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Roger Kaffo Fokou « Je ne crois pas beaucoup au syndicalisme révolutionnaire »

27 octobre 2010 dans Ouest Echos Au lendemain de sa réélection à la tête du syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (Snaes), Roger Kaffo Fokou a reçu Ouest Echos. Avec lui, nous avons discuté des difficultés du premier syndicat enseignant de la région à redorer son lustre d’antan. Et il donne aussi son point de vue sur la vision du syndicalisme tout court à la lumière de l’actualité en France. Ouest Echos : Avant d’en venir aux préoccupations purement nationales, vous qui suivez l’actualité internationale, que vous inspire l’intense mobilisation syndicale actuelle en France contre la réforme des retraites ? Est-ce que le syndicalisme tel qu’il se pratique en France vous rend jaloux ? Roger KAFFO FOKOU : Oui et non. Oui parce que le niveau de mobilisation que les syndicats arrivent à obtenir en France ferait rêver n’importe quel responsable syndical camerounais. Mais vous savez, un à deux millions de manifestants, y inclus les lycéens, comparés à la population active française, ce n’est pas exceptionnel. Pour des pays de vieille tradition syndicale, l’on aurait pu s’attendre à plus. Vous savez que le niveau de syndicalisation en France ne dépasse pas généralement les 10%. Non aussi, parce que le discours syndical français d’aujourd’hui me semble en terrible recul. On se croirait en 1906 lorsque la CGT adoptait la charte d’Amiens. Lorsque l’on écoute Bernard Thibault et Jean-Claude Mailly, l’on se demande si l’on ne se dirige pas l’anarchisme. Dans un article de La Voix de l’Enseignant N°006 de février 2009 intitulé « Face à la crise économique mondiale, le syndicalisme français retourne à ses origines révolutionnaires », nous attirions déjà l’attention sur le risque pour les syndicats français de basculer dans une certaine illusion : « La France, disions-nous, offre aujourd’hui l’image d’un pays où les syndicats, incapables de recruter des militants, n’ont par contre aucune difficulté à recruter des grévistes. Cela crée une illusion de force potentiellement dangereuse ». Dans une société qui joue son va-tout contre des puissances émergentes en position de force compétitive, les syndicalistes français jouent avec le feu, on dirait d’abord pour satisfaire leur égo. Vu sous cet angle-là, je ne suis pas jaloux d’eux. Je ne crois pas beaucoup au syndicalisme révolutionnaire, encore moins quand il s’oriente vers l’anarchisme. Ouest Echos : Comparaison n’est pas raison a-t-on coutume de dire, mais pouvez-vous nous dire en quelques mots pourquoi les syndicats sont si forts ailleurs et si faibles chez nous ? Roger KAFFO FOKOU : Les syndicats sont forts ailleurs mais l’exemple, ce n’est pas la France, malgré l’agitation de la rue qu’on y observe. Dans les pays de l’Europe du Nord, où la social-démocratie l’avait emporté au début du XXè siècle, cela est vrai. Là-bas, ils avaient compris qu’il fallait négocier avec l’Etat et le capitalisme pour, non pas détruire l’ordre social et lui substituer un autre, mais le réformer dans une sorte de compromis. Les travailleurs allemands, en raison des difficultés liées aux défis de la réunification ont fait plus de 10 ans sans augmentation de salaires et leurs syndicats n’ont lancé aucune grève sur le sujet. Cela a permis à l’économie allemande de traverser une passe difficile. La faiblesse des syndicats chez nous vient d’une part de l’orientation révolutionnaire initiale avec toutes ses conséquences, d’autre part du pacte néocolonial qui a transformé nos pays en réserves de main-d’œuvre asservie par une économie extravertie au profit des métropoles. Pour modifier cela, il faut recentrer notre vision syndicale, et refaire l’éducation du peuple et de nos membres. Ouest Echos : Monsieur Roger Kaffo Fokou, vous venez d’être réélu au poste de Secrétaire Général du SNAES lors du dernier Conseil national de Bamenda. Que vous inspire ce fait ? Et quelles sont les nouvelles orientations que vous entendez mener ? Roger KAFFO FOKOU : Le Conseil National de Bamenda a prolongé mon mandat de deux ans pour préparer le prochain congrès. J’ai engagé un travail de restructuration du SNAES depuis 2007 qu’il fallait parachever. D’abord au niveau de la vision, nous