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Samuel Eto’o Fils : plus qu’un lion indomptable, il est le bouc émissaire rêvé

Au moment où la nouvelle affaire Samuel Eto’o Fils vs FECAFOOT défraie la chronique avec ces sanctions véritablement ubuesques que la bureaucratie des potentats qui gèrent notre football a osé infliger à certains de nos jeunes lions, l’on ne peut s’empêcher de méditer le poids de l’immobilisme qui pèse sur le Cameroun. La FECAFOOT est devenu, à bien y songer, le fief de M. Iya et de ses acolytes ; mais ce n’est qu’un fief de plus dans une république décidément très féodale.  En suivant M. Samuel Eto’o Fils sur Canal 2 International – il a raison de dire qu’il n’est plus un enfant depuis longtemps – j’ai renouvelé ma conviction que ce n’est pas ce superbe joueur, admiré par tous les Africains que j’ai rencontrés ici et là, que la mascarade de la FECAFOOT a sali : c’est chacun de nous, c’est le Cameroun en entier. Le problème de notre football, a-t-il répété, c’est l’argent : qui ne se souvient de cette fameuse mallette d’argent qui s’est égarée entre Paris et New-York pour l’éternité du temps de M. Augustin Kontchou ? Les mêmes tours minables, les mêmes excuses mesquines, la même méchanceté pour se tirer d’affaire… Pendant ce temps, les Lions indomptables, comme un bon pan du pays, n’en finissent plus de couler. Le tort de M. Samuel Eto’o Fils, brillant footballeur et - ses interviews le prouvent largement - homme intelligent, c’est d’avoir un nom mondialement connu, une voix qui porte, et une âme plus grande que la moyenne. De quoi filer des complexes intolérables à ces messieurs qui ont pour la plupart déjà perdu la toute petite âme qu’ils avaient. Depuis des années, les problèmes des Lions sont connus, et ils n’ont rien ou presque à voir avec Samuel Eto’o Fils, lisez plutôt…


Il fut un temps où les Lions, presque indomptables, faisaient la fierté de tous les Camerounais de l’intérieur comme de l’extérieur, du Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest, du RDPC comme des partis d’opposition : ils rugissaient sur tous les stades du continent et imposaient sur le gazon le partage « du lion ». En ce temps-là, y compris dans l’arène mondiale, lorsqu’ils montraient les dents et sortaient les griffes, même les meilleures équipes de la planète n’avaient qu’à bien se tenir. L’on se rappelle encore la sacrée épopée de 1982, et surtout celle, inénarrable de 1990 où, ayant lacéré d’un puissant coup de patte la belle tunique de l’Argentine future championne du monde, ces fauves permirent au continent africain, pour la première fois de l’histoire,  d’atteindre les quarts de finale de la plus prestigieuse compétition sportive internationale, et d’y augmenter son quota de représentation pour les éditions suivantes.

Mais 1990 semble désormais bien loin : 20 années, pas une de moins, sont depuis lors écoulées. Quel âge M. Paul Biya avait-il à l’époque déjà ? Voyons ! Né en 1933, cela devait faire dans les 57 ans. Diable, on peut dire qu’il était encore frais, le gars ! Dans tous les sens du terme d’ailleurs : l’on n’était alors pas si loin que cela, si votre mémoire est bonne, de 1982. Un septennat venait tout juste d’expirer. Et en dépit des conférences nationales souveraines en ces jours-là dans le vent « d’Est », et que certains trouvaient stupidement bonnes à accommoder à la sauce locale, nombre de Camerounais et la plupart des capitalistes étrangers qui se nourrissent depuis plus d’un siècle du produit intérieur brut de notre cher et beau pays tenaient fermement pour vrai que l’homme du 6 novembre continuait à incarner le meilleur de l’héritage d’Ahidjo, ce dernier ayant incarné pour sa part presque à la perfection l’héritage  colonial. Quelle continuité ! Il n’y avait cependant pas que notre bien aimé chef de l’Etat pour représenter la meilleure part du régime du premier père de la nation : il y avait aussi les Lions indomptables. Vous comprenez sans doute pourquoi l’un et les autres se sont si bien entendus n’est-ce pas ? L’on peut presque dire qu’ils étaient faits pour s’entendre à la perfection.

