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UNE PEDAGOGIE DE L’EXCELLENCE POUR L’AVENEMENT D’UNE SOCIETE CITOYENNE

Par Roger Kaffo Fokou, ANIMATEUR PEDAGOGIQUE DE FRANÇAIS

 

Y a-t-il une quelconque utilité à perpétuer ce rituel de l’exposé du thème de l’année à chaque assemblée générale de rentrée scolaire ? Peuvent se demander certains. Que peut-on réellement en tirer ? Hamlet, l’un des personnages parmi les plus célèbres de Shakespeare semble nous répondre avec plusieurs siècles d’avance : « Des mots… Rien que des mots ». Ce n’est pourtant pas l’avis de François sengat-Kao pour qui « les mots sont des totems sous toutes les latitudes ». Ils sont donc doués de vie et sont d’excellents serviteurs pour qui en est un bon maître.

On comprend de quel poids, peut peser un mot bien choisi, juste, employé à bon escient. Le thème de l’année apparaît ainsi comme un outil d’action au service de qui veut engager un chantier quelque soit le domaine d’élection. Cette année, le chantier en projet est l’avènement d’une société citoyenne. Il s’agit là, dans la logique d’un management prospectif, d’une vision. Une fois que celle-ci est partagée, suivent les étapes de détermination des ressources nécessaire à la mise en œuvre. Et c’est à ce niveau qu’intervient la pédagogie de l’excellence.

 

I/ Une vision à partager : celle d’une société citoyenne.

Le terme citoyen nous vient en ligne directe de la Grèce antique. Le citoyen y est alors l’habitant d’une cité. Du moins, c’est le raccourci que l’on a l’habitude de retenir du contenu de ce terme. Il faut pourtant aller en profondeur pour saisir ce qui rend celui-ci si spécial et si important dans le contexte du monde actuel, contexte qui tend à ériger la démocratie en modèle universel quasi indépassable. C’est ici qu’il faut rappeler que, même dans la Grèce de l’époque de la démocratie (Vè siècle au J-C) tous les habitants de la cité ne sont pas des citoyens : des 3 classes qui forment la cité de Sparte par exemple, spartiates, périèques et hilotes, seuls les spartiates, encore appelés égaux, sont des citoyens et à ce titre, ont tous les droits. Les autres sont privées de droits politiques (cas des périèques qui constituent une classe de marchands hommes pourtant libres) et même de liberté (cas des hilotes).

Est donc citoyen dans la cité grecque antique celui qui jouit de la plénitude de ses droits. Mais nous savons qu’il n’y a pas de droits sans obligations. En droit, l’on dit d’ailleurs que les obligations sont la rançon des droits. Dans une société, ne peut donc être considéré comme citoyen que celui qui ne nourrit aucun complexe ni de supériorité ni d’infériorité, qui se sait et se présente comme l’égal de ses concitoyens, parce qu’il est non seulement libre (les périèques étaient libres mais n’étaient pas véritablement citoyens) mais jouit de tous ses droits, en commençant par ses droits politiques.

Ce citoyen ne voit cette citoyenneté - statut enviable et envié – garantie qu’à la condition qu’il participe à la mesure de ses capacités à la protection, la construction et la vie de la cité, en d’autres termes, lorsqu’il s’acquitte convenablement de ses obligations de citoyen. La vision que le thème de cette année nous projette de la société camerounaise de demain est de ce fait celle d’un pays où tous les citoyens sont égaux non plus seulement dans les textes mais dans la réalité. Or entre égaux, l’on se respecte. On ne méprise pas ses égaux : on respecte leurs personnes, leurs biens, leurs opinions. Parce qu’ils savent qu’il s’agit là de leurs droits d’une part et d’autre part parce qu’en tant que égaux ils ont les moyens de défendre ces droits. D’où la question : ces moyens qui font d’eux des citoyens, comment les auront-ils acquis ou plutôt comment pourront-ils les acquérir ?

II/ Comment préparer le jeune d’aujourd’hui à assurer pleinement son rôle de futur citoyen ? Dans nombre de sociétés anciennes, le respect dont on jouit s’impose par la force naturelle. A l’inverse dans les cités grecques, tous les futurs citoyens reçoivent une éducation appropriée identique : dès 7 ans, ils échappent à leurs familles et sont enrôlés dans l’armée. Celle-ci se charge de les formater. Le moyen le plus ancien connu pour permettre à un homme de défendre son statut d’homme afin de ne pas courir le risque de s’en voir privé – asservissements multiples – reste donc l’éducation. Et afin que cette éducation puisse produire efficacement l’effet attendu, il ne doit pas s’agir de m’importe quelle éducation. Il doit s’agir de la meilleure éducation possible, celle qui met en œuvre une pédagogie de l’excellence.

