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Retour de Laurent Gbagbo en Côte-d’Ivoire : le triomphe n’est manifestement plus ce qu’il était…

La Côte-d’Ivoire, au fil des ans, semble être devenue l’autre vraie patrie des intellectuels camerounais. Sur tous les supports médiatiques, quand ils parlent du sport ivoirien, des stars ivoiriennes du showbiz, de la politique ivoirienne, c’est avec passion et emportement, et généralement l’invective n’est jamais bien loin. Beaucoup d’hommes politiques camerounais ne dédaigneraient pas troquer, ne serait-ce que l’espace d’un instant, leur nationalité contre celle de Laurent Gbagbo, ou même de Ble Goudé, pour bénéficier du plébiscite dont jouissent ces derniers auprès de quantité d’intellectuels du pays des Lions Indomptables. Très peu aimeraient échanger leurs frusques contre la tunique pourtant dorée de M. Ouattara Alassane, tellement ce dernier semble cristalliser le rejet quasi unanime d’une certaine intellectualité camerounaise. Tout ceci bien évidemment a le don de mettre le bon peuple, la foule de celles et ceux qui se croient ou que l’on croit pauvres en intellect, en transes. Mais ce que dit l’intelligentsia camerounaise, une certaine intelligentsia camerounaise à dire vrai, si celle-ci le pense véritablement, sur les politiques ivoiriens, est-il toujours factuel ? Est-il toujours stratégiquement pertinent ? Avec un peu de lucidité, et en grattant un tout petit peu, on pourrait trouver quantité de réserves à formuler sur le sujet.

Sur le panafricanisme tant vanté de Gbagbo Laurent par exemple, pour lequel certains voudraient le hisser au même rang que les Nkrumah, Mandela, Sankara…, il y aurait beaucoup à redire. Gbagbo, pour des raisons indiscutablement électoralistes donc politiciennes, n’a pas eu le courage sauf quand il a eu le dos au mur, de renoncer à/dénoncer l’ivoirité. On ne peut pas aider, convenons-en, à diviser son propre pays avec l’ambition authentique de réunir un continent, l’Afrique. C’est ce qu’on appelle le principe de non contradiction. Comme l’écrit dans Jeune Afrique Fabrice Hervieu-Wane en 2004, « Hostile au vote des étrangers, le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, par exemple, dénonce l’utilisation par le « Vieux » de ce « bétail électoral ». Et ces « étrangers » pour Gbagbo ne sont souvent que des ivoiriens au statut querellé, pour des raisons de pureté ou d’impureté de sang. Dans l’histoire de la Côte-d’Ivoire, ces querelles ont parfois donné lieux à nombre d’exactions plus ou moins graves. Et Gbabgbo comme l’on sait est professeur d’histoire. Or comme le note Pascal Bianchini parlant de l’historien Gbabgbo, « On peut remarquer aussi qu’il est demeuré très discret, pour ne pas dire plus, au sujet des pogromes anti-étrangers qui ont eu lieu à plusieurs reprises dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, des événements qu’il lui était difficile d’ignorer. » Et ceci est d’autant significatif que les textes du FPI, rédigés par Gbagbo lui-même, prônaient la fédération ouest-africaine. Double langage donc. En soutenant l’ivoirité, Gbagbo cautionnait par le fait l’ostracisation de populations ivoiriennes de patronymes malinkés au nom de la défense d’une « ivoirité de souche ». Devenu président de la Côte-d’Ivoire en 2000, il s’accroche et refuse de supprimer cet ivoiro-nazisme, donnant ainsi ses meilleures chances à la guerre civile qui allait ravager le pays livré à de tels démons. Aujourd’hui revenu de son exil pénitentiaire aux Pays-Bas, il s’affiche d’abord comme un authentique catholique repenti, de retour au bercail. Double langage à nouveau. Car ce n’est pas seulement en Côte-d’Ivoire qu’il est revenu, c’est dans le sein de la Côte-d’Ivoire catholique ; et à celle-là seule, il a accordé sa première sortie publique : un symbole et un programme, on ne dirait pas véritablement panafricanistes !

Laurent Gbagbo retourne en terre natale doublement blanchi, par les ans et par la justice internationale. La justice ? Il y a comme un relent d’abus à user de ce vocable pour désigner ce qui n’est au mieux qu’une cour de justice politique internationale, au pire une simple cour de politique internationale maquillée de justice. Cette Cour l’a, et ses partisans urbi et orbi en exultent, blanchi. Je n’aime pas ce terme de « blanchi » même utilisé à propos de mes pires ennemis, tant il sent tantôt la buanderie, tantôt la contrebande. La guerre civile ivoirienne a fait plus de 3000 morts, dont les responsables se répartissent dans tous les camps : celui de Gbagbo, de Ouattara, de Guillaume Soro, etc. Pour l’instant, l’on a écouté à la Haye et… blanchi le camp Gbagbo. Une jurisprudence est sans doute ainsi établie qui ne manquerait pas de servir les autres camps si l’on s’avisait de les y écouter à leur tour. D’autant que tous, sans exception, appartiennent au même camp stratégique, il suffit de se pencher sur les tractations de Lina-Marcoussis de 2003 pour s’en convaincre. S’il y en avait parmi eux de pro-Russes ou de pro-Chinois, les choses seraient/pourraient être très différentes. Vous comprenez sans doute qu’il ne s’était agi que d’une querelle de famille n’est-ce pas ? Ceux qui l’avaient prise un peu trop au sérieux avaient eu tort et l’avaient durement payé, mais il faut désormais tourner la page, résolument.