somme passés à ce que nous appelons « syndicalisme de développement ». Il s’agit pour nous d’enraciner notre engagement syndical dans le contexte qui est le nôtre et d’en faire un instrument au service du développement de notre pays. Dans cette optique, les revendications sont non une fin mais des moyens pour mettre en œuvre une véritable école de développement. A Bamenda, nous avons décidé de positionner le SNAES à l’avant-garde du changement social en permettant à ceux qui travaillent de jouir vraiment du fruit de leur labeur. C’est pourquoi désormais au SNAES, les contributions produites à la base y sont utilisés à 70%. C’est une inversion salutaire et un exemple à suivre. Ouest Echos : Dans la dernière livraison de « la Voix de l’Enseignant » qui est l’organe de communication de votre syndicat, vous estimez que le SNAES veut « donner à ceux qui travaillent, à ceux qui produisent, le pouvoir de participer équitablement à la décision de la conduite à suivre ». Qu’est ce que cela veut dire concrètement ? Roger KAFFO FOKOU : Vous savez, dans la démocratie libérale qui est à la mode depuis le XIXè siècle, le droit de participation est une pure fiction. La révolution libérale a mis au pouvoir les marchands et leurs complices, les militaires et les religieux. Ce n’est pas pour rien que lorsque le pape se fâche, Sarkozy se rend à Rome. Quant aux travailleurs, on leur a trouvé une bonne nasse où ils se sont enfermés depuis deux siècles : les syndicats. Leur participation à la prise de décision démocratique se joue dans la rue contre les forces de l’ordre, tandis que dans les assemblées, les autres groupes sociaux, imperturbables, décident, souvent contre eux. Le chien aboie, la caravane passe. Au niveau de l’entreprise, l’entrée des employés dans les conseils d’administration montre que l’on a compris qu’il y a une injustice à réparer. L’Etat, c’est l’entreprise collective. Pourquoi les travailleurs en tant que groupe social n’y entreraient-ils pas. Ainsi, au lieu d’envahir la rue, de s’épuiser dans des actions d’obstruction qui leur aliènent la sympathie des bonnes gens, ils pourraient discuter, comme au bon vieux temps des états généraux, leurs intérêts en assemblée avec les autres groupes sociaux. De cette manière-là, le travailleur échapperait à l’impasse syndicale. Ouest Echos : Aux yeux de nombreux de vos contempteurs, le SNAES est devenu très théorique et pas assez concret depuis que vous y avez fait triompher une ligne politique baptisée « syndicalisme de développement » en 2007. La très grande production intellectuelle qu’on y note ces dernières années est inversement proportionnelle aux actions de terrain qui ont disparu. Comment jugez-vous tout ça ? Roger KAFFO FOKOU : Le SNAES est une organisation démocratique dans laquelle le Secrétaire Général est élu en Congrès par ses membres. Nul ne peut s’autoproclamer SG du SNAES et tous ceux qui manquent les Congrès ont tort. Du temps où j’étais militant de base du SNAES, ce n’est pas le Secrétaire Général qui venait syndiquer et mobiliser dans ma base, et j’avais l’une des plus fortes bases du SNAES. Je ne veux pas polémiquer avec d’anciens camarades légitimement fatigués ou qui ont choisi d’autres voies de salut. Certains n’ont même pas fait l’effort de comprendre ce que c’est que le syndicalisme de développement. Comment en discuter avec eux ? Ils sont sans doute trop occupés à autre chose pour chercher à comprendre. Vous parlez d’une très grande production intellectuelle : c’est avec des idées que l’on change le monde. Je ne crois pas que c’est avec des salaires, même ceux de 1993, que l’on changera l’enseignement et le Cameroun. Il faudra des idées, de bonnes idées. Et s’il y a des gens qui pensent que le syndicalisme de développement n’est pas une bonne idée, une idée assez bonne, il faudra qu’ils viennent en discuter avec ceux qui l’avaient adoptée en Congrès. C’est aussi simple que cela, et c’est plus démocratique. Ouest Echos : Lors du dernier Conseil national de Bamenda, seulement quatre régions sur dix ont pu être pourvues de Secrétaires régionaux. Est-ce que le militantisme syndical recule au sein du SNAES ? Roger KAFFO FOKOU : Le militantisme syndical repart au SNAES. Il n’y a pas si longtemps nous étions plus mal en point et d’aucuns juraient