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Rente coloniale et abus d’ingérence monétaire de la France en Afrique

Par Babissakana, ingénieur financier, Chairman & CEO, Prescriptor Ltd (Lettre de reforme à M. François Hollande, Président de la République Française)

 

Monsieur le Président,

Votre visite au Cameroun nous donne l’opportunité d’inscrire à l’ordre du jour des sujets à traiter une question essentielle qui sera probablement exclue de l’agenda de vos discussions avec nos Chefs d’Etat sur les relations économiques actuelles et prévisibles entre l’Afrique (y compris le Cameroun) et la France. En effet, la France perpétue encore aujourd’hui malgré notre indépendance politique depuis plus de 50 ans, une rente coloniale prélevée sur les actifs de quinze (15) pays africains à travers un subtil abus d’ingérence monétaire dont l’impact économique et social reste très préjudiciable pour notre progrès et notre développement. La présente lettre vous en donne quelques détails en quatre (4) points : (i) De quelle rente coloniale s’agit-il ? (ii) Comment se traduit concrètement l’abus d’ingérence monétaire française en Afrique ? (iii) Quel en est l’impact économique et social ? (iv) La faiblesse du leadership politique dans les quinze pays africains ne favorise-t-elle pas le déclin stratégique de la France en Afrique ?

1. La rente coloniale continue d’être prélevée sur les actifs de quinze pays africains

Par l’application des principes et mécanismes de la Zone Franc (la parité fixe, la convertibilité illimitée, la libre transférabilité  et la centralisation des réserves de change dans un compte d’opérations à Paris) institués officiellement le 9 septembre 1939 par la France pour exercer sa souveraineté monétaire dans ses possessions coloniales notamment africaines, les avoirs extérieurs en or et en devises de celles-ci revenaient de droit à 100% à l’Etat français. Malgré les indépendances intervenues au début des années 1960, la France a pu maintenir depuis lors à travers des accords viciés de coopération monétaires, que 65 à 50% des avoirs extérieurs en devises de quinze pays africains lui soient obligatoirement donnés en dépôts dans les comptes d’opérations de votre trésor public. Ces avoirs extérieurs des africains sont actuellement rémunérés au taux d’intérêt marginal de la Banque Centrale Européenne qui est de 0,3% depuis septembre 2014. Suivant les dispositions desdits accords de coopération monétaire, ces avoirs en devises sont ainsi déposés en contrepartie de la garantie donnée par la France pour la convertibilité des francs CFA et francs comoriens émis par les trois banques centrales africaines (BCEAO, BEAC et BCC).

Suivant les statistiques disponibles au 31 mars 2015 (sources : www.bceao.int etwww.beac.int), la BEAC et la BCEAO détenaient 13474milliards de FCFA (7 083 milliards pour la BEAC et 6 391 milliards pour la BCEAO) soit 20,54 milliards d’euros de réserves brutes de change. Sur ce montant, un total de  7 028 milliards de FCFA (3 186 milliards pour la BEAC et 3842 milliards pour la BCEAO)soit 10,71 milliards d’euros représentant 52,14% des réserves de change totales étaient déposés dans les comptes d’opérations auprès du trésor français. Les informations accessibles dans le site www.economie.gouv.fr indiquent que le budget initial de la France pour 2015 était de 371,5 milliards d’euros avec 297,3 milliards de recettes et un déficit budgétaire de 74,4 milliards d’euros. Les 10,71 milliards d’euros d’avoirs en devises des Etats Africains déposées au trésor français au 31 mars 2015 représentaient 14,4% du déficit budgétaire de la France. Par le dépôt obligatoire de nos avoirs en devises, l’Etat français reçoit ainsi des pays africains un substantiel financement hautement concessionnel de son budget.

Au 31 mars 2015, le taux de rémunération de nos avoirs en devises n’était que de 0,3%. Ainsi, le coût d’opportunité des réserves de change des Etats Africains (différence entre la rémunération imposée par la France et la rémunération d’un meilleur investissement alternatif de nos réserves) était estimé en référence aux taux de rendement des euro-obligations émises par les Etats africains à 6-8,5%. En temps normal, ces réserves peuvent donc être investies dans plusieurs instruments financiers de manière beaucoup plus rentable pour nos Etats. Par définition, la rente économique est la différence entre le prix de vente d’un bien ou service et son coût de production, y compris le rendement normal du capital investi. La France n’ayant rien investi, prélève ainsi une rente coloniale sur les avoirs extérieurs en devises des Etats Africains. Un tel niveau de pertes financières subies par les Etats africains au profit de la France sans contrepartie relève de la criminalité financière d’Etat strictement contraire aux dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies.

2. Mécanismes d’abus d’ingérence monétaire de la France en Afrique

A l’aide des dispositions spécifiques des accords de coopération monétaire (clauses de garantie de convertibilité illimitée, instrument financier techniquement illusoire, et donc prétendument accordée par la France) imposés aux Etats africains par usage de la domination politico-économique et traduites dans les statuts des trois (3) banques centrales  africaines, la France exerce une ingérence illégitime et illicite dans la gouvernance et le management des affaires monétaires intérieures de nos pays avec de surcroît un droit de veto sur les décisions majeures. Ainsi, sans aucun franc d’investissement dans le capital de la BEAC, la France a deux (2) administrateurs qui siègent au conseil d’administration, deux (2) membres qui siègent au comité de la politique monétaire et un censeur parmi les trois (3) que compte la Banque. Aussi, sans aucun franc d’investissement dans le capital de la BCEAO, la France a un (1) administrateur qui siège au conseil d’administration, un (1) membre qui siège au comité de la politique monétaire. Egalement, sans aucun franc d’investissement dans le capital de la Banque Centrale des Comores, la France a quatre (4) administrateurs au conseil d’administration et un censeur sur les deux (2) que compte la Banque.