Nous avons affirmé que les protagonistes de la crise ivoirienne étaient tous de la même famille. Il suffit de penser que Ouattara sortait du FMI où il avait été directeur adjoint. Cherchez à qui il devait sa nomination à ce prestigieux poste et sans doute tiendrez-vous le bout du fil d’Ariane. Gbagbo, pendant sa traversée du désert (exil en France dans les années 1980), avait été hébergé par un certain Guy Labertit devenu plus tard, juste au bon moment, Monsieur Afrique du Parti Socialiste français au pouvoir avec Lionel Jospin. Juste au moment approprié pour donner le coup de pouce nécessaire à l’accession de Gbagbo au pouvoir. L’attachement de Gbagbo au camp français et occidental ne se démentira pas jusqu’au bout : le cacao, première ressource économique ivoirienne, il le laisse entre les mains de Cargill, une multinationale américaine à travers sa filiale française ; Bolloré obtient toutes les concessions qu’il souhaite sous Gbagbo, et sera le concepteur et le financier de la campagne de Gbagbo en 2010…

Faut-il parler aussi de Konan Bédié ? De Guillaume Soro ? A quoi bon ? Aucun d’eux n’a jamais eu l’ambition de mettre en danger les intérêts de la France ni du camp occidental en Côte-dIvoire. On ne le leur reproche pas pour autant : dans le monde d’hier comme de demain, quand on était/est petit, on avait/aura besoin d’amis puissants, d’un camp ou d’un autre. Le dossier ivoirien s’est toujours traité à Paris, sans le moindre problème. Il n’a jamais été qu’une affaire intérieure à la France, une affaire françafricaine tout au plus. Qui pourrait ainsi traiter le dossier syrien aujourd’hui ? Il trouverait Moscou sur sa route. Gbagbo s’est retrouvé à la CPI sans doute – je sais que ce n’est qu’une conjecture, mais si logique ! - parce qu’il avait refusé de saisir la main tendue d’Obama : et ce faisant, il faisait courir un risque de plus en plus sérieux aux affaires de la famille et il fallait le mettre sur la touche le temps de ressouder les choses. Cela a pris dix années, lui a pris dix années de sa vie, malheureusement, le temps qu’il avait lui-même mis au pouvoir. Mais il en est sorti, plus occidental ou plus ivoiro-occidental que jamais, ayant décidé de renouer avec le christianisme originel, celui de Rome.

Son casier judiciaire international redevenu vierge suffira-t-il à lui blanchir également la conscience ? Car il y a tout de même eu plus de 3000 morts en Côte-d’Ivoire. Dans La Chute, parlant d’innocence et de culpabilité, Albert Camus évoque le cas de Jésus en relation avec ces milliers d’enfants qu’Hérode aurait fait exécuter dans l’espoir de tuer parmi eux celui dont on disait qu’il serait plus tard, à sa place, le roi des Juifs. Voici ce Jean-Baptiste Clamence, le personnage de Camus en dit, et peut-être que Gbagbo gagnerait à lire cet extrait : « Tenez, savez-vous pourquoi on l’a crucifié, l’autre, celui auquel vous pensez en ce moment, peut-être ? Bon, il y avait des quantités de raisons à cela. Il y a toujours des raisons au meurtre d’un homme. Il est, au contraire, impossible de justifier qu’il vive. C’est pourquoi le crime trouve toujours des avocats et l’innocence parfois, seulement. Mais, à côté des raisons qu’on nous a très bien expliquées pendant deux mille ans, il y en avait une grande à cette affreuse agonie, et je ne sais pourquoi on la cache si soigneusement.[…] La vraie raison est qu’il savait, lui, qu’il n’était pas tout à fait innocent. S’il ne portait pas le poids de la faute dont on l’accusait, il en avait commis d’autres, quand même il ignorait lesquelles. Les ignorait-il d’ailleurs ? Il était à la source, après tout ; il avait dû entendre parler d’un certain massacre des innocents. Les enfants de la Judée massacrés pendant que ses parents l’emmenaient en lieu sûr, pourquoi étaient-ils morts sinon à cause de lui ? »

Qu’il s’agisse de Ouattara, Gbagbo, Soro, Bédié ou Blé Goudé, et peu importe le verdict de tous les tribunaux du monde, qui de ces messieurs peut-il dormir la conscience véritablement tranquille, alors que plus de 3000 morts ivoiriens, victimes jusqu’ici sans bourreaux, continuent de hanter la conscience collective de tous les ivoiriens, de tous les citoyens du monde épris de paix et de justice ?

Roger Kaffo Fokou

 

 



24/06/2021
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