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OTS, syndicats, gouvernement et autres face aux revendications des enseignants : sortir du bal masqué pour jouer franc jeu 3

Dans le deuxième texte sur les actuels événements, j’ai rappelé qu’une « fatwa » avait été lancée contre moi et qu’elle avait déchaîné une meute de gens quasi enragés contre ma modeste personne. Une meute qui s’est affranchie de toutes limites et appelle désormais ouvertement à m’assassiner, en toute impunité, et dans le silence total de tous les défenseurs des droits humains !  Il faut croire que, soit je ne suis plus humain, soit je n’ai plus de droits. Mais sans doute cela s’explique-t-il.

Dans ce troisième épisode, je voudrais m’arrêter sur un acteur important du scénario actuel : celui qu’on dit tapi dans l’ombre et manipulant le mouvement OTS. Existe-t-il réellement ? Cette question a une importance indéniable.

Mais avant d’aller plus loin, je tiens à affirmer clairement que tous les moyens ne sont pas bons même s’ils sont efficaces. Je voudrais insister sur le fait que cette assertion est encore plus vraie lorsqu’on opère dans le champ de l’éducation, un champ dans lequel on n’enseigne pas d’abord ce que l’on sait mais ce que l’on est.

Y a-t-il des forces tapies dans l’ombre manipulant le mouvement OTS comme n’a cessé de l’affirmer le Gouvernement depuis février 2022 ? C’est une théorie complotiste étonnante, venant d’un gouvernement souvent prompt à fustiger le complotisme. Personnellement, je ne crois pas à celle-ci, d’abord parce que ceux qui la brandissent n’en ont pas donné la moindre preuve depuis qu’ils le font. Ensuite parce que, comme je l’ai démontré dans l’épisode 1, le véritable créateur d’OTS, c’est bel et bien le Gouvernement. Le « monstre » s’il en est ou en devient un, après plusieurs mutations, aura échappé à son créateur pour se retourner contre lui. C’est le mythe moderne du docteur Frankenstein réincarné. Exit donc la théorie du complot. Il reste une théorie que j’appellerais celle du soutien inconditionnel et non critique. Je prétends que celle-ci explique assez bien la gauchisation progressive et radicale de certains éléments – minoritaires ou majoritaires, cela devra être évalué - d’un mouvement qui, à l’origine lumineux, visait dans ses stratégies seulement à opérer efficacement sans exposer ses membres. Je suis convaincu que, si les dirigeants d’OTS ne dénoncent pas clairement les méthodes dangereuses de certains d’entre eux, cela ternira progressivement l’image du mouvement et le tuera possiblement à terme, peu importe sa popularité et sa légitimité actuelles. Mais comment en est-on arrivé là à mon avis ?

Il faut pour comprendre ce qui s’est passé et se passe, remonter à la théorie de l’affirmation de l’autorité de l’Etat élaborée par le pouvoir en place et mise en œuvre systématiquement depuis l’entrée dans ce qu’on a appelé « démocratisation » au Cameroun. Celle-ci postule que l’Etat, en toutes circonstances, doit être et rester le plus fort, et donc ceux qui l’incarnent les plus puissants. Elle a permis depuis des décennies à l’ordre dirigeant, devenu véritable bulldozer, de tout écraser sur son chemin pour se maintenir aux manettes de l’Etat : partis politiques d’opposition, syndicats, organisations de la société civile, médias, tous sont passés par la moulinette de l’autorité de l’Etat pour en ressortir en miettes, pulvérisés. Le ministre Atanga Nji s’est donc contenté de d’habiller de mots une réalité que beaucoup répugnaient à nommer. Au fil des ans, il s’en est suivi un sentiment d’omnipuissance totale non pas vraiment de l’Etat mais de ceux qui s’en servent comme arme de défense de leurs intérêts. Et ce sentiment, ces derniers l’ont géré dans l’immodération totale, l’arrogance la plus révoltante. On imagine ce que le sentiment d’impuissance consécutif à ceci a pu générer en face comme colère, désespoir et frustrations, dans tous les secteurs de la vie de notre pays, chez tous les acteurs politiques, syndicaux, de la société civile et des médias évoluant hors ou contre l’orbite dirigeant. Toutes ces personnes traquées, ridiculisées sur les plateaux des médias, embastillées à la moindre incartade, forcées pour beaucoup à l’exil, mortes pour un certain nombre dans des circonstances parfois horribles (cf. Affaire Martinez Zogo et autres) … en sont arrivés à rêver d’un deus ex machina susceptible de faire basculer la donne. Et c’est sur ces entrefaites qu’OTS a fait irruption dans le paysage revendicatif.

