexations : ils durent écrire sous la dictée un texte humiliant et le lire devant les médias, dans lequel ils promettaient de ne plus jamais se retrouver dans une manifestation d’une quelconque revendication. C’était comme une parodie des célèbres procès de Moscou sous le régime stalinien. On les relâcha tard une nuit, et ils disparurent dans le silence et la colère, happés par le paysage. Le noyau du futur mouvement OTS venait d’être créé !
Il émergea dans l’opinion en 2022, sa copie étant corrigée : aucun responsable susceptible d’être arrêté et intimidé, une existence strictement virtuelle. Entre temps, fidèle à lui-même, le Gouvernement avait profité de l’accalmie acheté au prix de l’infamie pour jeter aux ordures ses promesses : et la dette due aux enseignants s’était remise à gonfler, démesurément, touchant des dizaines de milliers d’enseignants de la base comme du secondaire. L’appel d’OTS saison 1 couplé au modus operandi choisi reçut un accueil inattendu et il se produisit comme un basculement irrésistible, prenant de court tous les acteurs institutionnels. On se retrouva au bord du pire en un rien de temps. Qu’est-ce qui empêcha le basculement ? Peut-être une simple maladresse stratégique.
Né de la conviction de l’inefficacité des syndicats, conviction organisée et entretenue par le Gouvernement, OTS se posa instinctivement en s’opposant aux syndicats. Cette défiance envers les syndicats qui était le seul point sur lequel OTS et le Gouvernement se retrouvaient pour des raisons très différentes fut sans doute décisive dans l’issue du premier affrontement OTS-Gouvernement. Elle empêcha une jonction parfaite entre syndicats et OTS qui défendaient pourtant les mêmes intérêts. En effet, face à la menace OTS, les syndicats retrouvèrent subitement grâce aux yeux du Gouvernement qui dès lors ne rêva plus que de se servir d’eux, non pas, on l’a bien compris, de les traiter comme des acteurs légitimes de la cause des enseignants. Le Forum que ceux-ci exigeaient ne coûtait qu’un malheureux petit milliard de francs CFA : une broutille, un simple os à ronger en temps ordinaire. Mais l’enjeu véritable était symbolique : tenir le forum aurait consisté à rétablir les syndicats dans leur crédibilité aux yeux des enseignants et de l’opinion, sans assurance de pouvoir les contrôler : un risque trop grand pour pouvoir être pris. Il restait la ruse : rejeter OTS dans l’illégalité, maintenir les syndicats dans une légalité improductive et pernicieuse, en ne cédant qu’à la marge, à ses conditions et à son rythme.
Le Gouvernement avait ainsi lâché du lest mais sans véritablement perdre la face, ce qu’il déteste particulièrement, on l’a vu plus haut. Et les petits arrangements avec les promesses reprirent, comme avant, comme si de rien n’était : un tonneau se dévidait au même moment qu’un autre se remplissait. Jusqu’à la goutte de trop : le deuxième plan de paiement étalé jusqu’en 2025 ! Qui donc sont les autres acteurs de ce scénario à la Hollywood ? Nous y reviendrons bientôt.
Roger KAFFO FOKOU
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