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PRÉSIDENTIELLE 2018 AU CAMEROUN : les lignes commencent enfin à bouger !

Au Cameroun, il est enfin possible d’affirmer, presque deux décennies après la mémorable élection controversée de 1992,  que les élections se suivent et ne se ressemblent pas. Avant, le vainqueur était connu d’avance, seul son score étant attendu au sortir des urnes. En cette année 2018, tout semble montrer que, si le locataire d’Etoudi ne change pas le 7 octobre prochain, lui-même et ceux qui bataillent dur – plus dur qu’ils ne s’y étaient attendus en tout cas - pour lui n’en seront certains qu’à la toute dernière minute.

La campagne en effet aura jusqu’ici déjoué tous les pessimismes. L’on s’attendait peut-être à deux semaines ennuyeuses coupées ici et là de quelques éclairs d’animation sous les couleurs du candidat au pouvoir : l’on est en train de vivre une saison exceptionnelle de débats profonds et d’échanges survoltés entre les candidats et les électeurs. L’on attendait peut-être une campagne inégale, avec de puissants meetings d’un côté, de dérisoires rassemblements de l’autre, des discours rodés et triomphants du côté le plus expérimenté, des propos hésitants d’amateurs du côté d’en face. On n’en finit plus de s’extasier devant la succession de méga meetings tant de ce côté que de l’autre. Sur les plateaux de télévision, sur les tribunes, dans les réseaux sociaux, le personnel politique rivalise d’expertise, d’imagination, de savoir-faire. Les joutes, plus brillantes les unes que les autres, se succèdent avec éclat, comme dans un champ clos. On en est presque à se dire que le Cameroun, ce n’est plus le Cameroun.

Du coup, ceux qui sont entrés en cette campagne avec des certitudes arrêtées pourraient être aujourd’hui les plus inquiets. Parce que quelquefois, leurs espoirs reposaient plus sur ces certitudes au bord de l’évanouissement que sur ce qui allait, pouvait se passer dans l’espace de cette campagne, le présupposé étant qu’il n’allait pas s’y passer grand-chose sinon au détriment d’une opposition réputée inaudible de longue date, sinon au profit du personnel du parti au pouvoir indiscutablement ( ?) pétri d’expérience. Comment aurait-on pu s’imaginer que la magie du temps allait sonoriser subitement le discours de cette opposition jusque-là si aphone sur tous les plateaux et sur toutes les tribunes ? Comment pouvait-on imaginer que nombre de ces candidats opposants allaient trancher subitement avec le discours aérien du personnel politique des années 1990 et apparaître aux yeux d’électeurs médusés et admiratifs en experts technocrates possédant sur le bout des doigts les dossiers du pays secteur par secteur ? Qui eût cru qu’au cours de cette campagne il allait progressivement devenir impossible de se moquer de l’incompétence et de l’inconsistance de cette opposition sans paraître soi-même incompétent, inconsistant et par-dessus tout ridicule ?

Cela augure-t-il d’un retournement des tables ? Pas forcément. Dieu merci, se disent certains, ces foules immenses qui suivent les candidats ne sont pas forcément des électeurs, beaucoup n’ayant pas cru bon au moment opportun de s’inscrire sur la liste. Il ne faut donc pas confondre les admirateurs avec les électeurs. Cependant, n’est-il pas vrai que ces admirateurs d’aujourd’hui sont déjà presqu’à coup sûr les électeurs de demain ? Eux qui ne croyaient plus en la politique, n’est-il pas vrai qu’ils donnent ainsi la preuve qu’ils se sont remis à y croire ? Et si l’on ne devait s’en tenir qu’à cela, ne serait-ce pas là déjà une victoire pour le personnel politique de l’opposition ? Imaginez que les inscrits qui sont entrés dans cet espace de campagne en se disant qu’il n’y avait pas un réel choix à faire, convaincus qu’ils ne pouvaient pas faire autre chose que voter utile, parce que de toutes les façons le résultat était connu d’avance, se mettent à douter… Qu’est-ce qui pourrait se passer ? Supposez que certains d’entre eux se mettent à écouter plus sérieusement un discours nouveau, et pour le coup commencent à secouer une torpeur jusque-là bien installée, à se laisser séduire par une offre nouvelle, par la tentation de s’affranchir d’une interminable résignation…

Une autre vérité, rassurante au regard du contexte de tension que vit le pays, notamment dans sa partie anglophone, apparaît en filigrane dans cette campagne : le vivre-ensemble, on l’a vu s’affirmer partout où il a été jusqu’ici possible de faire campagne : les candidats ont fait campagne du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, et ont été correctement reçus un peu partout, pas forcément avec la même chaleur, mais sans animosité.

En regardant cela, je n’ai pu m’empêcher de me dire : qu’il est beau, mon pays ! Seul le parti unique l’a perverti. Voici que la diversité des voix, des tons, des propositions lui redonne des couleurs vives, et qu’il s’irise de toutes parts, comme l’arc-en-ciel qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Ce pays-là, ce n’est pas seulement celui que j’ai toujours imaginé : c’est aussi celui que j’ai bien de fois entrevu naguère, dans mes pérégrinations. Des citoyens hospitaliers, affables avec l’étranger, prêts à offrir leur couvert et leur lit, quelquefois avec des accompagnements inimaginables. Ces dernières années, des politichiens me l’ont presque bousillé. Mais chassez le naturel, il revient au galop.

Maintenant que j’y pense, il n’y a jusqu’ici eu qu’un seul petit couac : à Ebolowa, une poignée d’excités s’en est pris aux candidats de l’opposition, vandalisant le matériel de campagne de ces derniers en plein jour et sous le regard des caméras, avec la morgue de ceux qui ont la certitude d’être du bon côté du pouvoir, de ceux qui sont assurés du soutien actif ou passif des institutions. Est-ce parce qu’Ebolawa se trouve être le village électoral du président en poste ? En tout cas, je refuse de croire que cette poignée d’excités représente les braves populations d’Ebolowa ou du Sud, qui peuvent je crois, soutenir un fils du terroir sans verser dans la basse xénophobie. Mais pourquoi le parti au pouvoir n’a-t-il pas jusqu’ici pris ses distances avec d’aussi dangereux supporters ? Il y a là une véritable énigme et je ne prétends pas être le sphinx. De toutes les façons, la perfection n’est pas de ce monde, et ce minable incident ne suffira pas à ternir cette formidable campagne. Je souhaite à tous de la vivre aussi pleinement que moi, en attendant le verdict des urnes. Inch Allah !

Roger KAFFO FOKOU, enseignant écrivain.

 



02/10/2018
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