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RACISME ET MILITARISATION : LA FACE CACHEE DE LA POLICE AMERICAINE

Par Charlotte Recoquillon.

 

La face cachée du rêve américain peut n’être rien d’autre qu’un mirage, et très souvent, quand vous n’avez pas la bonne pigmentation de peau, un véritable cauchemar. Pour ceux qui se nourrissent sans modération des productions de Hollywood, ces productions qui façonnent pour eux une Amérique largement mythique, cette compilation de Charlotte Recoquillon peut être salutaire, et les ramener sur terre, à une perception plus équilibrée d’une Amérique qui est largement peu qualifiée pour juger les autres, comme elle ne se prive jamais de le faire.[1]

 

Les manifestations se poursuivent à Ferguson après la mort de Michael Brown, adolescent noir abattu par un policier le 9 août dernier, alors que la garde nationale vient d’être mobilisée pour les réprimer. L’opinion publique prend la mesure d’une réalité ancienne : celle d’une police aux méthodes souvent brutales et dont les principales victimes sont noires.


Trois éléments sont utiles pour comprendre l’indignation et l’émotion suscitées par la mort de cet adolescent. D’une part, loin d’être isolé, ce drame s’ajoute à une longue liste de violences policières. D’autre part, on assiste depuis une vingtaine d’années à une militarisation de plus en plus importante poussée par une puissante industrie de la défense. Enfin, tout cela a lieu dans une Amérique qui peine à éradiquer un racisme systémique et où les préjugés sont tenaces.
Une longue histoire de brutalités policières La liste est longue. La mémoire collective se souvient évidemment de l’affaire Rodney King, cet homme noir passé à tabac en 1991 par des policiers dont l’acquittement avait déclenché de violentes émeutes. Lui n’en est pas mort. Mais, pour de nombreux autres Noirs aux Etats-Unis, innocents, non armés, l’usage excessif de la force tue.

2013 Jonathan Ferrell, Noir, 24 ans, Charlotte, Caroline du Nord


Blessé dans un accident de voiture et ensanglanté, il sonne chez une dame pour demander de l’aide. Elle prend peur et appelle la police. L’agent Randall Kerrick lui tire dessus douze fois, dix balles l’atteignent. Il n’était pas armé.


2012 Ramarley Graham, Noir, 18 ans, New York


Suspecté de détenir de la marijuana, poursuivi jusqu’à l’appartement de sa grand-mère où les policiers pénètrent sans mandat et l’abattent d’une balle dans la poitrine devant son petit frère de 6 ans. Il n’était pas armé.


2008 Tarika Wilson, Noire, 26 ans, Lima, Ohio


A la recherche de son compagnon, une unité spéciale (SWAT) pénètre dans la maison de Tarika Wilson où elle est abattue. Son fils de 15 mois, qu’elle tenait dans les bras, est blessé. Elle n’était pas armée. 


Aux quelques centaines d’homicides commis par des policiers chaque année, 497 rien qu’en 2009 selon les estimations de l’American Civil Liberties Union (ACLU), il faut opposer le fait que, très souvent, quel que soit le degré d’excès d’usage de la force, les responsables sont acquittés. Quand ils ont été mis en examen.



2013 Andy Lopez, 13 ans, Hispanique, Santa Rosa, Californie


L’adolescent a été surpris dans une allée avec une arme en plastique. L’officier Gelhaus a tiré huit balles en l’espace de six secondes, dont sept ont atteint Andy Lopez. Aucune charge n’a été retenue.


2006 Sean Bell, Noir, 23 ans, New York


Au petit matin de son mariage, Sean Bell et deux amis sortent d’un club. Leur voiture est poursuivie par la police est à l’arrêt lorsque les officiers déchargent cinquante balles. Quatre balles tuent Sean Bell. Ses amis survivent à dix-neuf et trois balles respectivement. Trois des cinq policiers ont été jugés pour homicide et mise en danger. Ils ont été reconnus non coupables.


1999 Amadou Diallo, Noir, 23 ans, New York City


Confondu avec un violeur recherché, Amadou Diallo est abattu devant chez lui par quatre policiers en civil alors qu’il leur tendait ses papiers d’identité pour s’identifier. Il est touché par dix-neuf des quarante-et-une balles tirées. Les quatre policiers sont acquittés. 