que c’en était fini pour le SNAES. Dieu merci, il est clair qu’ils n’avaient pas fait une bonne lecture de la situation. Les armes des années 90, qui avaient prouvé une certaine efficacité, avaient fait leur époque et il nous fallait en forger de nouvelles. C’est chose faite aujourd’hui. Désormais nous sommes tournés vers l’avenir avons bon espoir que ce qui sera bâti sera encore plus solide que ce que le souvenir nous montre du passé. Ouest Echos : Au-delà de la difficulté du SNAES à recruter de nouveaux adhérents, ne doit-on pas y voir la conviction des enseignants au fait que les syndicats ne peuvent pas faire avancer leur cause ? Quel bilan faites-vous des revendications légitimes des enseignants pour leur statut particulier et leur plan de carrière au point mort depuis dix ans ? Roger KAFFO FOKOU : Vous savez, l’on pourrait dire que les Camerounais ne croient en rien depuis quelques années. Les enseignants ne constituent pas une exception dans ce cas. Il ne faut pas confondre une stratégie du désespoir avec des convictions raisonnées. La situation des Camerounais en général et des enseignants camerounais en particulier n’est pas une fatalité. Je vais vous dire une chose : un pays se gouverne par génération et se change aussi par génération. Une certaine génération d’enseignants camerounais a tout donné au SNAES et n’a presque rien obtenu. Elle est en train de prendre sa retraite. Une nouvelle génération est au seuil du syndicat et il faut trouver le langage qu’elle comprend pour l’engager. Nous sommes en train de nous y atteler et il me semble que les choses ne sont pas en train de mal aller là où nous avons des ouvriers convaincus et convaincants. Pour ce qui est du statut particulier des enseignants de décembre 2000, il est désormais obsolète : ce n’est plus qu’un chiffon de papier. A titre d’exemple, plus de 70% des enseignants de la base sont aujourd’hui des « contractualisés », un statut qui ne figure pas dans ce texte ! Il faudra donc le renégocier, sans l’avoir vraiment appliqué. La Constitution aussi… Ouest Echos : Après le Conseil national de Bamenda, vous avez dénoncé dans un article de presse, l’entente tacite des politiques qui avaient confiné les syndicats dans un rôle marginal de revendication sans aucune prise sur la réalité. Pensez-vous que les syndicats ont suffisamment balayé devant leur propre cour ? Roger KAFFO FOKOU : Il n’y a de sainteté nulle part, si c’est ce que vous voulez dire. Les syndicats ont également beaucoup péché en 20 ans. Mais eux ont l’excuse qu’ils n’ont jamais eu de statut légal au Cameroun. Dans la loi N°90/053 du 19 décembre 1990 portant liberté d’association, l’on avait annoncé des lois particulières pour les partis politiques et les syndicats. La loi sur les partis avait été élaborée et publiée peu après. Celle sur les syndicats est toujours attendue. Les syndicats au Cameroun n’ont donc pas de statut institutionnel et n’ont aucun véritable moyen de se financer. C’est une situation de non droit qui a servi les pouvoirs publics au détriment des représentants des travailleurs. Ce problème-là n’a jamais été posé dans l’hémicycle par les partis politiques. Regardez en France et ailleurs : les partis politiques d’opposition marchent avec les syndicats et les appuient. C’est d’ailleurs une tradition qui, dans les pays anglo-saxons est aussi vieille que le syndicalisme. Si les syndicats ne sont pas à l’Assemblée et que ceux qui y sont ne peuvent, ne veulent pas parler pour eux, vous comprenez pourquoi nous disons qu’il faut qu’ils y entrent eux-mêmes n’est-ce pas ? Ouest Echos : Dans la suite de la précédente question, ne pensez-vous pas que les syndicats payent pour s’être d’eux-mêmes exclus des cercles réels des pouvoirs ? Là où les syndicats sont forts, on note une connexion réelle entre leurs leaders et le monde politique. On l’a vu dans le cas de la France que nous avons évoqué en début d’entretien. En Grande Bretagne, le nouveau chef du Parti Travailliste doit son élection aux syndicalistes. En Afrique du Sud là où le syndicalisme marche, le Cosatu sud-africain ne fait pas mystère de son engagement politique. Au Cameroun même, l’époque glorieuse des syndicats coïncide avec l’engagement politique de ses leaders. On connaît le cas de Charles Assalé ou Ruben Um Nyobè dans