Quelle éducation pour le Cameroun de demain ?
Par Roger KAFFO FOKOU, Secrétaire Général du SNAES, auteur de Demain sera à l’Afrique (l’Harmattan, 2008) et Misère de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui (L’Harmattan, 2009).
Dans le secteur de l’éducation, la fièvre de la réforme s’empare désormais du Cameroun. 17 ans après les états généraux de l’éducation, 14 ans après la dernière loi d’orientation de l’éducation, la nécessité de passer au concret va-t-elle enfin l’emporter sur les démons de l’immobilisme ? Le Forum national de l’éducation projeté pour 2013 aura-t-il lieu ? Et le cas échéant, sera-t-il ouvert, véritablement ouvert à toutes les parties prenantes ou sera-ce, comme souvent, une réunion de fonctionnaires serviles soucieux de ne pas s’exposer au risque de perdre leurs prébendes ? Pour ceux qui pensent sérieusement au défi de l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035 et se demandent « pourquoi pas ? », quelques-unes des vraies questions de l’heure sont les suivantes : « Faut-il libérer l’éducation camerounaise de l’influence occidentale et peut-on le faire ? Si oui jusqu’à quel point ? », et « Quels seraient aujourd’hui les enjeux d’une éducation camerounaise au service d’un développement harmonieux et durable ? ». Commencer à proposer des réponses à ces questions, c’est s’engager à déblayer le chemin vers ce forum qui suscite déjà d’immenses attentes.
- 1. Faut-il libérer l’éducation camerounaise de l’influence occidentale et peut-on le faire ? Si oui jusqu’à quel point ?
Il s’agit bien de libérer de l’influence occidentale mais pas au sens de s’enfermer pour s’en soustraire. Dans un espace mondialisé/globalisé (sous l’influence de média satellitaires), il n’est plus possible de vivre en autarcie (« L’heure des destinées singulières est révolue », disait déjà Cheikh Hamidou Kane en 1961 dans L’Aventure ambiguë). Il est plutôt question de maîtriser cette influence ainsi que d’autres types d’influence dont le continent est la cible. On ne doit pas faire de l’Occident une cible obsessionnelle. Ce qu’il faut réussir, c’est maîtriser les influences que l’on reçoit, apprendre à les contrôler. Pour cela, il faut développer la capacité à les identifier (elles ne doivent plus opérer à notre insu), les analyser objectivement, scientifiquement (savoir ce qu’elles ont de bon, de moins bon ou de mauvais), et ensuite en sélectionner ce qui peut s’intégrer à notre vision stratégique. Aucune civilisation au monde ne s’est jamais développée sans emprunts aux civilisations antérieures, contemporaines.
- 2. Quels seraient aujourd’hui les enjeux d’une éducation camerounaise au service d’un développement harmonieux et durable ?
Ces enjeux seraient au moins de 4 ordres : nécessité d’un enracinement profond (d’où le sens étymologique de développer), la mise en place de valeurs citoyennes partagées, la capacité à résoudre les problèmes concrets, et l’ouverture sur l’extérieur.
- Enracinement profond :
En premier lieu, les langues nationales : elles seules peuvent réconcilier l’homme avec son univers, c’est-à-dire avec lui-même (le cœur produit la pensée, la pensée produit la parole et la parole produit l’action). En second lieu, l’histoire. Cheikh Anta Diop disait : « L’essentiel, pour le peuple, est de retrouver le fil conducteur qui le relie à son passé ancestral le plus lointain possible. Devant les agressions culturelles de toutes sortes, devant tous les facteurs désagrégeants du monde extérieur, l’arme culturelle la plus efficace dont puisse disposer un peuple est ce sentiment de continuité historique »[1]. Et ce n’est pas pour rien qu’un certain Albert Peyronnet, sénateur français de l’époque coloniale, disait : « Il est une matière que je verrai disparaître du programme de nos écoles africaines : c’est l’histoire »[2]. Ceci suppose une autre conception de l’histoire, libérée de l’obsession chronologique et de l’événementialité, enrichie des apports de la sociologie, de l’anthropologie, de l’ethnologie et j’en passe.
- Adossement sur des valeurs consensuelles (construction d’un savoir-être citoyen)
Le concept de valeur doit être officiellement défini et socialement accepté. Il s’agit ici de principes moraux et spirituels considérés comme des qualités positives à acquérir. Les valeurs sont-elles relatives/relativisables ou absolues ? Peuvent-elles être enseignées ou faut-il laisser leur acquisition au hasard ? Le projet de société doit définir un socle de valeurs sur la base d’un large consensus et répondre aux questions ci-dessus. A. de Saint-Exupéry disait : « Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’homme », l’Homme véritable et pas son imitation, quelque chose qui en a la forme/le contenant mais non le contenu.
L’homme qu’il s’agira non pas de fabriquer mais de développer ne sera pas considéré comme un outil, une pièce d’une froide machine sociale, mais comme un tout, un univers vivant, unique, disposant d’inestimables richesses enfouies en lui comme dans un sous-sol, et qu’il faut explorer pour mettre au grand jour. Il faut dépasser le vieux rêve marchand qui consiste, en attendant que la machine un jour remplace l’homme en tout, à vouloir transformer l’homme en machine. Pour y parvenir, l’on devra prévoir dans le temps scolaire des plages pour des activités susceptibles de concourir à l’atteinte de cet objectif.
- Efficacité (construction d’un savoir-faire adapté aux véritables besoins du pays)
Pour être efficace, capable étymologiquement de produire l’effet escompté, l’école doit être apte à résoudre des problèmes concrets (notamment celui de la production des biens et des services de toutes natures) pour sortir le pays de la pénurie : ici, il faut opérer des choix stratégiques, et structurer l’éducation en fonction desdits choix. Quels sont les besoins réels ? Quels sont ceux que l’on a le maximum de chances de produire localement ? Dans quel domaine peut-on développer des avantages de compétitivité ? A quelles échéances ? Quelles sont les ressources à déployer ? Où et comment trouver ou produire lesdites ressources ? Quel niveau de qualité faut-il absolument atteindre ? L’école doit répondre à toutes ces questions de manière satisfaisante.
- Ouverture sur l’extérieur (solidarité régionale et internationale)
S’ouvrir sur l’extérieur, c’est surtout rester au courant des grandes innovations qui transforment la planète, chercher à mieux connaître les autres et partager avec eux ce qu’on a de meilleur, apporter sa contribution à la réalisation de l’aventure humaine, être prêt à prêter son secours à ceux qui en ont besoin parce qu’ils souffrent de misère, de solitude, d’exactions de toutes sortes. Nous sommes tous responsables de la planète et nous devons tous contribuer à l’humaniser.
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