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Retour de Vladimir Poutine au Kremlin : un sérieux revers pour les marchés et sans doute un signal important pour l’avenir

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011


Le Russe Vladimir Poutine est donc, depuis dimanche 05 mars 2012, officiellement de retour au Kremlin. Les Russes auront voté pour lui à plus de 60% dès le premier tour, un véritable raz-de-marée dans la perspective néolibérale. Sauf que Poutine est tout sauf un libéral. La présidence Medvedev, que le monde occident souhaitait voir se transformer en un pont vers un après-poutine définitif, aura été jusqu’au bout ce que Poutine avait voulu en faire : une simple parenthèse déjà oubliée. Election entachée de nombreuses irrégularités ? Les oppositions russes, libérale comme communiste, le crient sur tous les tons, et cette proximité entre des forces traditionnellement antagonistes suffit à replacer l’événement que constitue cette élection russe sur la grille appropriée : entre 1939 et 1945, le capitalisme et le communisme s’étaient entendus également pour écraser un nationalisme qui, il est vrai, avait alors un visage particulièrement hideux et inhumain : le nazisme. Depuis lors, la guerre froide a permis au capitalisme néolibéral de l’emporter sur le communisme, puis de s’installer en maître quasi incontesté de la planète. Jusqu’à la fin de la décennie 2000 avec l’irruption de la crise des subprimes trop vite reconvertie en crise des dettes souveraines. Seul un empire peut en abattre un autre, dit avec raison Jacques Attali. Le marché a-t-il encore de beaux jours devant lui ou l’impossibilité à barrer la route à Poutine en Russie – tout aura été essayé dans ce but : propagande, financement de l’opposition libérale, tentative de manipulation de Medvedev comme de l’église orthodoxe russe, en vain – traduit-elle le début d’un déclin annoncé des forces du marché sur la planète plus mondialisée que jamais ?


Les points de vue internes à l’Occident : Fukuyama, Badie, Michel Rocard… et DSK
Depuis quelque temps déjà, des voix occidentales fortes de tous les bords s’élèvent pour diagnostiquer la crise du modèle sociopolitique libéral, et annoncer pour certains sa fin. Tant que de tels discours venaient de la périphérie, ils n’avaient aucune crédibilité et peu de chance d’être entendus. Ils sont de plus en plus crédibles mais leurs chances d’être entendus ont-elles significativement augmenté ? On peut en douter au regard du sort qui a jusqu’ici été fait à Dominique Strauss-Kahn.


Economiste de tout premier plan, patron de l’institution qui a permis au capitalisme occidental d’asseoir sa domination sur le monde depuis 1945, Strauss-Kahn a sans doute compris que ce système a vécu et que le moment était venu de procéder à des révisions déchirantes. De son point de vue, le sort de l’Europe en dépendait sans doute. Cette position faisait de lui un libéral-nationaliste, quelque chose de définitivement hérétique aux yeux des libéraux orthodoxes. Son poste au FMI lui donnait les moyens de mettre en œuvre sa vision économique, d’opérer une révolution qui aurait pu sauver l’Europe mais en ruinant sans doute l’Amérique dont la puissance est assise sur la suprématie du dollar. On peut dire qu’il a singulièrement sous-estimé les enjeux et que cela n’est pas le moins étonnant dans l’histoire d’un homme de son niveau d’intelligence. En détruisant Strauss-Kahn, les actuels maîtres du monde se sont donné un répit. Pour longtemps encore ? C’est à voir.


