generationsacrifiées

generationsacrifiées

SAUVER L’AFRIQUE DU CORONAVIRUS SANS LES AFRICAINS, une habitude qui a la vie dure : lire cette tribune parue dans Le Monde ce jour

Parue dans Le Monde du 26 mars 2020, une tribune signée par « Un collectif d’associations œuvrant dans le secteur du développement par l’éducation »  exhorte Emmanuel Macron à ne pas sacrifier les solidarités internationales. Parmi les signataires, pas un Africain, à moins que je n’aie mal lu le texte.

Autant le dire d’emblée, c’est une tribune plutôt bien intentionnée. Ceux qui l’ont rédigée et signée n’usurpent certainement pas leur engagement humanitaire. Ils n’ont pas attendu l’occasion du Coronavirus ni de la rédaction de cette tribune, et n’attendront pas davantage la réponse de M. Macron pour s’investir au service de l’Afrique : « Mais il faut, disent-ils, en premier lieu, limiter son expansion : nous le faisons, dès à présent, avec nos équipes et des jeunes bénévoles en Afrique qui sensibilisent aux gestes barrières. » L’éclairage qu’ils donnent de l’Afrique à l’heure où le Covid-19 toque à la porte de ce continent est rigoureusement exact et éminemment mobilisateur : « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a rappelé, la crise du Coronavirus va être particulièrement dramatique sur ce continent où les filets sociaux n’existent pas et où les matériels médicaux requis pour répondre à cette crise manquent, où 85 % de la population au sud du Sahara n’a pas accès à l’eau propre ni au savon et où il faut aller travailler quoi qu’il arrive pour nourrir sa famille. C’est une question de jours. » Il faut cependant interroger cette tribune, dans son principe et ses effets les plus profonds.

Sur le principe, il y a la question de la double initiative : celle de l’appel et celle de l’action sollicitée. Elle fait de l’Afrique un spectateur ou un comparse sur le théâtre de son destin. « Nous vous demandons, conscients de notre responsabilité, de prendre une initiative, pour et avec l’Afrique. », peut-on lire. Ce pluriel qui exclut les Africains a quelque chose de tragique, mais aussi de familier. Tragique parce qu’il recouvre un implicite peu valorisant pour les Africains. Pourquoi parle-t-on pour eux sans eux ? Sont-ils aphones ? Parce que contrairement aux signataires ils ne sont pas « conscients de leurs responsabilités » ? Pourquoi l’Appel à la solidarité internationale singularise-t-il l’Afrique ?  Cette première initiative en appelle à une seconde, celle de M. Macron, qui exclut toujours l’Afrique. Celle-ci ne sera impliquée que dans le cours de l’action, à la place et dans le rôle habituels, je suppose. Nelson Mandela le disait si bien, « Tout ce qu’on fait pour toi sans toi, on le fait contre toi. » Et faire de toi un comparse sur le théâtre de ton histoire, ce n’est pas la faire avec toi, c’est faire semblant de la faire avec toi. Ce pluriel, disais-je, même atténué par « avec l’Afrique », a aussi quelque chose de familier qui renvoie à toute une histoire.

La Traite négrière et l’esclavage, initiés sans les Africains, avait fait d’eux des comparses peu glorieux d’abord (ils en tiraient de menus et indignes profits), des boucs émissaires ensuite (c’étaient eux les vendeurs, les autres ne se bornant qu’à en accepter l’offre !). Au moment de l’abolition de la traite négrière, l’initiative, une fois de plus, revint aux esclavagistes, et servit à établir la magnanimité de ces derniers. L’Afrique ne put donc même pas en tirer une quelconque fierté. L’histoire des indépendances emprunta le même parcours, si l’on en exclut la Guinée Conakry (il faut évidemment préciser que cette observation vaut surtout pour l'Afrique francophone). L’autre jour à Abidjan, pour la suppression du franc CFA (cet autre puissant vestige colonial devenu néocolonial) et l’annonce de l’avènement de l’éco, nous avons vu M. Macron à l’œuvre. L’initiative ne doit donc jamais être africaine, c’est entendu une fois pour toute.

L’Afrique peut-elle se complaire dans ce rôle de comparse qui dans le regard de l’autre lui sied si bien ? Ce comportement irresponsable, accepté comme tel, encouragé insidieusement, moqué discrètement, est un puissant narcotique qui a provoqué une forme d’addiction chez certains Africains. Il lui colle depuis si longtemps à la peau qu’il est devenu sa seconde nature. La chanson coloniale de Perchicot nous voyait comme des « pays où les peuplades/Dansent la bamboula/Les petites négresses/Devant le roi de l’allégresse dansent la bamboula », autant dire des pays caractérisés par une joyeuse irresponsabilité. Cette perception a-t-elle évolué ? Ses retombées les plus certaines, c’est le paternalisme, la moquerie d’autant plus cruelle qu’elle est apparemment bienveillante, 0,55% du PIB comme aide au développement, et des accords iniques qui consolident un statu quo débilitant.

« Monsieur le Président, appelez à ne pas oublier l’Afrique ! » Ainsi se termine cette tribune. Curieux, n’est-ce pas ? Qui donc pourrait oublier l’Afrique ? Ceux qui décident de qui compte et de qui ne compte pas ? Les « maîtres du monde » comme les appelait Jean Ziegler ? Ce monde-là n’est-il pas celui qui est en train de s’effondrer et dont la pandémie actuelle pourrait très bien n’être que l’un des multiples soubresauts ? L’Afrique est-elle toujours cet orphelin qui risque de dormir affamé si le parâtre dans sa magnanimité ne condescend pas à lui jeter les restes de sa table de seigneur ? Allons donc !

Roger KAFFO FOKOU

 

 



26/03/2020
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 52 autres membres