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Spontanéité, lapsus et révélations chez les hommes politiques : Biya, Sarkozy, Bayrou et Obama

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Médias et civilisations, inédit


Les hommes et femmes politiques, qui sont-ils réellement ? Bien malin qui pourrait répondre avec exactitude et de façon complète à cette question concernant l’une ou l’autre des personnalités politiques qui ont jalonné de leurs fortes présences l’histoire des sociétés. Ces personnalités sont souvent des entités composées et composites, construites avec soin, et dont les faces publiques, travaillées, poncées et méticuleusement vernies, rutilantes, sont très souvent aux antipodes de ce qu’un observateur découvrirait d’elles dans l’abandon de l’espace privé. Elles sont souvent des prédatrices, dans tous les sens du terme, nobles et moins nobles, lions, tigres, panthères, ou alors chacals, hyènes et coyotes entre autres. Quand elles vous sourient de toutes leurs dents, avec un peu d’attention, vous verriez un sourire de carnassier derrière un air affable, enjôleur, et d’une séduction souvent irrésistible. Mais quelle que soit l’épaisseur du masque enchanteur, il résiste rarement au sortilège du discours spontané, ces fameux lapsus linguae que Freud a si bien analysés, sauf chez celles d’entre elles qui sont véritablement d’une intelligence largement au-dessus de la moyenne, et ces oiseaux-là sont rares, même dans l’univers des prédateurs. Amusons-nous à passer en revue quelques lapsus échappés à des hommes politiques contemporains : Paul Biya, Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Barack Obama…


Paul Biya, le « monarque » présidentiel camerounais
Paul Biya, le chef de l’Etat camerounais depuis bientôt trois décennies, aime les situations de communication préparées de longue main, aux détails passés et repassés. Les improvisations ne sont pas son genre, en tout cas lui réussissent peu, et chaque fois qu’il est pris de court, et qu’il s’exprime spontanément parce que la situation ne lui laisse pas le temps de se construire dans une réponse, il jaillit une perle rare de ses augustes lèvres. Au début des années 80, peu après son accession à la magistrature suprême comme on aime à le dire par une myopie bien compréhensible, des Camerounais sont organisés en une marche qui s’achève en point d’orgue sur l’esplanade du palais de M. Biya. Il sort sur le balcon de sa forteresse présidentielle, devant l’importante foule écrasée par un soleil de saison sèche qui ce jour-là tapait sans concession. M. Biya n’a que quelques minutes à donner à ce peuple rassemblé à ses pieds – une position qui n’a rien d’innocent - mais il choisit le coin du balcon abrité de l’ardeur un peu trop zélée du soleil et, spontanément, s’en excuse auprès de son auditoire : « Je sais que vous êtes au soleil  et moi à l’ombre» ! Il ne croyait pas si bien dire et crachait là déjà tout son portrait : appétit du confort, phobie du risque si minime soit-il, exposition constante du peuple aux intempéries socioéconomiques et politiques… De cette époque-là à aujourd’hui il y aura bientôt trente ans, Biya n’a cessé de se ménager un coin d’ombre bien confortable, dans le grand luxe et de préférence en Suisse, à l’Intercontinental ou dans un château cossu au bord du lac Léman, tandis que la canicule du chômage et de la misère écrase le débonnaire peuple camerounais.

 
Une décennie après son couronnement, sur le perron de l’Elysée, tout aussi spontanément, M. Biya a lâché un autre lapsus, tout aussi croustillant et révélateur. Il a affirmé qu’il se croyait être « le meilleur élève du président » Mitterrand.  Et il semblait si fier de cet exploit douteux que cela en était confondant. Si son pays, le Cameroun, n’avait pas été alors une simple « sous-préfecture » de l’hexagone, cela aurait prêté à sourire. Ecoutant cette phrase, on s’aperçoit que M. Biya ne semble pas se considérer comme un chef, mais plutôt comme un contremaître. Il a donc constamment besoin de s’abriter derrière quelque chose, un mur, une puissance rassurante… ce qui est en parfaite harmonie avec son précédent lapsus des années 80.   


