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SORTIR DE LA CRISE : l’Europe doit jouer ses cartes plutôt que celles de Wall Street

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011


Dans la lutte contre la récession économique qui le menace, le camp occidental semble loin de constituer un front uni. Il y a d’un côté les Etats-Unis et le Royaume-Uni, de l’autre l’Europe des 17 qui constitue l’eurosystème. Souffrant apparemment des mêmes maux (surendettement souverain et déficit de compétitivité entraînant un risque sérieux de récession), ces deux sous-régions de l’économie mondiale semblent plus s’affronter que se compléter, comme l’on aurait pu s’y attendre. Ces divergences stratégiques, que nous avons soulevées dans un précédent article, loin de se réduire, s’aggravent. Si l’Europe veut conserver une chance raisonnable de s’en sortir, elle doit, en plus de parler d’une même voix, jouer ses propres cartes plutôt que celles que veut lui imposer Wall Street.


Les intérêts de l’Europe ne sont pas ceux des Etats-Unis

Dans « Crise mondiale : pourquoi une telle divergence stratégique entre les Etats-Unis, l’Europe et la Chine ? », nous insistions sur le fait que l’Amérique s’est toujours appuyée et servie de l’Europe pour résoudre ses crises internes : « Un petit rappel historique : sa puissance, l’Amérique l’a bâtie d’abord au détriment puis sur le dos de l’Europe. L’Europe est le premier marché pour l’Amérique en termes de débouchés à l’international. Si celle-ci devient plus forte, la situation pourrait s’inverser et l’Amérique devenir le marché à son tour de l’Europe : catastrophe ! La petite concurrence entre EADS et Boeing illustre à suffisance ce que pourrait donner ce cas de figure. L’un des piliers de la politique américaine avant la première guerre mondiale, la doctrine Monroe, fut élaborée contre l’Europe. Elle permit aux Etats-Unis de se débarrasser de la concurrence européenne en Amérique centrale et latine ». Nous avons également vu comment la première guerre mondiale permit aux Etats-Unis de se sortir d’une des récessions les plus sévères de son histoire, et la seconde guerre de prendre le contrôle économique et politique du monde grâce à ce cheval de Troie qu’était le plan Marshall.


Ces exemples du passé sont encore d’une actualité brûlante. De nombreux faits le prouvent. A commencer par les plus anodins, comme l’éviction de Dominique Strauss-Khann de la direction du Fonds Monétaire International. Ce dernier semblait en effet plus engagé à mettre la puissance de feu de cette institution au service du sauvetage de la zone euro. Cette affirmation peut malheureusement très difficilement être étayée de faits irréfutables. L’arrivée à la tête du Fonds de Christine Lagarde, un pur produit des cabinets américains, a d’ores et déjà fait pencher la balance des analyses de cette institution en faveur du point de vue américain. L’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE va accentuer cette tendance jusqu’au cœur de l’Europe. Il suffit de se pencher sur le parcours de M. Draghi : « Il a fait ses études à Rome chez les Jésuites. Licencié en économie et commerce à l’université de Rome « La Sapienza » en 1970, il obtient un Ph. D. en économie au Massachussetts Institute of Technology en 1976. Professeur universitaire à Florence et à Turin,  il a été de 1991 à 2001  directeur général du ministère du Trésor public, chargé des privatisations. De 1993 à 2001, il a présidé le Comité pour les privatisations. À ce titre, il a été membre du conseil d'administration de plusieurs banques et sociétés en phase de privatisation (Eni, IRI, Banca Nazionale del Lavoro-BNL et IMI). De 2002 à 2005, il est le vice-président pour l’Europe de Goldman Sachs, la quatrième banque d'affaires mondiale ». Et pendant que M. Draghi prêtait ainsi ses compétences à Goldman Sachs, cette institution a aidé la Grèce à s’enfoncer dans la crise qui l’étrangle actuellement en mettant à disposition le procédé comptable avec lequel ce pays a dissimulé à la commission européenne son déficit public.  


On peut s’interroger avec profit sur la volonté réelle des partenaires américains de l’Europe de voir cette dernière sortir du marasme actuel. Peut-on trouver des faits tangibles de l’existence d’une telle volonté ou plutôt des faits contraires ?


