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POUGALA OU UN IMITATEUR ? LECTURE D’UNE CURIEUSE DIATRIBE ANTI-MANDELA

En lisant ces deux textes[1] aux relents plutôt bizarres, je me suis d’abord dit qu’il ne pouvait s’agir que d’un pastiche. Pougala le stratège plutôt célèbre du côté de chez nous ne pouvait pas avoir produit cet écrit où l’incohérence d’ensemble ne le dispute qu’à la passion la plus exacerbée. Mais décidément, il semble bien que ce soit lui l’auteur de ce chef-d’œuvre qu’on aurait bien eu du mal à lui attribuer il y a quelques années. Pas parce ces libelles s’en prennent à Mandela, l’icône, « le héros » et non le saint. Critiquer, c’est une liberté à laquelle, comme chacun de nous, M. Pougala a droit. Mais Condamner exige une minutieuse instruction préalable. On ne doit pas condamner avant d’avoir compris, sur la base de débris d’informations, du haut d’une tribune idéologique. Mandela, même s’il existe une possibilité qu’il ait été le diable incarné, a aussi droit à un jugement équitable. Et même s’il n’a pas voulu juger les crimes de l’apartheid, ceux qui veulent pour cela le mettre en examen ne doivent pas bâcler la procédure. C’est, il me semble, un droit que Pougala ne concède pas à Mandela, du haut de son omniscience orchestrée à grands coups d’arguments faut-il dire fumeux ou enfumés ? Nous allons en examiner quelques-uns. Oui, à lire M. Pougala, il apparaît qu’il n’y a aucune différence entre l’apparence et la réalité, et sa détestation de Mandela, inséparable de celle qu’il nourrit contre l’Occident, ressort finalement comme son meilleur argument.

Qu’est-ce qui a bien pu rendre M. Pougala aussi aigre à l’endroit de Mandela ? Sa désastreuse aventure sud-africaine qu’il narre en magnifiant les détails les plus invraisemblables ? Au moins il a l’honnêteté – ou la feinte naïveté ? – de nous livrer là une des clés de l’acidité du goût de cet exploit littéraire. Le penseur sud-africain qu’il cite longuement pour étayer ses propres propos fait preuve d’un respectable sens de la mesure comparé à M. Pougala lorsqu’il parle des dérives post-apartheid de son pays : « En somme, dit Kholofelo Mashebela, un mélange de bon et de mauvais ». On ne saurait en dire autant du propos de M. Pougala dont la caractéristique essentielle est « l’extrême outrance ». On se rend vite compte qu’il a besoin de hurler pour se faire entendre. Ce penchant s’accorde d’ailleurs fort bien avec les petits et grands arrangements que M. Pougala s’aménage constamment avec la vérité.

Son texte s’ouvre sur une remise en question du statut même de héros par la lecture qu’il fait de la tradition sud-africaine. Ou africaine tout court ? Par moments, il semble bien que pour lui les deux espaces se confondent et se brouillent. « Contrairement à la culture islamo-judéo-chrétienne de la hiérarchisation de la société jusqu’aux défunts, le partage, l’égalité entre les êtres humains et le culte/la place accordée à nos morts constituent la base de la société traditionnelle africaine. », nous assène-t-il, au sens propre. Un vrai morceau de bravoure en guise d’entrée. Essayons de regarder de près ce menu.

De quelle « société traditionnelle africaine » parle-t-il ?  Voilà la diversité de l’Afrique balayée d’un revers de la main, comme dans les discours coloniaux de la pire époque ! Et le fin mot n’est pas dit puisque dans un autre texte, le même Pougala va défendre cette fois la diversité avec le même aplomb : « Mes textes s'adressent aux fils d'Afrique, du Cap au Caire, de Alger à Gaborone, de Antananarivo à Tunis.  Parce que notre diversité est notre principale force. » Pour mieux nous associer à cette opinion de circonstance, M. Pougala va tout de suite user d’artifice de langage. Et ce possessif englobant « nos morts » n’est pas autre chose qu’une tentative de subornation. A quoi correspond ce « nos » ? En Afrique, il y a mille façons de se représenter la mort, de traiter les morts. Dans la société de chefferies des hautes terres de l’Ouest du Cameroun qui est la mienne, cette curieuse société que promeut Pougala, qui serait celle du « partage, (de) l’égalité entre les êtres humains et (du) culte/ (de)la place accordée à nos morts » est un pur fantasme, tant il est vrai que dans cette société-là, la hiérarchisation n’est pas venue avec la christianisation, et que jusqu’aujourd’hui l’humble paysan n’y est pas inhumé comme le notable qui à son tour n’y est mis en terre comme le chef/fo.