La pédagogie érigée en science nous interpelle tous à divers niveaux, nous les membres de la communauté éducative. Une science est supposée produire un savoir rigoureusement exact, vérifié au travers d’une expérimentation maîtrisée, et donc reproductible à l’infini dans les mêmes conditions. Tous les paramètres de l’expérimentation doivent être soigneusement contrôlés et correspondre aux normes prédéterminées : le parent, l’élève, l’enseignant, l’administrateur, le contenu des programmes, les manuels scolaires, l’organisation du travail scolaire, l’évaluation…

Le parent joue-t-il son rôle de parent : envoyer l’enfant à l’école, l’équiper, l’entretenir, le contrôler, veiller à ce qu’il fasse ses devoirs, lui inculquer une éducation morale de base, renforcer celle qu’il ramène de l’école ? Et l’élève lui-même ? Les institutions d’éducation informelle comme les médias ?

Mais tout cela se passe à la périphérie de l’école et relève d’une politique d’éducation globale, qui échappe à l’autorité des ministères chargés des questions éducatives et à celle des encadreurs directs que sont les personnels des établissements scolaires. Cela nous exonère –t-il pour autant ? La réponse est logiquement non, puisque l’école doit être le dernier rempart et peut l’être. Pour cela, certaines conditions essentielles doivent être remplies qui concernent à la fois la pédagogie proprement dite et les infrastructures et structures d’encadrement, les conditions matérielles et psychologiques dans lesquelles l’enseignant et l’apprenant tissent la relation d’apprentissage.

Partant d’abord de l’enseignant, l’on ne cessera jamais de dire, premièrement, qu’il n’y a pas de pédagogie de l’excellence possible sans pédagogues excellents, deuxièmement, que l’enseignement est beaucoup plus qu’un emploi permettant de gagner son pain, c’est une vocation au sens étymologique d’appel. Combien sont-il aujourd’hui qui entrent dans l’enseignement pour obtenir un matricule et qui pour cela n’hésitent pas à payer le prix qu’on leur demande ? Très vite, ceux-là payent aussi pour se faire nommer et par là échapper à l’enseignement véritable, pour lequel de toutes façons ils ne sont jamais sentis appelés. Quand ils restent dans les salles de classe, ils ont besoin d’un encadrement de proximité (séminaires, inspections pédagogiques) qui n’est pas toujours disponible, et d’une motivation suffisante pour les détourner de la tentation de s’évader vers d’autres secteurs plus rentables. Il y a là un véritable chantier que le ministère doit entreprendre et faire aboutir. Les enseignants, quant à eux, doivent bien comprendre que s’ils restent dans le métier, ce doit être pour véritablement armer le future citoyen, autant dire lui donner les moyens d’être un homme libre et qui jouit de tous ses droits, mais aussi accomplit tous ses devoirs.

On le sait aussi, l’enseignant n’enseigne que ce qu’il est. Pour enseigner à l’enfant à être un citoyen de demain, il doit lui-même être un citoyen d’aujourd’hui. Il doit être libre, décomplexé, jouir de tous ses droits, accomplir tous ses devoirs civiques. En d’autres termes, en tant que maître, il doit être le modèle et l’élève, en tant que disciple, aura des chances d’être son reflet. « Faites ce que je dis et non ce que je fais » est une maxime qui ne convient a aucune forme d’éducation qui se veut efficace.

Les enseignants ont toutefois plus de chances de développer les qualités ci-dessus analysés dans un contexte approprié. Dans ce contexte, il faut compter :

- Les élèves : ont-ils été admis ou recrutés avec le niveau de la classe ? Combien sont-ils par classe ? Comment l’établissement les encadre-t-il en dehors des cours : bibliothèque, salles spécialisées, suivi médico sanitaire, cantine ?

- Les enseignants eux-mêmes : quel degré de confort leur est offert ? salle de professeurs avec tables, chaises, infrastructures de convivialité, tables et chaises dans les classes, qualité des emplois du temps, qualité des relations verticales et horizontales, niveau de rémunération, nature des récompenses et autres avantages… et bien évidemment, quel type de formation initiale et continue reçoivent-ils ?

Comme on peut le voir, le thème choisi cette année est tout un programme. Un programme véritablement ambitieux, et qui pourrait, s’il est réellement mis en application et suivi, transformer notre pays. Dans ce programme, chacun de nous a des choses à donner et des choses qu’il attend. Dans ce type de situation, la différence se fait vite entre ceux qui sont citoyens et ceux qui n’en sont pas. Les seconds exigent d’abord ce qu’ils attendent, tandis que les citoyens donnent ce qu’on attend d’eux dans le même temps qu’ils exigent ce qu’on leur doit.



16/09/2011
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