Au plus fort de la crise de la dette grecque courant été dernier, alors que les banques européennes engagées dans une délicate et coûteuse opération de sauvetage avaient le plus besoin de liquidité sur le marché, la Fed a demandé aux fonds américains de réduire leur exposition à la zone euro, et les banques européennes ont trinqué. Quand on sait que la Fed est le « conseil d’administration » des intérêts desdits fonds, on comprend qu’il s’agissait plus d’un ordre que d’une demande. Il faut rappeler que les banques européennes, dont les problèmes auraient pu être minimisés par les accords de Bâle II et III (Cf. Laura Berny et Elsa Conesa, « Les quatre erreurs des banques françaises ») ont souffert de la non application desdits accords, en grande partie imputable aux Etats-Unis qui sont les plus réticents à vouloir s’y soumettre alors que les dits accords visent surtout à corriger les faiblesses du système bancaire américain.


  Plus récemment encore, l’effondrement de MF Global survenu cette semaine, traduit le caractère essentiellement immoral des pratiques des grandes institutions financières américaines sur le marché de la dette souveraine européenne. MF Global, comme l’on sait aujourd’hui, avait pris des paris risqués sur la dette publique européenne, à hauteur de 6,3 milliards de dollars. Ce fait est intéressant à plus d’un titre. Les plus importants créanciers de MF Global ne sont autres que JP Morgan et la Deutsche Bank. Comme l’on voit, certains noms reviennent toujours dans les scandales. Deuxièmement, que signifie prendre des paris risqués sur la dette publique européenne ? Et c’est là que le caractère immoral de ces pratiques ressort véritablement. Dans un article précédent, nous évoquions les CDS, ces fameux « Credit Default Swaps », ces assurances sur les créances à risques que les spéculateurs souscrivent même quand ils ne détiennent pas de titres des créances protégées. Si le risque ainsi anticipé se réalise, vous qui avez parié dessus, vous emportez le pactole. S’il ne se réalise pas, vous perdez votre mise, qui aujourd’hui varie entre 15 et 20 milliards d’euros, ce qui est loin d’être une bricole. Examinons cela d’un peu près : les fonds américains parmi d’autres misent sur le défaut de la Grèce entre 15 et 20 milliards d’euros qui peuvent rapporter encore plus si la Grèce fait défaut, et pour s’assurer que cette éventualité survient, s’entendent pour assécher le marché au moment où les banques européennes ont le plus besoin de liquidité pour acheter les obligations grecques. Simplement génial.


L’Europe doit jouer ses propres cartes

La dernière rencontre du 26 octobre à Bruxelles, sans aboutir à des mesures susceptibles de sauver l’Europe, a permis d’entrevoir des possibilités réelles. Si l’Europe plus unie pouvait adopter des mesures courageuses, cela permettrait certainement d’avancer plus vite dans la bonne direction. L’expérience est en train de prouver qu’elle ne doit pas avoir peur de s’affirmer contre les Etats-Unis, qui d’ailleurs n’hésitent pas quant à eux à protéger leurs intérêts contre l’Europe. Au-delà des liens culturels forts qui unissent ces deux régions et forment donc des intérêts subjectifs, on peut dire que de plus en plus, ce qui avantage l’économie européenne semble surtout désavantager sa sœur américaine. En obtenant un sursis à la Grèce, l’Europe a créé les conditions de l’effondrement d’un mastodonte financier américain, MF Global. Il s’agit là d’un symbole important qu’il faut interpréter. Et c’est un problème urgent : plus l’Europe attendra pour prendre les mesures appropriés, plus celles-ci coûteront cher, et plus le climat social ira se détériorant, si bien qu’à un moment donné, il sera impossible de faire quoi que ce soit.


Il faut se méfier de la théorie de « too big to fail ». L’Europe reste la zone la plus développée et la plus riche du globe, le plus grand marché pour tout dire, et c’est ce qui fait la force de l’Allemagne. Beaucoup ne voient pas comment une machine si belle et si puissante pourrait faire défaut. C’est une erreur. Avec des actifs de près 41 milliards de dollars, MF Global s’est effondré en une petite semaine. Le poids même de l’Europe, dans l’hypothèse d’une chute, constituerait à juste titre un accélérateur. A titre d’exemple, pour secourir le Ghana, le FMI n’a eu besoin que de quelques centaines de millions d’euros ; pour la Grèce, 110 milliards d’euros n’ont pas suffi. Les ordres de grandeur parlent d’eux-mêmes.




01/11/2011
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