L’autre dimension de ce propos tendait à nier la réalité du statut du héros dans cette société traditionnelle africaine théoriquement si uniforme, au nom de « l’évangile » de l’égalité. Sous-entendu, chez des gens aussi soucieux de l’égalité, d’où pourrait surgir un héros ? Il faut rappeler que l’étymologie du mot héros fait de l’être qu’il désigne une demi-divinité, donc un être d’exception. Il n’en existait pas dans les sociétés traditionnelles africaines ? On voit bien que M. Pougala ne sait rien des textes des griots, et que cela peut bien être non pas sa faute à lui, mais celle de la mauvaise école par laquelle il a dû passer, comme il le reconnaît lui-même : « J'ai honte même de me faire appeler docteur, parce que j'ai été formé dans un système construit pour plier l'Afrique… »  

Je ne veux pas m’attarder sur ce désintérêt qu’il a cru voir dans le comportement des Sud-Africains au cours des obsèques de Mandela. Ces images-là, de foules ruisselantes et inconsolables, des jours durant et jusque dans le village de Mandela, existent encore et qui veut peut les revoir pour en juger par lui-même. Et puis, il suffit de faire un tour en Afrique du Sud, j’y ai séjourné quelques temps et, Dieu merci, mon expérience n’y a pas été celle, traumatisante, de M. Pougala. En tout cas, on voit par là que M. Pougala peut s’arranger même avec la vérité des événements connus de tous. Il faut pour cela un certain courage et je dois bien reconnaître qu’il l’a. Donc, passons là-dessus.

Arrêtons-nous par contre sur ce propos extraordinaire : « 27 ans de prison, écrit-il à propos de Mandela, ont suffi pour effacer ses revendications de société juste ». Pour écrire une telle chose, il faut, ne serait-ce qu’un petit instant, perdre complètement le sens des réalités. « 27 ans de prison ont suffi… » Comment doit-on comprendre ce « …ont suffi… » ? Que 27 ans c’était trop ou pas assez pour le faire ? Qui peut dire ce que représentent 27 ans de prison dans la vie d’un homme ? En tout cas, pas celui qui observe ces années-là de l’extérieur de la prison. Cette question est d’autant intéressante que M. Pougala se laisse aller à faire croire que ces 27 années n’ont été en réalité qu’une mise en scène depuis le départ. Comment comprendre autrement ce propos : « Lorsqu’on connaît la brutalité et la violence inouïe du système d’apartheid, on peut conclure sans avoir peur de se tromper que si Mandela représentait le moindre danger pour le système, il serait mort de dysenterie ou victime d’un AVC à peine libéré et des années à l’avance. » ? Je voudrais attirer votre attention sur ce « le moindre danger » qui signifie en termes simples l’absence totale de danger. Mandela était donc tellement inoffensif pour le système de l’apartheid que celui-ci l’a mis en prison pendant 27 ans ! Pour mieux préparer sa sortie triomphale en 1990 et son élection à la présidence sud-africaine ? Drôle de rationalité. Mais ce type de logique est ce qui manque le moins dans le texte de M. Pougala.