Dans une interview accordée au  Monde Magazine du 09.09.11, le Professeur Fukuyama avoue : « Au-delà de la crise économique actuelle ou d'une éventuelle nouvelle attaque terroriste, je crois que l'Amérique traverse une crise de gouvernance très grave. Le gouvernement est censé fonctionner grâce au système des "checks and balances" (des contrôles et contrepoids), or, aujourd'hui, les contrepoids sont trop nombreux et trop puissants. Aussi, le pouvoir est morcelé, le gouvernement ne peut plus agir, le pays est paralysé et la démocratie balbutie ». Pour quelqu’un qui a publié au début des années 90 un livre aux accents triomphalistes sur le néolibéralisme, on peut dire qu’il s’agit d’un réveil plutôt brutal ou à tout le moins d’un étrange credo. Ce que dit Fukuyama dans cette prise de parole n’est pas si nouveau que cela. Joseph Schumpeter l’avait déjà dit dans les années 30 dans Capitalisme, socialisme et démocratie, texte repris en partie récemment sous le titre  Le Capitalisme peut-il survivre ?, et cette question-titre à elle seule est déjà tout un programme. Comme le souligne Philippe Arnaud dans Le Monde Economie du 17 octobre 2011, il s’agit de pages véritablement prophétiques car il est difficile aujourd’hui de ne pas être d’accord que « Le processus capitaliste s'attaque (...) à son propre cadre institutionnel.» Plus subtil, Bertrand Badie parle de « la fin de l’histoire moderne de l’homme politique », étant entendu que celle-ci, liée à l’histoire du paradigme sociopolitique libéral, ne peut prendre fin que dans la mesure où ce dernier lui-même prend fin. Le 25 septembre 2008, dans son discours de Toulon, M. Sarkozy attirait l'attention sur la nécessité de refonder le capitalisme pour éviter ce que Paul Jorion, universitaire et ex-trader, appelait, parce que plus pessimiste, « un écroulement devenu inéluctable ». Comment en est-on arrivé là ?


Les excès du marché : l’Europe – Grèce, Italie… - et la montée de Mitt Romney aux USA
L’on peut résumer sans trop de réductionnisme la situation comme la conséquence d’une ambition immodérée des forces du marché de contrôler de manière totalitaire l’espace mondial réduit à sa dimension économique. Chaque crise a jusqu’ici été l’occasion de réviser à la baisse cette ambition hégémonique : la crise de 1929 permet à Roosevelt de passer le Banking Act plus connu sous l’appellation de Glass-Steagell, acte qui encadre et donc circonscrit les possibilités offertes à l’économie financiarisée de plus en plus virtuelle de faire des folies avec les moyens de l’économie réelle. On peut penser, au vu de son analyse évoquée ci-dessus, que Schumpeter, ayant compris la nature fondamentale du capitalisme, savait que le Glass-Steagell n’était qu’un compromis tactique imposé par un moment de faiblesse. Et dès la fin des années 70, Margaret Tatcher et Reagen vont en effet faire sauter toute cette ceinture de sécurité. Coïncidence ou pas, c’est justement dans les années 70 que David Rockefeller dévoile le projet du grand capitalisme de s’emparer des reines du pouvoir pour mettre en place un gouvernement mondial aux mains des grands financiers. Si certains voient dans ceci une manifestation de la théorie du complot, ils n’ont qu’à s’en prendre à David Rockefeller et son incapacité à se taire. La crise actuelle n’est-elle pas en effet en train de donner le pouvoir aux représentants du monde de la finance ? Monti en Italie, Papadémos en Grèce… Aux Etats-Unis où traditionnellement ces derniers préfèrent exercer le pouvoir dans l’ombre et, à la toute rigueur, au Secrétariat au Trésor, l’on a cette fois de grandes chances de voir un pur représentant du monde de la finance, Mitt Romney, concourir pour la présidence. C’est peut-être le signe que le moment est venu pour les maîtres de la finance mondiale de prendre directement en main la gestion du monde. Face à la formidable pression des marchés, les gouvernements dirigés par les politiques cèdent un peu partout. C’est de cela qu’il est question dans cette déclaration d’un invité du Monde.fr du 27 septembre 2011qui affirme « le pouvoir politique paraît à première vue impuissant face à l'économie. Et pour cause, les milieux d'affaires ont littéralement phagocyté dans de nombreux pays la classe politique ». De nombreuses poches de résistance heureusement existent et se renforcent.


Les réactions qui se dessinent : Viktor Orban, Sarkozy, Ahmadinejad, Poutine
Après les échecs prévisibles de l’altermondialisme et du mouvement des indignés, les véritables chances de barrer la route à un marché arrogant devenu fou semblent pour l’instant portés par des régimes plutôt autoritaires et réputés liberticides : la Russie de Vladimir Poutine, l’Iran des Ayatollahs et peut-être bientôt la Hongrie de Viktor Orban. Qu’est-ce que ces différents pouvoirs ont de commun à part le fait qu’ils semblent engagés dans une lutte à mort contre les forces du marché ?