 
Parfois, sous la pression de l’opinion publique ou d’un contexte politique particulier, les policiers sont condamnés. La lourdeur des peines est variable.

2009 Oscar Grant, 22 ans, Noir, Oakland, Californie


Arrêté avec plusieurs autres personnes sur le quai de la station Fruitvale, Oscar Grant était menotté et à plat ventre quand l’officier Mehserle lui a tiré dessus, dans le dos, expliquant plus tard qu’il a confondu son arme et son Taser. La scène a été filmée par de nombreux témoins. Mehserle a été reconnu coupable d’homicide involontaire et condamné à deux ans de prison.


2006 Kathryn Johnston, 92 ans, Noire, Atlanta, Géorgie


Probablement sur de fausses informations, une unité spéciale de police envahit la maison de Kathryn Johnston à la recherche de drogue. Effrayée, elle tire un coup de feu avec un vieux pistolet, ne blessant personne. Les policiers répliquent en déchargeant trente-neuf balles, dont six atteignent la vieille dame. Mourante, elle est menottée à son lit. Les policiers tentent plus tard de maquiller la scène, cachent de la drogue chez elle et demandent à un informateur un faux témoignage. Trois officiers ont été condamnés à dix, six et cinq ans de prison pour différents chefs d’accusation : homicide volontaire, faux témoignage, parjure.

1997Abner Louima, 30 ans, Noir, New York


Après une bagarre entre deux femmes, dans laquelle lui et plusieurs hommes interviennent, la police arrive. Elle arrête Abner Louima sur la fausse accusation d’un coup porté à l’officier Volpe. Dans la voiture, les policiers le frappent avec leurs poings et leurs radios. Au commissariat, les violences se poursuivent, jusqu’au viol lors duquel Abner Louima a les mains menottées dans le dos. Il est resté hospitalisé deux mois. Justin Volpe a été condamné à trente ans de prison pour avoir enfreint les droits civiques de Louima, pour obstruction à la justice et faux témoignage. Charles Schwarz a été condamné à quinze ans de prison pour avoir aidé Volpe lors du viol.


  La militarisation de la police et l’usage excessif de la force 4,3 milliards de dollars transférés par le ministère de la défense à la police, en équipements militaires et paramilitaires, entre 1990 et 2012, selon le rapport de l’ACLU sur la militarisation de la police


Que plus de 500 agences de police aient reçu un véhicule blindé au cours de l’année 2011-2012 pose question sur la nécessité de tels équipements conçus pour des zones de combats militaires, mais aussi sur les intérêts commerciaux et financiers de cette politique. Ainsi Lockheed Martin, fabricant d’armes, recevrait chaque année 29 milliards de dollars du Pentagone, selon William Hartung, expert en sécurité, et emploie près de 130 000 personnes. On peut aussi citer l’entreprise ATK, principal fournisseur de munitions de petit calibre, dont le chiffre d’affaires atteint 2,9 milliards de dollars et qui est basée dans le Missouri.
Depuis les années 1980, les unités spéciales d’intervention (SWAT), équivalent du GIGN en France, se sont développées à un point tel que Peter Kraska, professeur à l’université Eastern Kentucky estime que plus de 80 % des villes de plus de 25 000 habitants en possèdent une. Il estime aussi que ces unités, créées pour gérer des situations à haut risque telles que les prises d’otages, sont désormais déployées plus de 50 000 fois par an (contre 3 000 en 1980). Lourdement armées et dotées d’un véritable arsenal militaire, ces unités sont en fait largement utilisées dans le cadre d’opérations de faible intensité, comme l’exécution de mandats de perquisition. L’effet de terreur produit lors de leurs interventions touche de façon disproportionnée les minorités, au premier rang desquelles, les Noirs.


Une équipe du SWAT inspecte des maisons à la recherche d’une bombe, après les attentats du marathon de Boston, en avril 2013. AFP Photo / Timothy A. Clary.  Pourtant, comme le montre l’exemple de Ferguson, le suréquipement accroît les violences et les risques, tant pour les policiers que pour les citoyens, en encourageant les policiers à adopter des comportements de militaires chargés de combattre un ennemi intérieur, au lieu de protéger et de servir la population. Par ailleurs, casqués et méconnaissables, les policiers sont déshumanisés et s’exposent à des réactions plus hostiles.