Prenons un autre morceau choisi : « Pourquoi tous les pays européens qui applaudissent Mandela pour cette réconciliation ne libèrent pas tous les assassins qu’ils ont dans leurs prisons… ». Est-il vraiment nécessaire d’être aussi outrancier pour faire passer un point de vue ? La commission vérité réconciliation fut peut-être une erreur ? Le temps long de l’histoire le dira. De quoi Mandela a-t-il privé M. Pougala pour susciter chez lui un tel degré de ressentiment ? Quand M. Pougala cite ses héros, - Napoléon, Lincoln, De Gaulle, Mao, Khomeiny, Garibaldi - tous ces soldats qui ont organisé de plus ou moins grandes boucheries –pourquoi Chaka le Zoulou est-il absent de cette longue et prestigieuse liste ? – on se dit que c’est de l’odeur du sang qu’il doit s’agir. Une belle hécatombe, abondamment arrosée de sang pour des narines palpitantes. 27 ans de prison n’ont pas suffi à diviniser Mandela aux yeux de M. Pougala du moment qu’il en est sorti vivant : il a donc obtenu son piédestal à trop bon compte. Pourquoi ne s’est-il fait descendre en prison ou après ? Gandhi sur la fin a eu plus de chance, un fou l’a définitivement héroïsé.

Faisant encore une fois dans l’outrance, M. Pougala évoque le divorce, suspect à ses yeux, de Mandela. A-t-il lu le livre de Winnie qui traite de ce sujet ? Décidément non. Celle-ci, principale concernée, en parle dans cet ouvrage sur un ton encore une fois plus mesuré que celui de M. Pougala. Toujours cette tentation de se faire plus royaliste que le roi. Mais ce segment-là, chez M. Pougala, est d’un pathétique qui en devient, à force, également pathétique, dans le registre indécent : « C’est le jour J, pour Mandela de consommer sa première nuit intime avec sa femme depuis 26 ans d’attente », nous confie M. Pougala, décidément bien friand des secrets d’alcôve. Peut-on écrire une chose pareille en s’écoutant écrire ? C’est comme parler des problèmes de cuisine dans la tragédie classique !  Et de conclure, sentencieux : « C’est le jour où le mariage est terminé entre eux. » Je renvoie, encore une fois, l’auteur au livre de Winnie[2].

Un autre exemple type d’arrangement de M. Pougala avec la vérité est donné par la lecture qu’il fait des citations de Desmond TUTU. Cité par M. Pougala lui-même, D. Tutu parle en ces termes, s’adressant évidemment aux Blancs sud-africains : « Vous avez tous bénéficié de l’apartheid. Vos enfants pouvaient fréquenter de bonnes écoles. Vous avez habité dans des quartiers chics. Pourtant, beaucoup de mes concitoyens blancs se fâchent quand on mentionne ces faits. Pourquoi ? Certains sont handicapés par la honte et la culpabilité et répondent par des auto-justifications ou de l’indifférence. Deux attitudes qui nous diminuent. ». Et Pougala conclut, rapportant cette fois le reste du propos de Tutu : « Il conclut en proposant ni plus ni moins que de taxer les Blancs à hauteur de 1% de leurs avoirs en bourse[3] ». Lorsque F. De Klerk s’offusque de cette proposition, qu’en dit le même Pougala ? Lisez plutôt : « Ce que Tutu a proposé existe dans de nombreux pays occidentaux et s’appelle : « l’impôt sur la fortune ». En quoi, taxer les avoirs en bourse serait une menace pour la démocratie sud-africaine ? ». Il se garde bien de préciser alors « les avoirs des Blancs ». Arrangement un peu grossier, il faut bien le dire.

Terminons par cette peu ordinaire lecture de l’hymne sud-africain, dont la principale clef de lecture semble être les codes linguistiques utilisés. Cinq langues alignées dans le mauvais ordre de préséance, si l’on en croit le propos de M. Pougala. Du coup le segment de chacune des langues exprime la vision du monde du peuple locuteur. Ce n’est donc pas un hymne que les Sud-Africains se seraient choisi mais cinq hymnes. Essayons de représenter comment Pougala s’imagine les Sud-Africains en train d’exécuter « leurs hymnes » : cinq groupes ethniques côte-à-côte, chacun ne chantant que le segment écrit dans sa langue, pour éviter de se contaminer à la pensée des autres ou de laisser les autres s’approprier la sienne… Et si par hasard un Sud-Africain noir chante le segment en Anglais, il en devient anglo-saxon blanc ! Non, c’est ridicule. Le contenu même de ce texte patriotique est loin d’être ce qu’en dit M. Pougala, et ce dernier en tire une vision religieuse qu’il applique uniformément à l’Afrique et de façon assez péremptoire, sauf qu’il s’agit d’une vision qui ne correspond pas à ce que moi je sais de la religion de chez moi, le chez moi qui se trouve en Afrique, indiscutablement.  Qu’est-ce que c’est que cette idée que les ancêtres en Afrique occupent la place que Dieu occupe en Occident ? Ce n’est certainement pas une idée sérieuse pouvant venir d’une personne sérieuse connaissant un tant soit peu l’Afrique dans sa diversité et même, au-delà, dans son unité.

