PRESIDENTIELLE 2025 AU CAMEROUN ET DEBAT SUR LE MANDAT REPRESENTATIF : ce que cachent les positions des uns et des autres
Le juridisme est devenu une maladie contagieuse à l’orée de cette élection présidentielle 2025 au Cameroun. Une observation se dégage cependant : cette « légalopathie aiguë » est la conséquence de la candidature annoncée du président du MRC.
Le président du MRC, le Pr de droit Maurice Kamto, est largement accrédité, on le sait, d’une expertise juridique rare, pas seulement au Cameroun, mais sur la planète du droit public. Alors beaucoup veulent dans leur position sur la légalité (à distinguer de la légitimité de celle-ci, qui ne souffre de contestation que de la part de personnes d’une rare mauvaise foi) de son éligibilité au poste très convoité de Président de la République du Cameroun, lui en apprendre dans un domaine où il est supposé exceller. S’ils y parviennent, escomptent-ils, leur réputation de fins juristes constitutionnels ne pourrait en être que mieux reconnue. Mais il y a d’autres.
Une autre catégorie de « légalopathes » en effet veut manipuler le droit, pour abuser l’opinion, et décourager d’éventuels électeurs qui compteraient sur le MRC et son président, pour réaliser leur désir de changement à la tête du pays. A l’analyse, il s’agirait là d’une subtile campagne dans le sens: « Ne comptez pas sur le MRC et son président, ils sont déjà hors-jeu. Moi par contre, je serai au rendez-vous de l’élection et si vous faites campagne et votez pour moi, nous serons à même d’obtenir le changement que vous désirez tant. » Pas mauvais comme calcul politique, il faut l’accorder. En politique comme à la guerre, tous les moyens, parait-il, sont permis.
D’autres encore étalent leur « expertise » pour se montrer disponibles pour le pouvoir en place, en cas de besoin. D’une certaine façon, cela s’apparente à une offre discrète de services, à toutes fins utiles. Contrairement au précédent groupe, qui veut le changement mais à son profit et qui croit même en la possibilité de ce changement, ce groupe-ci ne croit pas en une telle possibilité ; son défaitisme implicite le pousse à des stratégies de survie personnelle fondées sur un calcul rationnel égoïste. Puisqu’ils sont sûrs que l’opposition politique n’a aucune chance de déboulonner le pouvoir en place, pourquoi prendraient-ils le risque de s’afficher contre ledit pouvoir ? Ils estiment avoir beaucoup à perdre sans contrepartie visible.
Un quatrième groupe tient sans la moindre ambiguïté à ce que le MRC et son président soient exclus de la prochaine joute présidentielle, pour éviter tout risque à leur ambition de conservation du pouvoir. Ceux-ci scrutent le droit pour aider éventuellement le Conseil électoral et si besoin est le conseil constitutionnel, au cas où le MRC se retrouverait en contentieux pré-électoral sur ladite question devant lesdites instances. Ce groupe anticipe donc déjà ce contentieux pour s’assurer qu’il sera le moment venu tranché comme il le souhaite. Accessoirement, il prépare l’opinion à ne pas suivre le moment venu une mobilisation de celle-ci par le MRC en vue de défendre sa position sur ce dossier dans la rue. On serait donc dans une démarche prophylactique dans ce cas de figure.
Il y a enfin le groupe de ceux qui croient que le changement qu’ils désirent tant est possible en 2025, mais que seul le MRC peut arriver à le concrétiser. Comme les autres groupes, il scrute le texte constitutionnel et le code électoral et s’adresse également à l’opinion pour lui dire à peu près ceci : « Peuple du changement, ne vous laissez pas décourager ; le MRC et son président sont prêts à faire basculer la forteresse et les textes de lois en vigueur ne présentent aucun obstacle à cela, au contraire. » Pour convaincre cette opinion de toutes parts courtisée, ils doivent s’appuyer sur la réputation d’expert peu discutable du président du MRC en matière de droit pour présenter comme de l’amateurisme les argumentaires concurrents. En matière de droit constitutionnel au Cameroun, qui peut mieux lire les textes que le Pr Maurice Kamto ? Semblent-ils demander. Personne, même pas le Conseil constitutionnel. Telle est leur stratégie argumentative.
Au Cameroun en ce moment, personne ne lit donc la loi électorale innocemment. Les invectives des uns et des autres relèvent de ce fait et la plupart du temps de l’hypocrisie. Ce débat, pas vraiment inutile, débouche sur un certain nombre de constats.