Un policier du département de police du comté de Saint-Louis pointe son arme en direction d’un groupe de manifestants, le 13 août 2013 à Ferguson. AP Photo/Jeff Roberson. La question raciale en toile de fond Les préjugés et stéréotypes raciaux permettent de comprendre comment un policier armé peut se sentir menacé par un adolescent innocent et non armé, en l’occurrence Michael Brown, au point de lui tirer dessus à six reprises, dont deux dans la tête. Un certain nombre de stigmates associés à la figure du délinquant structurent le travail des policiers. Ainsi, en 2008, les conducteurs noirs avaient trois fois plus de risques d’être fouillés lors d’un contrôle routier (12,3 %) que les Blancs (3,9 %) selon un rapport du département de la justice.


72 % des villes où la population noire représente au moins 5% de la population totale connaissent une sous-représentation des Noirs dans les effectifs de la police par rapport aux Blancs. Dans ce contexte, les contrôles au faciès effectués quotidiennement dans les quartiers où vivent les minorités – la ségrégation résidentielle reste largement dominante – entament les relations entre les policiers et les minorités, en particulier les jeunes hommes noirs et latinos.
La figure stéréotypée du jeune Noir menaçant a parfois des conséquences tragiques.

2012 Trayvon Martin, Noir, 17 ans, Sanford, Floride


Abattu dans la rue par un vigile qui le suspectait de vouloir commettre un cambriolage parce qu’il portait un pull à capuche. Il n’était pas armé. Un paquet de bonbons avait été retrouvé dans sa poche.
La « déshumanisation » des enfants et adolescents noirs, selon une étude récente publiée par l’Association américaine de psychologie, explique les disparités raciales dans les condamnations ainsi que l’usage disproportionné de la force à leur encontre. Ainsi, les enfants noirs sont systématiquement perçus comme plus âgés (4,5 ans en moyenne). Cela a pour conséquence que les enfants noirs ont dix-huit fois plus de risques d’être jugés comme des adultes que les enfants blancs. Une fois en prison, les enfants jugés comme des adultes ont deux fois plus de risques de subir des violences de la part d’un gardien, cinq fois plus de risques d’être agressés sexuellement et ont huit fois plus de risques de se suicider.

La politique d’incarcération massive menée depuis quatre décennies, principalement dans le cadre d’une guerre contre la drogue, a ainsi majoritairement affecté les Noirs qui connaissent des taux d’incarcération supérieurs et des peines plus longues. Ainsi, pour deux Américains blancs, onze Américains noirs sont incarcérés. Les peines de prison des hommes noirs sont 20 % plus longues que celles des hommes blancs pour des crimes similaires  Les conséquences sont aussi politiques et démocratiques. En 2010, 2,2 millions de Noirs américains ont perdu leur droit de vote lors de leur condamnation pénale.


Sources
› Atiba Goff P., Jackson M., Culotta C. M., Di Tomasso N. et Lewis Di Leone, « The essence of innocence : Consequences of dehumanizing black children », Journal of Personality and Social Psychology, 2014, vol. 106, pp. 526-545.
› Lee C., « But I thought he had a gun ; Race and police use of deadly force », George Washington Law Faculty Publications, 2004, 51 p.
› Eith C. et Durose M., « Contacts between Police and the Public, 2008 », US Department of Justice, octobre 2011.
› American Civil Liberties Union (ACLU), War Comes Home, The excessive militarization of American policing, 2014.
› Burch A., « Arrested-related Deaths, 2003-2009 – Statistical Tables », US Department of Justice, novembre 2011.
› Apuzzo M., « War gear flows to police departments », The New York Times, 8 juin 2014.
› The Sentencing Project, « Felony disenfranchisement : a primer », 2014.
› The Sentencing Project
› Prison Policy Initiative
› NYPD, « NYPD Stop, question and frisk database », 2003-2013.
› Hartung W., Prophets of War: Lockheed Martin and the Making of the Military-Industrial Complex, Nation Brooks, 2010, 304 p.
› Badger E., Keating D. et Elliott K., « Where minorities communities still have overwhelmingly white police », Washington Post, 14 août 2014.



[1] Cette introduction est de Roger Kaffo Fokou



27/08/2014
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