Suivant les informations puisées à bonne source, les administrateurs français exercent une influence prépondérante dans les décisions prises au sein de ces organes des banques centrales africaines et sont généralement opposés aux investissements de développement des implantations ou des réseaux de service public de ces banques qui sont pourtant au cœur des infrastructures financières indispensables pour le financement optimal des économies. Du fait notamment de cette attitude colonialiste et de ces pratiques restrictives des administrateurs français, l’on note avec amertume que les implantations des trois banques centrales sont extrêmement limitées. Il en découle un déficit profond en infrastructures financières dans ces pays. Ainsi, la BEAC ne compte que 20 implantations (6 directions nationales et 14 agences et bureaux) dans les six (6) Etats membres. A titre d’exemple, le Cameroun avec 10 régions et 58 départements, ne compte que 6 implantations. La BCEAO  ne compte que 23 implantations (8 agences principales et 15 agences auxiliaires) dans les huit (8) Etats membres. Par contre, la Banque de France quant à elle, par obligation d’une loi de 1873, met au service de l’économie française un réseau qui ne peut être inférieur à une succursale par département. Actuellement, la Banque de France a un réseau de 196 implantations (96 succursales, 73 bureaux d’accueil et d’information, 20 antennes économiques et 7 centres de traitement du surendettement) dans 96 départements.        

3. Impact économique et social de l’ingérence monétaire française

Les réseaux étriqués ou les implantations très réduites des banques centrales de la zone franc reflètent en fait un enclavement monétaire et financier généralisé et donc un déficit criard en infrastructures financières des économies et des territoires des quinze pays africains. Du fait de ce déficit en infrastructures financières, le taux de bancarisation ne dépasse guère 11% dans les pays de la zone CFA. C’est donc la grande majorité des agents économiques et des citoyens de nos pays qui est exclue des services publics monétaires. L’accès aux services publics monétaires devrait impliquer l’accès au crédit pour accroître l’investissement, la production et la productivité des agents économiques. Tout comme pendant la période de colonisation, les agents économiques en l’occurrence les paysans, les agriculteurs, les éleveurs, les artisans de toutes les catégories n’ont jamais eu accès au crédit et aux services financiers modernes. Les services publics monétaires offerts par les banques centrales sont réservés à une classe très limitée d’agents économiques qui sont en fait les privilégiés. C’est la répression monétaire permanente et structurelle qui prévaut.  

Cette répression financière sévère se traduit concrètement par une rareté permanente des signes monétaires et plus exactement une crise violente et structurelle du crédit à l’économie et au secteur privé. Statistiquement, cette répression financière peut se mesurer par deux indicateurs vérifiables de développement financier. Le volume de la masse monétaire disponible ne représente qu’une moyenne annuelle de 23% du PIB dans les pays de la zone franc contre une moyenne annuelle de 44% du PIB en Afrique subsaharienne soit un retard ou gap de développement de 21% du PIB. Plus grave, le volume du crédit au secteur privé ou à l’économie ne représente que 14% du PIB contre 37% en Afrique subsaharienne soit un retard ou écart négatif de 24% du PIB.

4. Faiblesse du leadership politique africain face au déclin stratégique de la France en Afrique

Par l’effet de la faiblesse des dirigeants successifs des quinze pays africains, la France a capturé la souveraineté monétaire de nos pays à travers des accords de coopération monétaires viciés, permettant de perpétuer la rente de la colonisation et garantissant une ingérence illégitime et illicite de l’Etat français dans nos affaires monétaires intérieures. Nous reconnaissons que, plus de 50 ans après les indépendances, les dirigeants des quinze pays africains n’ont pas été à la hauteur des attentes de leurs citoyens pour conquérir notre souveraineté monétaire comme l’ont été notamment les dirigeants du Maroc, de l’Algérie ou de la Tunisie sortis de la Zone franc lors de leurs indépendances entre 1956 et 1962.

Malgré cette faiblesse du leadership politique africain qui favorise le maintien par la France d’une position de rente coloniale, le déclin stratégique de votre pays en Afrique s’accentue à un rythme rapide. Comme pour toute position de rente, la France est aveuglée par le souci de perpétuation d’une rente coloniale prélevée en toute paresse sans aucun effort d’investissement et de quête de l’excellence ou de création de valeur. Mais sachez que la courbe d’expérience et de la qualité du leadership politique africain est dans sa phase de croissance et n’est pas loin de la maturité. La dénonciation dans un futur proche de ces accords viciés de coopération monétaire avec la France est une certitude. L’effectivité de cette dénonciation n’est plus qu’une question de temps. Les peuples africains des quinze pays finiront par avoir accès à la monnaie et au crédit indispensables pour leur progrès économique et social. L’accélération dans les prochaines années du déclin français en Afrique ne sera que le mérite de votre aveuglement stratégique empreint de néocolonialisme.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération distinguée.

 

Babissakana, PMP

Financial Engineer

Chairman & CEO, Prescriptor Ltd

Vice-Chair, Technical Development Group of ISO/TC 258



10/07/2015
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