Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?
Par Simon Piel, dans Le Monde.fr du 18 août 2011
La lutte contre l'évasion fiscale vient de prendre un nouveau tour avec la signature par l'Allemagne d'un accord avec la Suisse, baptisé Rubik. Celui-ci prévoit de taxerles avoirs de ressortissants allemands placés en Suisse, en échange de quoi l'Allemagne renonce à traquer ses contribuables. Un deal refusé par la France mais qui relance les interrogations sur un consensus européen de lutte contre l'évasion fiscale.
- Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?
Il n'existe pas de définition législative des paradis fiscaux. Toutefois, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) considère qu'il faut quatre critères pour les définir : impôts inexistants ou insignifiants, absence de transparence, législation empêchant l'échange d'informations avec les autres administrations et enfin tolérance envers les sociétés-écran ayant une activité fictive.
- Qui a recours aux paradis fiscaux ?
Essentiellement les fonds spéculatifs, les grandes entreprises, qui y installent leur filiales (Google en possède par exemple une aux Bermudes) et les riches particuliers. L'intérêt pour eux est d'échapper à une fiscalité plus lourde dans leurs pays d'origine. En France, le phénomène n'est pas mineur : en avril 2009, peu après l'affaire HSBC, la France a mis en place une "cellule de régularisation" pour les évadés fiscaux. Un dispositif qui a permis de rapatrier 7,3 milliards d'euros d'actifs, avec un bénéfice estimé pour le fisc à 1,3 milliards d'euros.
Par ailleurs, les paradis fiscaux abritent une part non quantifiable d'actifs destinés au blanchiment de l'argent sale issu de la corruption ou encore du trafic de drogue.
- Quelle part de l'économie mondiale représentent-ils ?
Selon le Fonds monétaire international, 50 % des transactions internationales transitent par des paradis fiscaux. Ces derniers hébergeraient 4 000 banques, les deux tiers des hedge funds et 2 millions de sociétés-écran. Environ 7 000 milliards de dollars d'actifs dormiraient sur ces comptes, soit plus de trois fois le PIB de la France. Economiste à l'Ecole d'économie de Paris, Gabriel Zucman estime que le montant des avoirs de particuliers détenus dans les paradis fiscaux s'élève à 8 % des ressources financières mondiales (lire son étude).
Au-delà du volume des sommes concernées, l'opacité qui régit ces centres financiers dits "off shore" fausse les analyses économiques (sur la santé d'une entreprise par exemple) ainsi que les règles de concurrence entre les Etats.
- Où se trouvent les paradis fiscaux ?
Le "label" paradis fiscal n'a rien d'officiel et varie selon les institutions qui les répertorient. L'OCDE classe les paradis fiscaux selon trois listes. Noire, pour les Etats fiscalement non coopératifs. Grise, pour les Etats "qui ont promis de seconformer aux nouvelles règles sans les appliquer et ceux qui s'y conforment substantiellement". Enfin blanche, pour les Etats ou territoires qui ont fait un effort réel et dont les règles "sont conformes aux standards internationaux de l'OCDE".
Cette classification est née après la réunion du G20 de Londres en août 2009 à l'occasion duquel ses membres s'étaient engagés à agir contre les juridictions non coopératives, dont les paradis fiscaux. Toutefois, cette liste fait polémique. Aujourd'hui, plus aucun pays ne figure sur la liste noire. Quant à la liste grise, elle s'est considérablement allégée, ne comptant plus aujourd'hui que sept juridictions.
Le réseau Tax Justice Network (TJN) a dénoncé cette classification, estimant qu'elle n'était pas fiable et que les exigences de l'OCDE étaient insuffisantes. Sur la base d'un indice qui cumule le degré d'opacité au poids des différentes places financières dans l'économie mondiale, TJN estime que les 10 principaux paradis fiscaux sont, dans l'ordre, l'Etat du Delaware aux Etats-Unis, le Luxembourg, la Suisse, les îles Caïmans, la City de Londres, l'Irlande, les Bermudes, Singapour, la Belgique et Hongkong.
La France dispose de sa propre liste, basée sur celle de l'OCDE. Il s'agit des Etats et territoires non coopératifs. En 2011, elle comporte 19 membres dont leCosta Rica, le Liberia, le Panama ou encore les Philippines.