Toutefois, ne faisons pas dans l’outrance comme M. Pougala, ou celui qui, derrière ce texte, se fait passer pour ce dernier : arrêtons ici les frais. J’attends encore d’ailleurs que le véritable Pougala se désolidarise de cette épitre. J’ai la faiblesse de m’être fait de lui, jusqu’ici, une plus haute idée. Je veux bien continuer à conserver cette idée, en espérant qu’il ne s’agit pas désormais d’une illusion.  Il est vrai, il n’est pas dit que Mandela doive être le héros de tout le monde. Ce serait une unanimité suspecte. Il n’était même pas son propre héros et c’est l’une des premières choses qu’il a dite le 11 février 1990 dans sa première apparition publique. Il l’a redite à plusieurs reprises dans de nombreux textes à des moments divers. Il suffit de lire Conversations with myself[4] entre autres : «Je ne suis pas un saint. Je ne l'ai jamais été, même si l'on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s'améliorer. », écrit-il. De nombreuses voies se sont présentées à lui à sa sortie de prison et il a fait des choix dont certains étaient personnels – son divorce, l’abandon du pouvoir, son mariage avec Gracia Machel – d’autres politiques : l’option libérale plutôt que communiste… Quelles cartes avait-il en main ? Et quelles cartes l’apartheid avait-il ? Dans ce type de poker professionnel, il est difficile de le dire sur le coup, et même, quelquefois, après coup. Il est par contre aisé de critiquer le jeu des acteurs depuis la tribune.  L’Afrique du Sud ne se porte pas comme on le souhaiterait et j’ai moi-même écrit là-dessus un article très critique à l’endroit de ceux qui ont jusqu’ici géré l’après apartheid. Le Zimbabwe qui a pris l’option opposée à celle de Mandela ne se porte pas mieux, pour l’instant. C’est un pur constat sans jugement. Le libéralisme s’est mué depuis les années 1990 en ultralibéralisme et fait des ravages sur toute la planète. Qui pourrait sans œillères s’en faire le défenseur aveugle aujourd’hui ? Même Francis Fukuyama ne l’ose plus. Le monde est très complexe et pour éclairer la lanterne des autres, s’il en a cette légitime ambition, l’intellectuel doit avoir le sens de la nuance, et partant de la mesure. Je répète qu’il ne saurait faire feu de tout bois. Mandela souffre-t-il de ce que les Blancs l’ont adopté ? Ils corrompent tout ce qu’ils touchent ? J’ai eu la chance, moi, au contraire de certains, de ne pas souffrir directement du racisme. Je n’ai été victime que du banal tribalisme. Il est vrai que cela ne m’a pas spécialement amusé, mais je n’en suis pas arrivé à exiger qu’on génocide quelque ethnie pour me rendre justice. Les exemples historiques d’acharnement qui excitent fort M. Pougala ou celui qui se fait passer pour lui me laissent très réservé, pour dire le moins. Veut-on réellement déconstruire le mythe Mandela ? Pourquoi pas ? Mandela  s’est acharné dès sa sortie de prison à le faire lui-même. Il n’y a donc pas un brevet d’originalité à déposer sur le sujet. Mais il me semble que, si l’on est véritablement engagé à le faire, il faut s’y prendre autrement que M. Pougala, et commencer par comprendre avant de se lancer dans l’aventure.

Roger KAFFO FOKOU

Poète et essayiste

 



[1] Jean-Paul Pougala, « Mandela n’est pas mon héros » 1 et 2

[2] Winnie Mandela, Ma part de vérité, Entretiens avec Honoré de Sumo, Continentales Eds, 1994

[3] C’est moi qui souligne

[4] Nelson Mandela, Conversations with myself, Mac Millan, 2010



22/10/2016
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