Nicolas Sarkozy et François Bayrou, ces dignes représentants de nos ancêtres les Gaulois
« Casse-toi, pauvre con ! », n’a pu s’empêcher de cracher M. Sarkozy un samedi 23 février 2008 lorsqu’au cours d’un bain de foule au salon français de l’agriculture un des visiteurs refuse de prendre sa main. Une phrase vraie, jaillie spontanément, et qui dérange encore aujourd’hui. De ce jour-là, les Français, qui à l’occasion de chaque élection présidentielle, peut-être par sentiment de culpabilité, ne rêvent on le dirait que de ressusciter la monarchie guillotinée avec Louis XVI le 21 janvier 1793 par la Convention, n’ont pas cessé d’avoir le sentiment d’une vacance à l’Elysée. Tout dans cet énoncé sec, lapidaire et irrité ne renvoie-t-il pas à une éducation bas de gamme, à un savoir-vivre qui pue dans une certaine mesure la « racaille » ? Après cette fameuse phrase, l’on ne peut s’empêcher d’entrevoir, derrière le personnage présidentiel de M. Sarkozy l’anti-monarque, le voyou, le délinquant, l’homme qui serait, dans certains milieux peu recommandables, aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau. Et s’il se trouvait être celui qui est appelé à gérer vos intérêts, dites-moi après cela si vous n’auriez pas raison d’éprouver un certain malaise…  


François Bayrou, quant à lui s’est révélé l’autre jour sur le plateau de France 2 sous un jour redoutable. Tout le duel avec M. Emmanuel Valls en était d’ailleurs une éclatante illustration : « Je suis d’habitude aussi prudent que le serpent », a-t-il affirmé pince sans rire. Une drôle d’image autoproférée et assumée. De quoi vous donner la chair de poule. On sait que la comparaison est une métaphore développée (une image dépliée donc expliquée) pour les esprits frustes. Elle est ce que les stylisticiens appellent une figure d’identification. Quelquefois, la simplification devient une complexification comme dans le cas présent : elle éloigne deux réalités considérées comme identiques. Prenons la comparaison de M. Bayrou et ramenons-la à l’image (la métaphore) de départ : « Je suis le serpent ». On sera plus dans le vrai. Depuis 2007, il n’a cessé de sinuer entre la gauche et la droite française, dans une trajectoire qui … serpente inexorablement.


Barack Obama, l’homme le plus puissant du monde…
Au cours d’une interview sur la crise libyenne, alors que les forces de l’OTAN pilonnaient sans succès les forces de Kadhafi et les civils libyens, Obama a voulu rassurer les médias sur sa volonté d’aller jusqu’au bout. Jusqu’au bout de l’affaire libyenne seulement ? Les esprits simples ont pu voir les choses ainsi. Et, spontanément, M. Obama avait choisi une expression curieuse, déjà marquée pour ceux qui suivent la politique américaine : « We are going to finish the job ». Une  phrase anodine ? Point du tout. Elle fut prononcée en avril 1917 par Woodrow Wilson dans un discours devant le Congrès américain, discours dans lequel l’homme d’Etat américain demandait au Congrès de déclarer officiellement la guerre à l’Allemagne. « Finir le job » en entrant officiellement en guerre contre l’Allemagne, parce qu’officieusement l’Amérique y était déjà entrée mais que cela ne suffisait pas pour accomplir la mission. Lorsque parlant de la Libye Barack Obama redit « nous allons finir le job », il dévoile aux initiés que les révolutions arabes sont un « job » commencé – par qui ? - et qui était alors menacé d’être bloqué par la résistance de Kadhafi. Il serait poursuivi jusqu’à son terme. Le blocage syrien actuel viendra-t-il à bout de la détermination américaine ? On peut en douter. Qui, aux Etats-Unis ou ailleurs, décide du « job » ? Sûrement pas le peuple américain, lui qui n’a cessé de marcher contre les guerres depuis les années 60. M. Obama peut-il être considéré comme une colombe comme a voulu le faire croire l’académie Nobel ? Observez-le, sa froide détermination au moment où il lâche la phrase ci-dessus, et vous serez vite convaincu du contraire.



12/03/2012
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