La liste la plus communément admise reste celle publiée en 2000 par le Forum de stabilité financière (aujourd'hui rebaptisé Conseil de stabilité financière) qui regroupe des autorités financières nationales. Elle comporte trois groupes au sein desquels 42 pays (ou territoires) sont classés selon leur degré d'opacité et de collaboration avec les administrations étrangères. Parmi les Etats les plus mal classés figurent notamment plusieurs îles caribéennes mais aussi le Liechtenstein ou encore Chypre ou les îles Marshall.
- Existe-t-il une norme fiscale internationale ?
Oui. Elle a été adoptée par les ministres des finances du G20 en 2004 à Berlin et par le comité d'experts des Nations unies chargés de ces questions. Elle"comporte l'obligation d'échanger des renseignements sur demande dans tous les domaines relevant de la fiscalité en vue d'appliquer et de mettre en œuvre la législation fiscale nationale nonobstant toute condition relative à un intérêt fiscal national ou à l'application du secret bancaire en matière fiscale. Elle prévoit également de larges clauses de sauvegarde pour préserver la confidentialité des renseignements échangés".
- Où en est la lutte contre les paradis fiscaux ?
Au niveau mondial, c'est l'OCDE qui coordonne les politiques de lutte contre les paradis fiscaux. L'organisation peut s'appuyer sur le Groupe d'action financière, un organisme intergouvernemental créé par le G7 en 1987 avec pour objectif deconcevoir et de promouvoir des politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En août 2009, la réunion du G20 a marqué un tournant dans la lutte contre les paradis fiscaux, au moins au niveau des intentions. "Il faut en finir avec le secret bancaire", assurait alors les chefs d'Etats. Aujourd'hui, nombre de responsables politiques et d'ONG dénoncent des déclarations d'intention et déplorent la bonne santé des paradis fiscaux.
Au niveau européen, la directive dite "épargne" a marqué, en 2005, une étape importante dans la lutte contre la fraude même si, comme le relèvent nombre d'experts, son application a rencontré plusieurs difficultés. L'esprit général de la directive consistait à taxer à la source des revenus de l'épargne placés dans les pays européens pratiquant le secret bancaire : la Suisse, le Liechtenstein, la Belgique, l'Autriche et le Luxembourg. Mais l'application de la directive a été jugée décevante par la France et l'Allemagne. Après la gigantesque fraude découverte au Liechtenstein en 2008, la directive a été en partie révisée afin de renforcer son efficacité.
"L'Union européenne dispose de moyens de coercition puissants. Elle peut par exemple menacer un groupe bancaire de lui retirer sa licence s'il refuse d'échanger des données à sa demande, explique l'économiste Gabriel Zucman.Mais si elle a été pionnière dans la lutte contre les paradis fiscaux, la signature de l'accord Kubik avec l'Allemagne met à mal les efforts de l'UE", ajoute-t-il. Au niveau national, les pays négocient des conventions bilatérales d'échanges d'information avec les paradis fiscaux. "Les listes volées (HSBC en France, UBS aux Etats-Unis), qui ont permis le transfert de milliers de noms, s'avèrent plus efficaces que l'échange d'informations via les conventions", note par ailleurs Jean Meckaert, auteur en 2010 du rapport du Comité catholique contre la faim (CCFD) sur les paradis fiscaux.
- Vers la fin des paradis fiscaux ?
"On voit très clairement que les juridictions prennent le processus d'échanges mis en place en 2009 très au sérieux, assure Andrew Auerbach, membre du centre depolitique et d'administrations fiscales de l'OCDE. Pour nous, le standard c'est l'échange d'informations entre les pays pour que les contribuables paient leurs impôts chez eux. Nous avançons vers un système où les règles du jeu seront équitables."
Ce n'est pas l'avis de tous. Ainsi, dans son rapport sur les paradis fiscaux, le CCFD note que "les îles Vierges britanniques (qui comptent 830 000 sociétés pour 24 491 habitants en 2010), les îles Caïmans, le Luxembourg, l'île Maurice et lesPays-Bas ne représentent que 1 % du PIB mondial et 0,27 % de la population de la planète alors qu'à eux cinq, ces pays pèsent 1,7 fois plus que les Etats-Unis et trois fois plus que le Japon, l'Allemagne et la France réunis en matière d'investissements à l'étranger".
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