la période précédent l’indépendance. Plus près dans le temps au début des années 1990, les syndicats étaient plus actifs avec des leaders comme Njongwanè Dipoko et d’autres qui avaient leurs cartes de partis. Ne pensez-vous pas que l’échec des syndicats actuellement est d’abord l’échec de leur stratégie de revendication en vase clos ? Roger KAFFO FOKOU : Je l’ai dit, il manque au Cameroun une réelle connexion entre le monde politique et le monde syndical. L’exemple de la période coloniale est très intéressant. Il faut se rappeler qu’à cette époque-là, l’USCC était le condensé de tout le monde du travail. Aujourd’hui, tout est atomisé au maximum. Il faudra revoir cette stratégie mais seul un syndicat fort peu négocier le rassemblement avec les autres syndicats des autres corps. Il faudra aussi négocier avec le pouvoir ou les partis d’opposition. Pas pour devenir des organes annexes de celui-ci ou de ceux-là. Nous ne voulons pas bâtir des démocraties populaires et les partis uniques, c’est fini. Vous savez, aux USA dès la fin du XIXè siècle, les partis politiques ont appris à négocier avec les syndicats des plates-formes électorales de gouvernement. Parce que là-bas, les politiciens croient en l’existence des travailleurs comme force de mobilisation. Ici chez nous, les politiciens ne croient qu’au peuple parce que cela ne les engage à rien, le peuple étant une pure nébuleuse. Ouest Echos : A titre personnel, le Secrétaire Général du SNAES pense-t-il qu’un bon syndicaliste doit éviter de s’engager dans un parti politique ? Roger KAFFO FOKOU : Mon Dieu ! non ! Ce serait un déni de droit. Le travail n’est pas une patrie, ce n’est qu’une profession. Le syndicaliste est un citoyen et cela lui confère des droits que le syndicat ne saurait lui enlever. Engager le syndicat dans un parti politique est par contre plus délicat. D’un point de vue purement stratégique, un syndicat et un parti politique peuvent s’entendre sur une plate-forme politique et unir leurs efforts pour réunir les conditions de sa mise en œuvre. Le SNAES est ouvert à ce type de stratégie. Ce serait là une négociation tout à fait licite. Parce que si un syndicat n’arrive pas à négocier avec le pouvoir, quel mal y aurait-il à ce qu’il négocie avec l’opposition ? L’opposition n’est-il pas le pouvoir éventuel ? Ouest Echos : A défaut de voir les leaders du SNAES dans des formations politiques qui peuvent relayer leur combat, on ne les a pas non plus entendus sur la question de la mobilisation de leurs adhérents pour des inscriptions sur les listes électorales. Elecam n’a-t-elle aucun sens pour le SNAES ? Roger KAFFO FOKOU : Je vais vous donner mon point de vue qui n’est pas celui du SNAES : je ne crois pas en ELECAM. Son mode de recrutement de son personnel qui est basé sur la corruption et le népotisme n’est pas fait pour encourager ma conviction. Ces gens qui achètent ou se soumettent à d’inavouables chantages pour se faire coopter, croyez-vous qu’ils feront un boulot honnête dans cette institution ? C’est une autre supercherie. Je parie qu’après 2011, on lui trouvera un nom nouveau, et nous recommencerons à tourner en rond comme au manège avec les chevaux de bois. Une commission électorale digne de confiance se négocie et c’est pour obtenir cette négociation qu’il fallait rallier les forces pour faire pression. Un ralliement négocié, je veux dire. Et puisque ce sont les partis politiques qui aspirent à la gestion de la société globale, c’était à eux à rassembler les travailleurs de tous les secteurs pour négocier avec eux les conditions d’une action concertée ou commune. Les choses ne se sont pas passées ainsi. Il faut tâcher de ne pas rater les prochains tournants. Ceci dit, j’ai toujours voté depuis que j’en ai le droit ; je ne manquerai pas de le faire les fois prochaines. Ouest Echos : Le mot de la fin Roger KAFFO FOKOU : Le SNAES est très engagé pour le développement de ce pays et entend inspirer cet engagement à tous les enseignants. C’est un travail méthodique qui va porter et le SNAES saura gré à tous ceux qui l’appuieront sans chercher à l’asservir. J’en profite pour remercier Ouest Echos pour l’intérêt qu’il porte à notre action et pour son engagement au service de notre pays.


16/09/2011
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