 

 L’équipe comptait alors peu de joueurs évoluant à l’étranger : une représentation nationale proportionnellement plus logique, vous en conviendrez. La plupart d’entre ces derniers s’identifiaient d’abord au Canon de Yaoundé, à l’Union de Douala, au Tonnerre Kalara club et j’en passe, puis à l’équipe nationale. Docteur Abéga Théophile, Roger Milla, Thomas Nkono, Bell Joseph Antoine et surtout, Ndoumbé Léa le maréchal, Manga Onguéné… un escadron blindé en quelque sorte. En 1990, lorsque la rue camerounaise se hérisse de barricades fumantes, que s’enflamme ainsi qu’une torche le campus de Ngoa-Ekellé, que le pays est à feu et à sang pour une conférence nationale que les promoteurs voulaient « souveraine » mais que M. Biya unilatéralement décréta « sans objet », les Lions indomptables saisissent l’opportunité qu’offre le vert gazon du mondial italien pour réconcilier par défaut la nation autour de son chef alors barricadé dans Yaoundé – « Quand Yaoundé respire, le Cameroun vit » -  et, pour le coup, se hissent à la dimension du mythe. Pour l’éternité ? Que non ! Et d’ailleurs, qui a jamais prétendu que les mythes étaient éternels ?

 

Mais passons et tant pis : en se hissant jusqu’aux quarts de finale de la coupe du monde cette année-là – le record n’est pas encore tombé – les Lions avaient écrit une page d’or du football national et africain, et permis à leur pays de se percher au niveau de l’élite mondiale du ballon rond, c’est-à-dire de la distraction. Seule en avait pâti la lutte pour une société camerounaise plus démocratique et mieux gouvernée, en d’autres termes moins exploitée et appauvrie. Victimes collatérales de l’ascension fulgurante des Lions dans l’arène footballistique mondiale en 1990, l’opposition et la société civile camerounaises  ne semblent toujours pas prêtes, 20 ans plus tard, de se relever.

 

1990, on l’aurait juré, levait le jour sur un monde d’exploits futurs toujours plus brillants les uns que les autres. Pour le Cameroun, comme pour le peuple d’Israël il y a déjà plus de 2000 ans, un mythe venait de naître : désormais on le fêta, le couvrit de louanges et de chansons ; il devint la référence de tous les discours : « Voyez les Lions indomptables : faîtes comme eux ! », ne cessait de répéter, discours après discours, le Président de la République. Malheureusement, comme le messie, le mythe n’attendit pas de vieillir pour mourir. Dès 1994, les Lions allèrent aux Etats-Unis se faire administrer une belle fessée sur leur royal arrière train. « Cela ne fait rien, se consola-t-on : même le serpent se renverse ». Sur les terrains africains, la lumière de plus en plus alternait avec l’ombre. La cote d’alerte fut franchie lorsque nos valeureux fauves se firent éliminer, à Yaoundé même, par une équipe égyptienne alors sans ambition, de la phase finale de l’avant-dernière coupe du monde. C’en était trop et la cote d’amour en prit un sacré coup.  Un véritable affront que de nombreux Camerounais ont encore bien du mal à pardonner au malheureux Achille Webo, bouc émissaire que la providence offrit opportunément sur un plateau en or !