Cette irruption, d’emblée, a donné des signes que quelque chose venait de changer radicalement. Nous avons vu plus avant comment était né le premier noyau de ceux qui allaient penser le mouvement. Puisque l’Etat semblait si bien contrôler le champ institutionnel (la gestion des collectifs d’enseignants en avait donné la preuve), ils optèrent d’opérer en dehors de ce champ, profitant en cela du maquis du cyberespace. Cette stratégie se révéla redoutablement efficace, prenant l’administration et l’Etat au dépourvu.  Pour la première fois depuis les lois dites des libertés de 1990, on vit l’Etat au Cameroun dans le désarroi. Cette découverte enchanta plus d’un, et de partout les soutiens à OTS plurent, de l’intérieur comme de l’extérieur du pays. Jamais la cause des enseignants, jusque-là, n’avait été aussi populaire, n’avait recueilli autant de suffrages. Et plus ce mouvement se renforça, s’installa dans la résistance et la durée, plus ces soutiens se firent inconditionnels, dénués de toute critique. La légitimité d’OTS devint sacrée au sens étymologique du terme, puis le mouvement lui-même devint sacré, intouchable. Il pouvait tout se permettre, tout dire, tout faire, sans encourir le moindre reproche, sans même en être interrogé. Il avait de ce fait acquis un pouvoir exceptionnel auprès de l’opinion, un pouvoir dont ses leaders, dissimulés derrière leurs claviers, pouvaient user et même abuser à leur convenance. Et bientôt ils ne s’en privèrent plus !

Pouvait-on pour ces raisons dire qu’il y avait une nébuleuse manipulatrice derrière OTS ? Je ne le crois pas. Ceux qui soutenaient et soutiennent le mouvement ne l’ont fait et ne le font pas depuis l’ombre : tout se passe au grand jour, dans les journaux, sur les antennes des radios, sur les plateaux de télévision. D’abord parce qu’ils croient pour la majorité que la cause est fondée et juste. Pour certains parce qu’ils comprennent qu’on ne peut compromettre le destin de l’enseignement sans compromettre par voie de conséquence le destin de l’éducation et donc de millions de jeunes, sans compromettre l’avenir du pays. Si par-dessus le marché cela arrange ou peut arranger certains de leurs intérêts particuliers, pourquoi cracher sur l’aubaine ? Aucun complotisme donc. En amour comme à la guerre, dit-on, tous les moyens sont permis. Mais le parcours qui mène à OTS – et non pas OTS lui-même en tant qu’état d’esprit largement partagé non pas seulement dans l’enseignement mais par la quasi-totalité des travailleurs du pays tous secteurs confondus - mérite, je pense, une minute de réflexion. Des syndicats, les travailleurs de l’éducation longtemps martyrisés sont passés à des mouvements évoluant en quasi légalité (CEIC et NCEIC) : une première désinstitutionnalisation des revendications corporatistes venait de s’opérer.  Puis s’en est suivi une seconde : le passage à OTS marquait le tournant de la clandestinisation. Il s’agissait visiblement d’une escalade. Le CEIC avait vilipendé l’inefficacité des syndicats pour établir ses lettres de créance ; mais cela n’avait guère duré. La répression du NCEIC, dissidence ayant débordé sur sa gauche le CEIC, a pavé la voie à l’avènement d’OTS : pour s’imposer dans le paysage, OTS à son tour a vilipendé à la fois les syndicats et le CEIC, et mis à prix la tête du leader de son prédécesseur. Dans l’hypothèse pas forcément farfelue d’une fuite continue en avant bien pas si inhabituelle au pouvoir, sur quoi aboutira la prochaine mutation et quelles en seront les méthodes ? Avant de combattre ou de soutenir OTS, notre société dans son ensemble doit envisager les réponses à cette question.

Roger Kaffo Fokou

 



01/10/2023
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