Premièrement, la campagne électorale pour l’élection présidentielle a commencé depuis que le MRC et son président, pendant un certain temps considérés comme non-partants, ont exprimé explicitement et avec une détermination non feinte leur décision d’y prendre part. Quand la stratégie des railleries visant à les décourager mais surtout à ridiculiser leur candidature auprès de l’opinion a démontré son échec, il est apparu que cette élection, qui paraissait courue d’avance, venait de prendre une lourde hypothèque qu’il fallait se dépêcher de lever, par tous les moyens.
Deuxièmement, pour le pouvoir en place, l’élection de 2025 va se jouer en duel entre le RDPC et le MRC ou son président. Les autres éventuels candidats ne seraient que des pierres de touche pour accréditer l’illusion démocratique auprès de l’opinion publique nationale et internationale. Il y a certes là une forme de mépris à l’endroit de ces autres partis et de leurs candidats, mais c’est un mépris assumé par le parti gouvernant.
Troisièmement, le pouvoir ne semble pas encore connaître la véritable stratégie de candidature du MRC et de son président. Aussi la hargne de ce débat a aussi pour but de les pousser à dévoiler leur jeu à temps pour permettre de le contrer. C’est dans ce sens qu’il faut entendre la suggestion généreusement réitérée faite au MRC et à son président de « dealer » avec Emilien Atangana pour faire porter par le parti de ce dernier la candidature de leur champion. Un choix innocent ? C’est à voir. En tout cas, le pouvoir se dit qu’à force de coups de boutoir, la porte du secret de la candidature du candidat du MRC pourrait s’entrouvrir.
L’élection présidentielle d’octobre 2025 au Cameroun, en l’état actuel des choses, n’est donc ni gagné ni perdue par aucun des camps principaux en présence. Et cette incertitude enrage le pouvoir qui aimerait rouler sur du velours, comme il en est d’habitude. Ce qui nous amène à un constat supplémentaire : pour une fois, le pouvoir en place a véritablement peur de ne pouvoir l’emporter. Au-delà de la stratégie coutumière de fabrication des soutiens qui fonctionne plutôt mal que bien cette fois-ci (le cas du grand rassemblement des 100 000 jeunes de l’Extrême-Nord devenu objet de risée publique), son refus de respecter la loi électorale comme l’édicte sans la moindre ambiguïté l’Article 80 de celle-ci sur un élément jusque-là anodin comme la publication de la liste électorale est particulièrement éloquente : « A l’issue des opérations de révision, et au vu des documents et données communiqués par les démembrements régionaux d’Elections Cameroon, le Directeur Général des Elections établit et rend publique la liste électorale nationale au plus tard le 30 décembre. ». Cette disposition n’a pas la moindre ambiguïté parce qu’elle ne laisse aucune possibilité de confusion entre « LA LISTE ELECTORALE NATIONALE » et les autres types de listes ; qu’elle ne donne aucune latitude à la discrétion du DGE quant à l’injonction de publication (« il établit et rend publique ») ainsi qu’à l’encadrement temporel clair et précis (« au plus tard le 30 décembre »). Cette liste nationale, pour ceux qui ne le savaient pas et pour ceux qui en doutaient, occupe certainement une place centrale dans le dispositif de « victoire » du pouvoir. S’en dessaisira-t-il ? L’issue de ce premier contentieux pré-électoral (objet en ce moment d’un curieux ping-pong judiciaire) éclairera sur la volonté ultime du pouvoir quant à la forme et au fond qui seront donnés à cette élection : libre et transparente, ou trafiquée et opaque.
J’ai lu avec intérêt les 6 (six) principes qui, selon Mr Valère Bessala lui-même candidat déjà déclaré à cette élection (cela aurait pu le pousser à une prudente réserve, qu’il a choisi de ne pas garder, certainement à dessein), régissent le mandat représentatif. Partout ? Au Cameroun ? C’est un exercice périlleux de droit dans lequel il se lance, mais à sa décharge, on peut dire qu’il a un intérêt personnel à ce que le changement, auquel je crois personnellement qu’il croit, passe par sa formation politique plutôt que par celle d’un concurrent, quelles que puissent être les recommandations de ce dernier. Il faut pourtant faire remarquer ici que ni la Constitution du Cameroun, ni le code électoral, textes sur lesquels Mr Valère Bessala repose son analyse, ne font mention desdits principes. Les textes pertinents en la matière discutée ayant été muets sur l’interprétation légale à donner à la portée juridique de la nullité du mandat impératif, il est évident que seule la pratique si elle peut fournir des exemples concrets, en attendant un complément législatif ultérieur, peut aujourd’hui guider la lecture juste de cette disposition.
Roger KAFFO FOKOU, écrivain.
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