 

Plus récemment, et alors que leurs concitoyens venaient de se remettre, sans que l’on sache sur quelles bases, à rêver d’exploits, ne voilà-t-il pas que les Lions se sont fait éliminer sans gloire dès le premier tour de la CAN angolaise ? Ils ont pourtant dans leur rang, et cela n’est pas donné à tous les pays ni à toutes les générations,  l’un des tout premiers joueurs de la planète, un joueur pour qui les Camerounais ont élevé des monuments au Football club de Barcelone devenu pendant quelques années substitut de l’équipe nationale camerounaise. Quelle ingratitude de la part de Samuel Eto’o fils ! C’est à croire qu’il est de la race des mercenaires, des Georges Weah, Louis Figo et autres Christiano Ronaldo qui ont illuminé et illuminent les cieux du football professionnel, gagné et gagnent des centaines de millions d’euros sans que leurs sélections nationales en tirent le moindre trophée. Du coup, même le vieux lion Roger Milla, d’habitude si réservé et mesuré, n’a pu s’empêcher de sortir de ses gonds pour, d’un doigt rageur, désigner son trop domptable cadet à la vindicte populaire. Haro, sur le baudet ! Ou alors, comme disaient sentencieusement les Latins qui s’y connaissaient plutôt bien en jeux de cirque, vae victis ! La raison n’est-elle pas naturellement du côté des vainqueurs ? Quant aux vaincus, ces pauvres Lions des années 2000, de quoi ont-ils torts ? De rien de précis, c’est-à-dire finalement de tout. C’est là tout leur malheur.  

 

En 1990, pour se retrouver en quart de finale de la coupe du monde, les Lions indomptables avaient bénéficié des exploits d’un certain Albert Roger Milla, inusable rescapé miraculé des campagnes des années 1980, intervenu in extrémis, sur demande expresse de M. Biya, comme un Deus ex machina, pour de sa touche de génie transmuter le sable en or. Sans doute, plus heureux que les alchimistes du Moyen Âge, avait-il mis la main sur la pierre philosophale. Débordant et à raison de générosité, M. Biya lui promit qu’il le reverrait – « Je vous verrai » - et le fit plus tard ambassadeur itinérant, ce qui était plutôt bien choisi pour quelqu’un qui avait gagné ses galons à la sueur de ses pieds. Le prodige en tout cas ne méritait pas moins. Entre temps et ce au cours de la campagne catastrophique de 1994 aux Etats-Unis, Milla quoique devenu quadragénaire s’était vu obligé d’endosser le maillot et de chausser les crampons pour aider des Lions à la dérive à se cramponner à un reste de dignité. Emue, la génération des Song Bahanak alias « Magnan » et des Mboma Patrick, la dernière issue directement du terroir et encore solidement enracinée au limon local, entreprit de reconquérir les « honneurs perdus », avec plus ou moins de bonheur sur la scène africaine, et un total manque de réussite sur la scène mondiale. C’est qu’entre temps Milla avait définitivement accusé le coup des années accumulées, un peu trop pour pouvoir jouer à nouveau les thaumaturges. Et pour ne rien arranger, Mabouang Kessack, Omam Biyick ou Patrick Mboma, quoiqu’un laps de temps chacun au-dessus du lot, manquaient décidément soit de l’acier qui fait durer, soit du génie qui permet de transformer les désastres en scènes de liesse. « Ah, du temps de Roger Milla ! ». Puis un jour vint un certain Samuel Eto’o fils.  

 

Véritable fils de la mondialisation, ce dernier vit ses exploits dans les clubs européens les plus huppés transportés en direct dans des millions de foyers camerounais et d’ailleurs. La question de savoir s’il a jamais été aussi doué que l’était son illustre aîné est, comme le dirait sans doute M. Biya, « sans objet ». Le fait est que Eto’o fils est certainement le footballeur camerounais le mieux payé et le plus médiatisé de l’histoire. Surgi à une époque de décadence et de misère de masse mais surtout de marchandisation de la planète et de ses ressources indépendamment de leurs formes, Samuel Eto’o fils est un symbole polysémique et à ce titre, il incarne bien sa génération.