D’un point de vue idéologique, ils ne sont ni de droite, ni de gauche. En Russie, Poutine doit affronter à la fois les libéraux financés par les marchés et les anciens communistes. En Iran, la nouvelle classe moyenne émergente, et qui doit dans une bonne part son émergence à la révolution islamique quoi qu’on dise, est le fer lance de la contestation qui menace d’ébranler le système en place, et qui n’a pour l’instant manqué que de base arrière pour rendre ses opérations plus efficaces. Derrière les stratégies de ces dirigeants, il est aisé de deviner à l’œuvre un nationalisme profondément ancré, un type de nationalisme semblable à ce que l’on peut d’ailleurs retrouver dans une région comme l’Amérique latine, chez des hommes d’Etat s’inspirant des figures devenues mythiques comme celle de Simon Bolivar. Malgré la divergence idéologique que ces régimes peuvent avoir avec la Chine, ils arrivent généralement à s’entendre, pour la bonne raison que le système chinois actuel, communiste théoriquement, est fondamentalement autoritaire et pour le moment encore profondément nationaliste.


C’est d’ailleurs l’une des plus importantes raisons pour lesquelles, le socialisme démocratique à l’occidental sera incapable de venir à bout de la crise actuelle : comment pourra-t-il en effet lutter victorieusement contre le marché et le monde de la finance – programme que se donne François Hollande le candidat le mieux placé à la course pour la présidence en France – dans un contexte où sa survie et même la réussite de ses actions dépendent d’un outil – la démocratie - qui fut forgé exprès par les marchands pour contrôler la société et prendre le pouvoir ?  C’est la quintessence de cette analyse que livrait Forbes lorsque parlant de l’éventualité d’un basculement de la Grèce dans une dictature militaire évoquée sur le mode de la plaisanterie par le Daily Telegraph, il écrivait : « Cette plaisanterie est d’autant plus triste et amère qu’elle serait, pour tout dire, si l’on fait abstraction du léger problème de la transformation de la Grèce en dictature militaire, une bonne solution pour le pays ». Comment en douter puisque nous avons vu successivement les socio-démocrates échouer en Grèce (Gouvernement Papandréou) et en Espagne (José maria Aznar) ? Et qu’en même temps la droite a échoué en Italie (Berlusconi) et en France (Sarkozy) ? Pour vaincre l’actuelle crise en Europe, il faudra sans doute plus que les moyens habituels de la démocratie libérale dans ses diverses déclinaisons. Ce constat nous met face à une alternative curieuse et inquiétante : faudra-t-il alors jouer la dictature nationaliste contre la démocratie libérale pour échapper aux griffes gloutonnes du marché ?  


Beaucoup sont d’accord avec le segment nationaliste de cette solution, même s’ils préfèrent parler plutôt de patriotisme. Dani Rodrik, professeur en économie politique internationale à l'Université de Harvard insiste sur le concept de l’Etat-nation et montre qu’il semble se présenter comme le recours incontournable aujourd’hui : « Il y a quelques années, écrit-il, une grande enquête mondiale sur les valeurs a fait un sondage dans un grand nombre de pays à propos des liens que les gens entretiennent à l'échelle régionale, nationale et mondiale. Sans surprise, ceux qui se considéraient comme citoyens nationaux dépassaient de beaucoup ceux qui se voyaient comme des citoyens du monde. Un résultat encore plus surprenant, l'identité nationale a même éclipsé l'identité régionale aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Chine et dans bon nombre d'autres pays ». C’est le constat d’échec d’une mondialisation marchande égoïste mais également d’un régionalisme étriqué, et le professeur Dani Rodrik conclut sans surprendre : « Il est impossible de faire face aux enjeux contemporains avec des institutions qui n'existent pas (encore). Pour l'instant, les gens doivent se tourner vers leurs gouvernements nationaux pour des solutions, ce qui demeure l'action collective la plus porteuse d'espoir. L'État-nation est sans doute un anachronisme hérité de la Révolution française, mais c'est le seul instrument dont nous disposons ». Une fois ce cadre admis, il restera à résoudre le problème du système politique qu’il sera nécessaire d’y mettre en œuvre. Les dictatures du XIXè siècle ont vécu et il ne sera plus facile de les ressusciter et des les imposer durablement. Aucun peuple ne voudra échapper à la dictature des marchés (libérale) pour retomber dans un autre type de dictature, fût-elle nationaliste. Le développement des médias sociaux donne aujourd’hui à l’individu un immense pouvoir que la plupart des gens ne réalisent pas encore mais la conscience ira croissant. Pour sortir du guêpier de la démocratie libérale, il faudra donc tracer les voies vers une autre forme de démocratie, plus en phase avec les intérêts des peuples et des individus.



07/03/2012
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