 

Il incarne une génération que le pays natal a désespérée et qui ne doit son salut qu’à l’exil. Un exil qui ne réussit qu’à quelques-uns sur mille. Une génération de crève-la-faim qui se reconnaissent avant tout dans Barcelone FC ou l’Olympique Lyonnais, qui n’hésitent pas à prendre la nationalité du pays d’accueil, seuls foyers où ils ont jamais eu assez de pain pour couper leur faim et de quoi se mettre un habit neuf sur le dos. Une génération issue d’un pays où l’on est encore trop jeune à 50 ans pour assumer des responsabilités sérieuses, où de vieux satyres aux poils artificiellement noircis entretiennent luxure, perversion, mal gouvernance et crime avec le même amour que mettrait un jardinier à cultiver des espèces rares. Une génération à qui l’on a beau citer J. F. Kennedy – « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez  ce que vous pouvez faire pour votre pays » - ne se résout pas à admettre que son pays soit livré depuis la nuit coloniale à des prédateurs qui, comme Cronos, veulent accéder à l’éternité en se gorgeant de la chair et du sang de leurs progénitures. Les Vampires du Godstank, dirait M. Hubert Mono Djana. Une génération à qui l’on a inoculé le virus de la tricherie, de la corruption, et qui quelquefois malgré elle est devenue, à la faveur de la débrouille, experte en raccourcis, en faux et usage de faux et autres travers apparentés. Une génération pour qui le pari mutuel urbain et le ballon quelle que soit sa forme ont vidé l’école de tout attrait et de tout contenu. Pourquoi faudrait-il que cette génération-là se sacrifie pour un pays qui ne lui accorde même pas le droit de vote[1] ? Est-ce leur faute si le sport national sombre à l’intérieur de nos frontières par manque de politique sportive, faute d’infrastructures ambitieuses, miné par la corruption et le népotisme ? Est-ce leur faute si la coopération doit se substituer à l’Etat camerounais au point d’aller elle-même sur le terrain réaliser les ouvrages offerts ( !) parce que d’éventuels financements octroyés à cet effet seraient systématiquement détournés ? Peut-on leur reprocher le fait que nous nous soyons habitués à désigner nos entraîneurs sélectionneurs à la veille des compétitions internationales alors que d’autres nations mettent un minimum de deux années à préparer celles-ci ?

 

Voyez-vous, en 1990, les Lions indomptables, à l’image de Roger Milla, étaient au bord du vieillissement. L’ossature de l’équipe était encore cependant issue du championnat national ; les frères Biyick et bien d’autres évoluaient dans des équipes locales et quelque fois en deuxième division comme l’on disait à cette époque-là. Les Lions d’aujourd’hui sont trop jeunes et inexpérimentés ; ils ne sont pas une équipe mais un agrégat qui tâtonne chaque fois et se cherche au fur et à mesure que les compétitions avancent. Entre deux compétions, ces Lions-là n’existent pas. Ils sont le vivant symbole d’un pays où l’on a érigé l’impréparation et l’improvisation au rang d’une véritable politique de (sous)développement. Un pays où tout semble s’être figé depuis 1990, dans l’attente d’une catastrophe qui n’en finit pas de se matérialiser ou de se dissiper ; pris en otage par une génération qui n’en finit plus de vieillir et de partir, qui, comme Roger Milla, a sans doute eu l’heur de mettre la main sur l’élixir de vie ou la fontaine de jouvence et n’en finit plus de vieillir et de se rajeunir. N’empêche ! Il faut que ces Lions-là, comme leurs aînés, gagnent et ils ne le peuvent plus. Et s’ils n’y arrivent plus, il faut bien que quelqu’un le paie : Joseph Antoine Bell, l’ex ministre Edjoa, Achille Webo,  ou Samuel Eto’o fils… cela dépend des circonstances, des époques et des générations. Mais ne s’agit-il pas là d’une lamentable fuite en avant ? Depuis le temps que cela dure, avons-nous réussi à redonner quelques couleurs à un mythe des Lions indomptables décidément de plus en plus délavé ?



[1] Au moins une chose qui a change depuis la première publication de ce texte !



21/12/2011
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